Sur la piste, Marie-Amélie Le Fur n’est pas vraiment du genre à prendre son temps. En tant que sprinteuse, elle n’a qu’un seul objectif : courir à fond. Autant dire que le mot « frein » ne fait pas vraiment partie de son vocabulaire courant. Surtout quand il s’agit de « frein à parler du handicap ». « On a tendance à plaisanter sur tous les sujets, sauf sur le handicap, c’est dommage, explique celle qui a été amputée du tibia gauche après un accident de scooter lorsqu’elle avait 15 ans. Les gens ont peur de ne pas dire les bonnes choses. Mais entre athlètes handisport par exemple, nous sommes les premiers à faire des blagues, parfois crues ». Elle se réjouit donc du succès du film « Les Intouchables » sorti l’an dernier sur les écrans français. « C’est très bien, une très bonne publicité pour le handicap. C’est comme cela qu’il faut l’aborder ».
En continuant d’espérer que les mentalités évoluent, Maire-Amélie Le Fur apprécie notamment de discuter avec les enfants. Avec un double message : parler du handicap, bien sûr, et promouvoir les bienfaits du sport. « Les enfants n’ont pas d’idées préconçues, ils sont ouverts à la discussion. Je veux leur montrer que le handicap n’est pas une fatalité ».
La preuve : la jeune femme de 23 ans a complètement intégré sa différence physique. « Quand ma prothèse est bien positionnée, je ne la sens pas du tout. Je n’y fais pas attention, je vis très bien avec. Finalement, je m’en rends davantage compte dans le regard des autres. Par exemple quand je suis en short, parce que ma prothèse se voit et que les gens la regardent ».
Les JO quatre ans après son accident
L’histoire entre Marie-Amélie et l’athlétisme débute à l’âge de six ans. « A cause de ma sœur », comme elle l’explique aujourd’hui dans un grand sourire, bien consciente avec le recul que l’expression « grâce à ma sœur » serait plus appropriée.
Pour accompagner sa sœur qui ne voulait pas débuter cette activité toute seule, elle commence donc à courir. Sans grande conviction d’abord. Avec plaisir ensuite. « Et aujourd’hui je ne pourrais plus m’en passer ».
Après son opération en 2004, c’est « quasiment la première chose » à laquelle elle pense : recourir. « Ca m’a donné un but dans la rééducation ». L’athlé, à ce moment-là, c’est juste pour le plaisir. Il faut retrouver des sensations. « Au début, je n’aimais pas courir avec la lame, je préférais ma prothèse de ville. C’est venu naturellement. J’ai découvert cette sensation de voler sur la piste. J’ai trouvé une qualité d’appuis, sans ne plus éprouver de gêne ».
Les résultats sont rapidement concluants. De championnats de France en championnats du monde (elle décroche notamment l’or sur 100 m et à la longueur aux Mondiaux d’Assen en 2006), l’athlète découvre l’univers olympique à Pékin, en 2008. « Des étoiles plein les yeux, peut-être un peu trop d’ailleurs. J’ai été absorbée par la magie. J’ai trop marché, trop visité le village. Mais je ne regrette pas ». D’autant que de ces « Jeux de la découverte » comme elle les surnomme, elle a ramené deux médailles d’argent : sur 100 m et au saut en longueur.
L’or pour objectif
Quatre ans plus tard, Marie-Amélie Le Fur a terminé ses études. Titulaire d’un Masters en STAPS, elle a saisi l’opportunité d’un CDD chez EDF, en tant que chargée de communication, avec un détachement pour les Jeux Paralympiques.
Parce qu’après Pékin, c’est maintenant Londres qui mobilise son énergie. De 6 à 9 entraînements par semaine (dont 2 spécifiques pour la longueur) avec un objectif en tête : l’or. Elle le sait, « tout est possible ». Elle devrait s’aligner sur trois disciplines* et signerait pour un titre sur « n’importe laquelle » : 100 m, 200 m ou saut en longueur. Des disciplines qui sont complémentaires. « Le travail pour le sprint me sert pour la course d’élan à la longueur. Et le travail de bondissements me permet de me renforcer pour la course ». Mais le 200 mètres reste son épreuve préférée. Le 100 mètres, « c’est trop court, trop compliqué ». Le saut en longueur, « c’est une discipline qui me prend beaucoup la tête, parce que je suis perfectionniste. Il y a bien plus de paramètres à prendre en compte que pour le sprint. Notamment le fait de ne pas mordre la planche. Mais ça me permet de casser mes semaines d’entraînement, et puis il y a le plaisir ressenti dans la phase d’envol ! »
Un plaisir qui rejaillit sur toute sa famille. « Après mon accident, mes parents ont vu que je positivais de pouvoir courir et d’avoir un objectif. Ca les a aidés. Ils ont compris que j’avais le goût de vivre ». Et de gagner… Comme lors des Mondiaux l’an dernier, où elle a décroché l’or sur 100 et 200 m et l’argent à la longueur. C’était à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Ses proches n’avaient pas pu faire le déplacement. Mais pour Londres, le « voyage est déjà organisé ». Son ami, ses parents, sa sœur et son mari et un couple de copains seront là pour vivre l’événement à ses côtés. D’ici là, elle l’affirme : « J’essaie de ne pas être trop invivable ». Tout en ajoutant : « J’éprouve souvent le besoin de parler à l’entraînement, et le soir d’une compétition pour débriefer avec mes proches. Mais ce n’est pas mon seul sujet de conversation. Il n’y a pas que l’athlétisme dans ma vie ».
*La sélection officielle sera dévoilée par la Fédération Française Handisport le 4 juillet prochain
Marie-Amélie Le Fur
Née le 26 septembre 1988
Athlète handisport, amputée tibiale (catégorie T44)
Spécialités : 100m, 200m, saut en longueur
Détentrice du record du monde du 200 m en salle en 27m13s (à Eaubonne, le 18/02/12)
Palmarès principal
2011
Championne du monde sur 100 m et 200 m à Christchurch (Nouvelle-Zélande)
Vice-championne du monde du saut en longueur à Christchurch (Nouvelle-Zélande)
2008
Vice-championne paralympique sur 100 m et au saut en longueur à Pékin (Chine)
2006
Vice championne du monde sur 100 m, 200 m et au saut en longueur à Assen (Pays-Bas)
Marie-Amélie Le Fur fait partie des athlètes sélectionnés par Sandrine Retailleau-Vallet pour participer à l’ouvrage Divines, l’Olympisme corps et âmes. Un livre dédié au combat et au voyage que représente la préparation olympique pour des sportives de haut niveau.
Divines, l’Olympisme corps et âmes
De Sandrine Retailleau-Vallet
Photos : Catherine Cabrol
Éditions de La Martinière
114 pages
29 euros