Quel est notre rapport à la blessure ?
Lorsque l’on s’inflige une séance d’entraînement difficile (très intense, volumineuse, différente de celles pratiquées habituellement ou à forte dimension musculaire par exemple), il est classique et normal d’être musculairement dans le dur pendant une à deux journées, et que ces douleurs disparaissent au fil du temps. Ces douleurs que l’on nommera « courbatures » ne sont ni plus ni moins que le témoin des dommages musculaires provoqués par la répétition des contraintes, l’intensité ou la nouveauté de celles-ci imposées aux différents groupes musculaires ou aux tendons.
On serait donc tenté de penser que leur intensité dépend uniquement de la sévérité des dommages musculaires provoqués par la séance d’entraînement et que ces courbatures seraient donc le témoin parfait du curseur d’écoute que l’on doit avoir de son corps pour gérer, adapter et individualiser au mieux la charge d’entraînement. Mais, la vérité du terrain ne s’avérera pas aussi simpliste.
Une étude américaine a en effet démontré que le rapport individuel à la douleur et aux blessures influence également l’intensité du ressenti des courbatures suivant une séance difficile. Dans ce travail scientifique, les chercheurs de Caroline du Nord ont demandé à 35 athlètes entraînés de remplir une série de questionnaires visant à définir leur rapport à la douleur, précisément ici dans le contexte de la reprise de l’entraînement post-blessure.
Il leur était demandé de coter leur réponse à des affirmations comme « Lorsque je me blesse, je crains de ne jamais retrouver mon niveau » ou « Je m’inquiète du risque de me blesser à nouveau si je retourne à l’entraînement trop tôt après une blessure ». Ce questionnaire était rempli et rendu juste avant un entraînement de course à pied, pendant lequel les sportifs devaient tous réaliser une séance de fractionné à haute intensité. Puis, à l’aide d’un nouveau questionnaire ils devaient évaluer leur niveau de courbatures, 24h et 48h post séance.
Nous ne sommes pas tous égaux dans notre tolérance à la douleur
Dans la vie de tous les jours, à l’école ou au travail, nous constatons que si une copie ou un travail doit être évalué par un individu, ce dernier, en fonction de ses sensibilités, de son historique, de son humeur et de nombreux autres facteurs rendra le plus souvent une note différente d’un autre collègue, et qu’il pourra lui-même noter différemment cette même copie d’un jour à l’autre.
Et bien, nous retrouvons ce principe dans l’évaluation des sensations musculaires. En effet, un lien étroit a été constaté entre les réponses apportées au questionnaire que l’on pourrait qualifier de projections sur la connaissance que l’on a de soi-même face à la douleur et aux sensations musculaires ressenties durant les jours suivant une séance d’entraînement qui aura été identique pour l’ensemble des sportifs sur la forme, mais individualisée sur la vitesse de course en fonction du niveau de chacun.
En clair, plus les athlètes démontraient une inquiétude importante vis-à-vis de l’impact d’une éventuelle blessure sur leur niveau de performance, plus les courbatures étaient perçues comme intenses et douloureuses.
L’intensité des douleurs ressenties après un entraînement n’est donc pas qu’une question de dommages musculaires. Il existe bel et bien une dimension psychologique dans l’évaluation des douleurs que nous ressentons suite à une séance ou un programme d’entraînement.
Etre anxieux à l’approche d’une séance pourra être contre-productif
Un autre résultat très intéressant concerne le lien entre le profil psychologique du sportif face aux douleurs musculaires et à l’évaluation de son anxiété. En dehors de la relation décrite entre le rapport aux blessures et l’intensité des courbatures, les résultats démontrent que le niveau d’anxiété a un fort impact sur les sensations musculaires post séance à fort impact.
Ainsi, il est apparu que les athlètes anxieux ont tendance à décrire des courbatures plus fortes que leurs coéquipiers qui auraient la capacité à prendre plus de recul à l’approche d’une séance compliquée.
Cela semble très cohérent, dans le sens où les personnes anxieuses sont généralement plus alertes et sensibles aux moindres détails qui pourraient les perturber et les faire bifurquer du chemin établi en amont.
