Comme dans les grosses équipes de football ou de rugby, désormais la plupart des équipes cyclistes professionnelles comprennent dans leur staff des sports scientists. Leur rôle étant d’appuyer les entraîneurs et directeurs sportifs dans leur travail sur le terrain à la fois dans ce qui touche directement à la performance (entraînement, planification, gestion de la fatigue, etc.), la R&D (développement technologique matériel), l’entraînement caché (nutrition, récupération, sommeil, gestion de l’altitude, etc.) et la veille scientifique (être curieux et se tenir informé de ce qui se fait par ailleurs).
A quelle point votre séance d’entrainement a été difficile ?
L’équipe allemande Sunweb s’est armée en 2012 de Teun Van Erp, dont le rôle principal est de travailler à l’analyse des différentes données de leurs athlètes (puissance développée, ressenti de difficulté, fatigue, etc.). Fort de ces différentes données, il a décidé avec ses collaborateurs Carl Foster (la référence du monitoring des charges d’entraînement, 137 publications scientifiques) et Jos De Koning (Mr gestion d’allure, spécialisé dans les sciences appliquées au cyclisme, 96 publications) de soumettre un article scientifique à la revue International Journal of Sports Physiology and Performance. Celui-ci est sorti la semaine passée et le moins que l’on puisse dire est qu’elle a un grand intérêt pour les sports d’endurance.
La question fondamentale à propos de l’entraînement et qui provoquera toute la suite (gestion des charges, objectif d’entraînement, planification de la récupération, nutrition et hydratation associée, etc.) est la suivante : à quel point votre séance d’entraînement a-t-elle été difficile ?
Il existe de nombreuses façons de répondre à cette question : en utilisant un cardiofréquencemètre, un capteur de puissance, une montres GPS, un chronomètre, des mesures de laboratoire type échanges gazeux-ventilatoire ou encore du taux de lactate sanguin. La question centrale pour l’entraîneur est de réussir à objectiver la difficulté de la séance pour pouvoir répartir et planifier dans le temps une recette qui soit la mieux assimilée possible par le sportif. Et ainsi le faire progresser, notamment au travers d’une progressivité maitrisée, ou d’adapter le cas échéant si la réponse a été trop importante vis-à-vis de l’objectif, ou encore de réguler la diminution de la charge à l’approche d’une compétition ciblée.
Quel est le meilleur indicateur ?
C’est la question qui a donc été abordée dans cette récente étude, qui s’appuie sur une base de données de quatre années d’entraînement et de courses de 21 cyclistes professionnels du Team Sunweb. Ces coureurs ont remporté 45 courses du World Tour au cours de cette période, dont 29 étapes de grands Tours. Deux d’entre eux se sont classés parmi les dix premiers d’un grand Tour.
Cette base de données comprend l’enregistrement de la puissance développée au cours de 11 655 entraînements, courses sur route et contre la montre. Dans 7 596 de ces séances des données de fréquence cardiaque (FC) ont été enregirstrées, et 5 445 incluaient conjointement une évaluation subjective de l’effort perçu (RPE) sur une échelle de 6 (très très facile) à 20 (très très difficile). 6 à 20 car c’est l’échelle validée scientifiquement, mais une échelle de 1 à 10 pourra parfaitement faire l’affaire. Cela a permis à l’équipe de sports scientists de réaliser quatre mesures différentes de la charge d’entraînement pour chacune des sessions et de les comparer les unes aux autres pour établir leur cohérence.
Il existe donc deux types de charge d’entraînement global : externe et interne. La charge d’entraînement externe est une mesure totalement objective de la quantité de travail que vous avez réalisée : pédaler par exemple 2h à 30 km/h de moyenne ou à 180 watts, courir 10×400m en 1’15 de moyenne ou encore partir pour 6×6 rep à 100kg aux squats à la salle de muscu.
La séance « cool » est-elle si « cool »?
