Les atteintes microtraumatiques de l’appareil locomoteur (tendinopathies, fractures de fatigue, périostite, …) sont classiques dans la pratique de la course à pied puisque l’on estime que 70 % des coureurs à pied vont connaitre un problème microtraumatique, après 2 ans de pratique.
Comment gérer les problèmes tendineux tout au long de sa carrière sportive ? En sachant que nous ne sommes pas tous égaux : certains coureurs à pied vont souffrir des tendons et d’autres jamais.
Comme nous l’avons dit dans le précédent article (Lire idées reçues sur les tendinites), l’activité physique et sportive est la condition qui provoque le symptôme c’est-à-dire la douleur tendineuse : le tennisman souffre des tendons l’épaule, le basketteur du tendon rotulien, le coureur à pied du tendon d’Achille, …
Nous allons donc nous concentrer sur la course à pied et la douleur du tendon d’Achille.
Pour la course à pied, l’incidence annuelle (nombre de nouveau cas) d’une douleur achilléenne est de 11% pour un sportif « classique ». Cette incidence est plus faible chez les athlètes de haut niveau puisqu’elle est de 7 à 9 %.
Preuve que c’est bien l’activité sportive qui est la condition qui provoque le symptôme, l’incidence des douleurs achilléennes n’est que de 5% en gymnastique, 2% au tennis, inférieur à 1% au football et proche de 0% en cyclisme.
Faut-il changer de sport ?
Une première approche thérapeutique saute aux yeux : changer de sport ! Cette phrase provocatrice est écrite pour rappeler une évidence. Dès le début d’une douleur tendineuse en rapport avec son sport (tendon d’Achille pour le coureur à pied), le sportif doit prendre une décision rapide : « ne pas laisser le vers rentrer dans le fruit ». Une des raisons pour laquelle les athlètes de haut niveau ont une incidence plus faible que le sportif « amateur » est là : le sportif de haut niveau est à l’écoute et sait que cette nouvelle douleur achilléenne nécessite une gestion rapide.
Le footballeur qui souffre du tendon d’Achille est moins « dans l’urgence » que le marathonien ; mais, inversement, le marathonien qui souffre des tendons des adducteurs est moins dans l’urgence que le footballeur … Ce ne sont que des évidences mais qu’il faut encore et toujours rappeler aux sportifs.
Donc tout coureur à pied qui ne veut pas entrer dans un long processus de douleurs chroniques achilléennes (plusieurs mois ou années, pour certains), doit, dès qu’il ressent une douleur au niveau de l’Achille :
– cesser immédiatement la course à pied
– se mettre au vélo (incidence proche de zéro, je le rappelle)
– évaluer l’origine de la douleur.
Il vaut mieux faire du vélo pendant 15 jours que souffrir pendant 15 mois, non ?
Outre ce premier conseil et avant d’évaluer l’origine de la douleur achilléenne, le sportif peut utiliser, pendant quelques jours, les anti-inflammatoires. Ceci peut paraître étonnant car, comme nous l’avons dit dans le précédent article, il n’existe pas d’inflammation (Il faut donc que le terme « tendinite » disparaisse pour laisser la place au terme « tendinopathie »). Mais, dans quelques cas, il peut y avoir une étape inflammatoire, au tout début de certaines maladies tendineuses notamment ce que l’on appelle la péritendinite. Donc la prise d’anti-inflammatoires, par la bouche (comprimés, …) et localement (gel, crème, patch, …), n’est pas illogique, uniquement à ce stade de début de la maladie tendineuse.
Identifier la douleur
Mais le plus important est de rapidement évaluer et identifier la douleur tendineuse. Car toute douleur au niveau d’un tendon, chez un sportif, n’est pas une tendinopathie. Il faut définir et cerner « l’ennemi pour le combattre ». Or l’expression clinique (la douleur ressentie et décrite par le sportif) peut être la même pour plusieurs diagnostics différents. Si l’examen clinique n’est pas discriminant comment progresser ? En faisant une échographie tendineuse.