Apprendre à doser
Finalement cette étude vient confirmer ce que l’on peut retrouver sur le terrain. Certains entraîneurs pourront dire à leurs athlètes « tu réfléchis trop ! », à ceux qui répondront régulièrement à l’annonce d’une séance qu’elle est trop difficile, trop longue. Typiquement les athlètes « élite » nous démontrent chaque jour qu’il n’est pas envisageable de viser des titres internationaux sans s’entraîner très dur au quotidien. Ces sportifs vont donc très régulièrement devoir réaliser des entraînements dans un état de fatigue musculaire avancé où la logique voudrait que l’on reste dans son canapé à se reposer…
Evidemment, ces sportifs auront développé la capacité à soutenir ces charges si impressionnantes (un marathonien enchaînant les semaines à plus de 150km, un triathlète dont la semaine type aura pour base 30h et une séance difficile par jour ou encore un nageur d’eau libre en biquotidien chaque journée & flirtant avec les 20km jour comprenant ici aussi une séance difficile). Oui, mais ils auront également développé une grande connaissance d’eux-mêmes et de la douleur. Se réveiller chaque jour avec des courbatures est leur quotidien, mais ils sauront également déceler à partir de quel moment celles-ci deviennent trop importantes ou néfastes pour accepter de lever le pied de façon transitoire.
Attention, nous ne sommes surtout pas en train de dire qu’il faut s’entraîner toujours plus intensément. Car ne pas savoir distinguer les signaux de son corps entre des courbatures qui permettront de progresser après s’y être adapté, et de trop importants dommages musculaires pourra irrémédiablement faire le basculer le sportif vers une blessure ou un état de fatigue trop avancé. Si vous faites partie de cette famille de sportifs, il va falloir développer la capacité à prendre du recul sur votre pratique. La progression passe par la récurrence de l’entraînement en évitant au maximum la survenue d’arrêts forcés. L’empilement des séances difficiles ne fera pas progresser à long terme. D’où, l’importance de savoir alterner entraînements faciles et difficiles, renforcement musculaire / travail de vitesse et endurance, etc.
En clair, qu’est-ce qui nous interdit d’aller faire un footing après un gros travail en salle de musculation sur les membres inférieurs où le lendemain ou surlendemain d’une grosse séance VMA ? D’un point de vue physiologique rien du tout, si aucun bobo n’est à déclarer. Et, à l’inverse en période de préparation intense, il ne sera pas rare d’aller réaliser la séance intense et donc traumatisante avec des jambes un peu lourdes. La plupart du temps, votre cerveau vous renverra des messages plutôt négatifs qui donneraient plutôt envie de courir moins rapidement les répétitions ou d’en réduire le nombre. Il faudra donc apprendre à aller contre ses sensations pour pouvoir réaliser l’objectif de la séance. Qui n’a jamais dit « j’ai bien fait de ne pas m’écouter ! » ?
C’est d’ailleurs ce qui se passera le plus souvent en compétition. Si l’objectif est de réaliser la meilleure performance possible, la plupart du temps la dernière partie de course sera d’une grande difficulté et les messages (douleurs musculaires, effort lactique, ventilation importante, ampoules/frottements, technique dégradée, etc.) envoyés à votre cerveau qui donne les ordres, induiront qu’il faut lever le pied. Pourtant, nous sommes la plupart du temps capable d’aller plus loin dans l’effort et la perception de la difficulté de ce que nous réalisons réellement. Il y a donc un grand intérêt à savoir comme à l’entraînement, repousser ses limites habituelles dans le respect de son intégrité physique.
Les conclusions à tirer de cette recherche sont donc multiples. En effet, être trop anxieux ou trop craintif vis-à-vis des douleurs musculaires engendrées par l’entraînement peut amener à s’entraîner moins et limiter la progression à long terme. A l’inverse, ne pas vouloir écouter les signaux de douleur peut conduire à en faire trop, accroître le risque de surmenage et majorer le risque de blessures.
Au final, comme toujours, l’expérience et l’appréciation semblent être les meilleurs conseillers. Par essai-erreur, on apprend à mieux identifier les seuils de douleurs musculaires à ne pas dépasser et à détecter les symptômes anormaux. Dans le même temps, l’accumulation des années d’entraînement et de compétition permet aussi d’identifier les douleurs musculaires synonymes d’une maîtrise affirmée de la discipline et dont il n’est pas nécessaire de se soucier.