La charge d’entraînement interne représente pour sa part la réponse de l’individu à cette charge externe imposée. Elle pourra être de différentes sortes. La plus connue restant la mesure de la Fréquence Cardiaque (FC), par exemple la FC moyenne de la séance. Elle pourra également être subjective : « comment as-tu ressenti la difficulté d’exercice sur l’ensemble de cette séance ? » Réponse : « 14, moyennement difficile ».
`De façon plus « scientifique », les échanges gazeux et ventilatoires ou encore le taux de lactate sanguin pourront apporter une information supplémentaire de la réaction du corps à l’effort demandé. Evidemment mettre en relation ces deux aspects pourra permettre de savoir si l’objectif souhaité est rempli. La séance aéro « cool » est-elle vraiment si cool ? La classique séance de VMA impose-t-elle un temps de soutien suffisant et nécessaire au développement de mon moteur aérobie ? Cela va donc potentiellement pouvoir permettre d’affiner la réaction à l’entraînement et donc à la progression. Le corps étant bien fait, ils seront même le meilleur signal à un entraînement qui n’est plus toléré et entraînera des états de fatigue trop avancés (voir article) avec un simple RPE, un cardio et une idée de l’intensité externe d’entraînement.
L’étude utilise deux mesures de charge externe, toutes deux basées sur les données du moniteur de puissance. La première représente tout simplement l’énergie mécanique totale exercée par le cycliste (en kilojoules, kJ), calculée à partir de la puissance fournie tout au long de l’effort. Evidemment si deux personnes réalisent la sortie d’entraînement côte à côte, leur consommation totale d’énergie annoncée par le moniteur sera relativement proche si vous ignorez les différences de poids, d’aérodynamisme, de matériel, etc. Il faudra donc être le plus objectif possible et en çà, le vélo permet relativement cette prise en compte avec un capteur de puissance à l’inverse de la simple vitesse (pour un poids supérieur mais une vitesse identique, le cycliste devra plus s’employer pour faire avancer sa machine que le cycliste plus léger) à l’inverse du coureur à pied ou du nageur pour qui la mesure externe objective reste la vitesse ou le chrono.
Le Training Stress Score
L’autre mesure de la charge externe est encore plus affinée, puisqu’elle prend en compte les différences de condition physique en normalisant la puissance en fonction de votre « seuil fonctionnel de puissance » (FTP), qui correspond grossièrement à la puissance que vous pouvez maintenir sur une heure (95% d’une épreuve de 20min). Cette approche, développée par Andrew Coggan renseignera sur un score nommé TSS (Training Stress Score) qui quantifie la difficulté d’une session à partir de 3 équations mêlant la durée, la puissance, la vitesse, la FC et le FTP. Cela reste une mesure relativement externe, car elle ne prendra pas en compte de façon isolée votre retour perso comme la difficulté, le manque de sommeil, le stress, la fatigue, une mauvaise alimentation, les conditions thermiques, etc.
Pour la charge interne, l’une des mesures est basée sur les données de FC. Vous obtenez un score appelé LuTRIMP (abréviation de Lucia’s Training Impulse, de Lucia une autre sommité de l’entraînement) qui prendra en compte la durée passée dans trois zones de FC, les zones les plus hautes étant majorée. La fonction est assez simple : = (urée (min) en zone 1 × 1) + (urée (min) en zone 2 × 2) + (urée (min) en zone 3 × 3). Donc, chaque minute passée en zone 3 équivaut à trois minutes dans la zone 1, ce qui reflète le fait que votre corps travaille évidemment plus fort lorsque votre rythme cardiaque est plus élevé. Ici la charge devient donc interne car elle prend en compte la réponse du corps et pourra permettre une évaluation plus fine de la répercussion d’un effort et notamment de son intensité physiologique.