L’examen de choix pour le tendon d’Achille est l’échographie couplée au doppler. L’IRM est moins performante et plus chère ! L’échographie-doppler est indispensable pour tout coureur à pied qui comment à avoir une douleur achilléenne. Cet examen doit être fait sur les deux tendons d’Achilles : c’est capital, il faut comparer les deux tendons chez un coureur à pied. Aucune stratégie thérapeutique à court, moyen et long terme ne peut être correctement définie sans cet examen. Car les traitements seront très différents en fonction de la réelle origine de la douleur.
Devant une douleur achilléenne, chez un coureur à pied, L’échographie-doppler doit différencier, entre autres :
- La péritendinite : environ 15 % des cas (attention cette péritendinite peut évoluer vers une réelle tendinopathie). Il s’agit d’une inflammation du péritendon c’est-à-dire de l’enveloppe qui entoure le tendon (qui lui, reste normal). Dans ce cas, comme il est dit précédemment, le traitement anti-inflammatoire général et local se justifie totalement.
- La maladie d’insertion (enthèsopathie) avec une bursite (poche liquidienne) inflammatoire (intérêt du doppler) au niveau de l’attache du tendon sur l’os. Le traitement le plus efficace est la ponction/infiltration de cette bourse séreuse sous guidage échographique. La maladie d’insertion existe dans 20 % des cas, environ.
- Les tendinopathies du corps du tendon (tendinopathies corporéales) qui existent dans deux tiers des cas. Il faut alors distinguer les tendinopathies :
- fissuraires
- nodulaires (les plus fréquentes)
- nécrosantes
- oedèmateuses ….
Car le traitement et surtout le repos sportif seront différents en fonction de ces constatations. On peut autoriser le sport et quelques douleurs face à certaines formes de tendinopathies. Par contre, il faut être d’une extrême prudence face à une fissure ou micro rupture tendineuse.
Mais attention, on ne traite pas un examen, une échographie dans le cas présent, mais un athlète qui souffre du tendon d’Achille. C’est pour cette raison qu’il faut comparer les deux tendons. Il existe dans quelques cas (3 à 5 %) des anomalies de structure tendineuses (vu à l’échographie) chez des sportifs qui ne présentent aucune douleur mais il n’existe pas de corrélation entre la sévérité de la lésion du tendon en échographie (« mauvaise échographie ») et la douleur ressentie par le sportif. De même, l’étude de la vascularisation du tendon (examen doppler) est certes riche et prometteuse mais, même si une vascularisation importante signe une gravité certaine, il existe, pour le moment, plus de questions que de réponses sur cette néo vascularisation. En conclusion, il faut toujours faire une fine synthèse entre le coureur, sa douleur, son objectif sportif et les constatations échographiques.
De toute façon, pour suivre l’évolution de son problème d’Achille, le sportif doit, en premier, se référer à la douleur de dérouillage matinal soit le temps nécessaire, lors des premiers pas, le matin, pour faire cesser la douleur. Cette notion clinique est incontournable.
Après avoir évalué l’origine de la douleur achilléenne, quelles sont les possibilités thérapeutiques ?
- Le repos sportif ? Au début, oui (cf. paragraphe 1) mais, sauf en cas de rupture partielle (on insiste encore sur l’intérêt de l’évaluation de la douleur tendineuse), le repos strict ne s’impose pas. Face à une tendinopathie nodulaire corporéale, par exemple, il faut moduler la quantité de course à pied en fonction du temps de dérouillage matinal.
Je m’explique : un effort, fait la veille, qui n’entraîne aucune variation sur le temps de dérouillage du lendemain matin, est acceptable et peut être reproduit. Inversement, un effort qui entraîne une augmentation des douleurs, le lendemain matin, n’est pas acceptable ; il faut éviter ce type d’entrainement. Donc, on adapte la pratique sportive (dose, intensité, répétition) en fonction de la douleur du lendemain matin, au levée. - La rééducation : elle est très utile et reste un grand moyen thérapeutique face au tendinopathie achilléenne :
- Si les différentes techniques de physiothérapie n’ont pas fait leurs preuves, par contre, les ondes de choc sur les tendinopathies nodulaires sont un traitement qu’il faut réaliser.
- Les étirements ou plus précisément le travail excentrique du complexe suro-achilléen est également toujours à faire dans le cadre des tendinopathies corporéales.
