Une vitesse qui change constamment
A la décharge des pratiquants, la gestion de l’intensité de l’effort est très délicate en trail, discipline où la vitesse varie constamment en fonction du terrain, de sa technicité et du dénivelé, mais aussi selon une multitude d’autres facteurs. Sur la route (et à plat bien entendu), si l’intensité est régulière, la vitesse l’est également. Bien entendu, il peut y avoir quelques variations en fonction de la durée de l’effort et de la météo, mais quand on prépare un marathon, on sait que les meilleures performances sont atteintes pour les variations de vitesse les plus faibles. Ainsi, la régularité paie !
En trail, l’affaire est plus complexe, notamment sur les épreuves de longue durée qui impliquent indubitablement une baisse d’intensité après 6-7h de course en moyenne, baisse due à la fatigue musculaire, la déshydratation, des phénomènes inflammatoires aigus dont les effets peuvent être visibles au niveau cérébral, cardiaque et musculaire . Cela voudrait dire qu’un ultra trail ne doit pas se courir à intensité régulière, mais nécessairement démarrer à une relative sur-intensité.
Des départs suicidaires
A ce sujet, et pour les physiologistes avertis, notons que les ultra trails semblent échapper au modèle de Tucker (2009) qui propose une explication de la gestion d’un exercice à intensité auto-régulée. Ce modèle fait écho au modèle du gouverneur central de Tim Noakes. Dans ce modèle, l’athlète choisit l’intensité de départ en fonction de plusieurs paramètres : son expérience, ses réserves glycogéniques, le chrono espéré sur la course, sa motivation … et cette intensité est ensuite modulée en permanence par le ressenti d’effort. La finalité de ce modèle est la protection de l’organisme d’un cataclysme physiologique. Ainsi, en cas de difficulté, l’intensité décroît, parfois jusqu’à l’abandon. Selon ce modèle, chacun choisit donc l’intensité de départ qu’il est censé pouvoir tenir pendant toute la durée de la course. Or toutes les études en ultra trail (et même en trail long) montrent que les départs se font en sur-intensité, bien au-delà de celle que la sagesse permet.
Des méthodes insatisfaisantes
Il est donc facile de comprendre la nécessité de mesurer ou au moins d’évaluer l’intensité de son effort en trail. Et c’est là que ça se complique. Si on peut mesurer la puissance développée sur un vélo, c’est impossible en course, et encore plus sur un terrain instable. L’idéal serait bien entendu de mesurer la consommation d’oxygène mais courir avec un analyseur d’échanges gazeux est inconcevable. Les seuls moyens actuels (développés par la littérature) pour évaluer cette intensité sont les suivants :
– Des méthodes basées sur le pourcentage de fréquence cardiaque maximale ou sur le pourcentage de FC de réserve (qui est bien corrélé au pourcentage d’intensité aérobie).
– Une méthode basée sur le calcul d’une vitesse équivalent-plat.
Pourquoi ces méthodes ne sont-elles pas idéales ?
Tout d’abord, même si l’évolution des FC reflète bien l’évolution de l’intensité de l’effort, ce n’est pas toujours le cas, car la FC, sous contrôle du système nerveux autonome, peut subir de fortes variations sans modification du niveau d’intensité. Ensuite, en ultra trail, à partir de quelques heures d’effort, on observe une diminution de la fréquence cardiaque d’exercice et de la FC max, sans lien avec l’intensité. Cette baisse est due aux variations du volume plasmatique, notamment au niveau des cavités cardiaques dont la capacité augmente. Le volume de sang éjecté à chaque battement est plus important, ce qui permet à la FC de diminuer, parfois de 10 à 15%. Ce phénomène physiologique qui permet d’abaisser le niveau de fatigue cardiaque a pour conséquence fâcheuse d’invalider l’utilisation de la FC comme outil fiable de mesure de l’intensité de l’effort.
La vitesse équivalent-plat est usuellement utilisée pour pouvoir comparer la vitesse en trail à une vitesse sur la route. Pour chaque centaine de mètres de dénivelé positif, on rajoute 1km de distance pour calculer la vitesse (v = distance/temps). Cette méthode est intéressante mais elle est limitée car elle ne tient pas compte de la technicité du terrain ni du dénivelé négatif. De plus, les coureurs savent très bien que la vitesse en descente est fortement dépendante de la nature du terrain et de sa déclivité, et qu’il n’y a pas de proportionnalité dans ce domaine. Par exemple, je vais moins vite dans une pente à 45% que dans une pente à 15%.
Des études contradictoires
Quelles que soient ses convictions sur la place du pacing dans la performance, force est de constater que les études sont contradictoires. Certains auteurs trouvent que les moindres variations de vitesses sont en lien avec la performance, et d’autres non. Les différences de résultats ne pourraient être dues qu’à l’imperfection des méthodes utilisées.
Et l’avenir ?
Convaincus de l’importance majeure du pacing dans la performance, nous (l’équipe du Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité de Lyon 1) avons investigué cette problématique en marge de l’Interlacs trail. Nous avons tout d’abord calculé un indice de pacing (vitesse moyenne de la course/vitesse de la première section) sur une population hétérogène (24 sujets, performance de 8h à 15h30). La corrélation avec la performance s’est révélée très significative. Nous avons renouvelé l’expérience avec les 30 premiers de la course, en calculant ce même indice, et en calculant également le coefficient de variation de la vitesse. Les 2 méthodes se sont montrées bien corrélées entre elles, et le pacing corrélé à la performance.
Mais nous voulons aller plus loin en proposant une nouvelle méthode d’évaluation basée sur une consommation d’oxygène théorique. En 2 mots, car la méthode est complexe et sera détaillée ultérieurement, il est possible d’évaluer cette consommation (appelée VO2), en nous basant sur la vitesse réelle (donnée par les GPS) et sur l’estimation du coût énergétique dont la valeur dépend de la pente. Cette méthode est à l’essai et donne des premiers résultats intéressants. Elle devrait nous permettre d’analyser les meilleures performances et de prévoir des modèles selon la durée des épreuves. A suivre …
Conclusion
La gestion raisonnée de l’intensité de son effort semble être un facteur de performance en ultra trail. Pourquoi ? Les raisons sont multiples : retardement de l’épuisement des stocks glycogéniques, moindre fatigue musculaire, diminution des troubles gastro-intestinaux…
A vous de rester concentré sur votre course, vos sensations, votre alimentation… et de résister à l’euphorie des départs d’ultra. La fin n’en sera que plus belle.
Dans un prochain article, nous détaillerons les zones d’intensité de FC à respecter en fonction de la distance.