La dernière mesure de charge interne est la plus simpliste. Dès la l’arrêt de la séance d’entraînement ou de la compétition, il faut donner un score de RPE le plus rapidement possible, pour que la qualité de récupération de l’athlète n’altère pas le ressenti pour ladite session. Puis, vous multipliez ce score par la durée d’effort en minutes. Par exemple, pour un 10 « facile » à l’issue d’une sortie de 60 minutes : 10 × 60 = 600. On appelle cela la session RPE (sRPE).
Le principal travail statistique a consisté à réaliser des droites de tendances et des corrélations. Cela est très simple à comprendre. L’objectif va être de prendre deux marqueurs. Par exemple, la dépense énergétique (kJ) et le ressenti de difficulté (sRPE). Pour chaque session vous les rapportez, par exemple 2000 kJ et disons 1560 (120 minutes d’effort × un score de difficulté de 13). Et à partir de toutes ces valeurs vous tracez un nuage de points. Si l’accord est parfait, toutes les valeurs du graphique doivent s’aligner sur une ligne droite. Par ailleurs, plus le coefficient de corrélation sera proche de 1 et plus les valeurs iront dans le même sens. En d’autres termes, plus elles seront prédictives l’une de l’autre.
Les auteurs ont donc réalisé 6 paires et dans trois conditions :
A : à l’entraînement
B : en compétition sur route
C : en compétition contre la montre.
Graphiques extraits de van Erp, T., Foster, C., & de Koning, J. J. (2018). Relationship Between Various Training Load Measures in Elite Cyclists during Training, Road Races and Time Trials. International journal of sports physiology and performance, 1-25.
A nos yeux le graphique le plus intéressant sera celui entouré en rouge (le 5e de la colonne de gauche en partant du haut). Pourquoi ? Car il met en relation le score de stress (TSS) que votre logiciel d’entraînement vous sortira à partir de tous vos métriques (durée, puissance, vitesse, FC et FTP) avec un simple produit du volume de séance et du ressenti de difficulté. Or, ici le coefficient de corrélation est de 0,97, soit un très fort degré de corrélation. Presque toutes les paires de métriques montrent des corrélations presque parfaites.
Un regard juste sur la charge d’entrainement
En d’autres termes, si vous ou vos athlètes mesurez le ressenti de difficulté de l’exercice et le faites bien (bonne compréhension de la question et de l’échelle, respect du timing de réponse), vous obtiendrez un regard très juste sur la charge d’entraînement, au moins aussi juste qu’avec un appareil connecté.
Votre capteur de puissance, votre GPS, vos chronos ou tout autre appareil de suivi de la charge auront surtout une grande utilité pour prendre du recul par rapport à votre entraînement. Mettre en relation la perception de la difficulté avec le volume et l’intensité d’entraînement demandé permet par exemple d’avoir une vision plus claire.
D’autres marqueurs subjectifs comme la qualité de sommeil, l’humeur, la monotonie d’entraînement ou encore le stress seront également d’autres mesures simples (soit l’échange et l’écoute) pour ajuster l’entraînement au quotidien. Plus vous adapterez l’entraînement aux réactions et au quotidien de votre athlète plus vous pourrez jouer sur sa marge de progression. En y ajoutant des mesures objectives comme celles de la vitesse, de la puissance, de la durée, des conditions météorologiques, des apports nutritionnels, de l’hydratation… vous pourrez anticiper les réactions de vos athlètes et vous adapter à chacun et individualiser en retour.
Apprendre à s’écouter
Mais si déjà chacun prenait le temps de s’écouter il y aurait moins de casse (fatigue, blessures), plus de plaisir et un progrès plus facile et agréable. Comme les chercheurs le concluent dans leur article « toute méthode de suivi de la charge d’entraînement appliquée de manière cohérente et discutée entre l’entraîneur et son athlète peut être plus ou moins équivalente en valeur nette ». Il faut donc écouter et ne pas foncer tête baissée, car dans le cas contraire, cela se finira le plus souvent dans le mur.
Il est quand même plaisant de faire régulièrement le constat que nos ordinateurs internes semblent au moins aussi sensibles à l’effort demandé (par exemple son volume et son intensité) que tout suivi externe moderne. Il est donc important de ne pas se fier simplement à l’utilisation de valeur externes comme la puissance, la vitesse, la durée, etc.
Dans le meilleur des mondes, il faudrait les mettre en relation à minima avec ces données subjectives qui pourront permettre d’affiner l’interprétation de l’entraînement. Visiblement et ce n’est pas un coup d’essai, le corps se trompe rarement sur ce que vous lui imposez. D’ailleurs le même type d’étude avait été réalisé il y a quelques années par Aaron Coutts, un spécialiste de la gestion des charges d’entraînement dans les sport collectifs, qui était arrivé aux mêmes conclusions dans une importante population de joueurs de football australien (mélange de foot et de rugby), en démontrant des corrélations très importantes entre le RPE et les relevés objectifs utilisés dans les clubs pro comme les analyses GPS et de FC.
La fréquence cardiaque : outil indispensable
La FC justement, sera à nos yeux et à celui dorénavant d’une majorité de la communauté scientifique le 3ème outil indispensable de suivi. Pas tant sur la charge d’entraînement en elle-même car il sera une nouvelle fois très proche des données externes et de RPE, mais plutôt sur ses modifications vis-à-vis du niveau de fatigue et d’une relative facilitée à interpréter.
Il convient également de noter que les corrélations entre les paramètres étaient plus strictes pour les séances d’entraînement que pour les courses. En course, il est possible que les conditions météorologiques soient mauvaises ou que l’hydratation et les apports nutrionnels soient imparfaits, car il est plus difficile de contrôler l’environnement que lors des entraînements. Cela change votre charge interne par rapport à une charge externe donnée. Les données sur les courses sur route, provenant en grande partie de grands Tours (75%), peuvent également refléter la fatigue accumulée après plusieurs semaines de course, ce qui, encore une fois, augmentera la charge interne par rapport à la charge externe.
Les chercheurs soulignent que ce n’est pas un bug du système, mais plutôt une fonctionnalité à prendre en compte. Si vous aviez une corrélation parfaite entre les mesures internes et externes, cela signifierait que vous avez perdu toute la valeur personnalisée supplémentaire que vous êtes censé obtenir en mesurant la charge interne. Et ici cette donnée externe prend tout son sens, notamment dans la notion d’écoute. Si le RPE devait par exemple décoller car le milieu extérieur rend l’effort plus difficile que prévu, tout bon entraîneur devra le prendre en compte.
Se faire confiance
De la même façon, Teun Van Erp souligne qu’il constate en grand Tour, pour presque chaque athlète, deux phénomènes : une baisse progressive de la FC associé à un état de fatigue de plus en plus avancé et, de façon concomitante, une augmentation du sRPE liée à une augmentation des niveaux de fatigue physique et mentale liée en grande partie à la quasi absence de jours de repos et à la répétition d’efforts intenses.
En d’autres termes, il ne s’agit pas de savoir quelle mesure est la meilleure. Mais plutôt quelle relation entre les marqueurs internes et externes pourra vous renseigner sur votre état de forme et votre niveau de fatigue. A l’entraînement, il est inutile de savoir que votre charge interne augmente ou diminue si vous ne savez pas également si vous allez plus vite ou plus lentement.
En course, il est inutile, voire contre-productif, de savoir quelle puissance ou vitesse vous devriez « pouvoir » maintenir si vous ne pensez pas non plus à ce que vous ressentez à ce moment précis. Le message n’est donc pas que vous devriez abandonner votre capteur de puissance ou votre GPS. Mais plutôt que vous devez également faire confiance à ce que vous ressentez, l’interpréter et prendre les meilleures décisions possibles en retour. Ces ressentis subjectifs, que l’on pourrait qualifier d’arbitraires et d’individuels nous renseignent pourtant sur une donnée très significative : votre performance !
1 réaction à cet article
Eric
Merci pour cet excellent article.