Pour ces deux raisons, le passage chez un kinésithérapeute est incontournable dans le cadre d’une tendinopathie achilléenne.
- L’adaptation technique. Il existe beaucoup d’idées reçues (Lire idées reçues sur les tendinites) sur cette pathologie (sol : dur ou souple ; chaussures : amorti ou pas ; inégalité des membres inférieurs : correction ou pas ; pronateur/supinateur ; normalité de l’axe jambier, talien ; …). De fait, les moyens thérapeutiques proposés sont nombreux et « très tendances » (semelle orthopédique, correction ostéopathique, changement de sol, …) mais sans preuve scientifique réelle.
Il faut donc s’interroger sur toutes les corrections faites ou prescrites, dans le cadre d’une tendinopathie. Ne faut-il pas « revenir au naturel » ? Sans prôner le barefoot running, on peut proposer au coureur à pied qui souffre d’une tendinopathie achilléenne chronique et qui a « goûté à toutes ces recettes », sans succès, un changement radical : passer aux chaussures minimalistes. Nul ne détient la vérité.
Il ne faut pas opposer les théories mais écouter les arguments des uns et des autres. Il est clair que malgré l’amélioration des chaussures de sport et autres semelles, depuis le début de la mode running, dans les années 70/80, l’incidence des problèmes achilléens n’a pas baissé chez les coureurs à pied. Ceci doit nous interpeller.
Faut-il croire, alors, à toutes les théories véhiculées sur la course à pied depuis 35 ans ? Faut-il croire au re- équilibrage, à la correction de l’assise plantaire, à l’amorti, au drop … de la chaussure, ventés et vendus par certains depuis plus de trente ans ? La meilleure stratégie thérapeutique n’est-elle pas l’inverse, le retour à l’amorti naturel (son propre pied) ? Le débat est ouvert depuis quelques mois et, comme souvent, la vérité se situe probablement entre ces deux théories. Notons qu’un début de réponse est donné par les manufacturiers, eux-mêmes, qui proposent, depuis quelques temps, des chaussures minimalistes avec le même engouement que les chaussures « sophistiquées » plus classiques. Qui l’eut cru il y a 10 ans ? - Les médicaments : nous avons parlé des anti-inflammatoires (généraux et locaux) qui peuvent être proposés en début de maladie. Par la suite, il n’existe pas de produit miracle! Malgré tout, l’application locale de glace, systématiquement après l’entrainement, doit faire partie de l’arsenal thérapeutique d’un coureur à pied qui se sait fragile au niveau de l’Achille.
- Les règles hygiéno-diététiques : Bien qu’il n’existe pas de preuve scientifique montrant que la déshydratation est une cause des problèmes tendineux chez le sportif, le conseil classique de « boire abondamment » reste d’actualité. Par ailleurs, Il n’existe pas d’autres « obligations » diététiques face au tendinopathie d’Achille bien que la littérature ne manque pas à ce sujet. Ne croyez donc pas à un régime miracle, anti tendinopathie. L’apparition d’un problème tendineux ne doit donc pas bouleverser l’alimentation de l’athlète.
- Les autres moyens :
- La chirurgie ? Elle a eu « ses heures de gloires » dans les années 90, elle n’est pratiquement plus proposée, de nos jours, car les résultats étaient moyens pour ne pas dire décevants. Seules les enthèsopathies chroniques (c’est-à-dire les maladies tendineuses de la jonction tendon-os) restent une indication chirurgicale, pour certains.
- Les infiltrations ? Une infiltration intra tendineuse fragilise le tendon et peut faire le lit d’une rupture. Donc méfiance. Mais, il est clair qu’actuellement les injections intra tendineuses de facteurs de croissance sont de plus en plus proposées et faites chez les athlètes de haut niveau. De quoi s’agit-il ? La procédure se résume à faire une prise de sang au patient, à centrifuger ce prélèvement sanguin pour séparer les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes. On ne retient que les plaquettes (concentré plaquettaire) qui sont riches en facteurs de croissance. Ces derniers sont les propres moyens de défense du sportif. On injecte alors ce concentré plaquettaire (et donc les facteurs de croissance) à l’endroit du mal, où il y a un besoin de réparation, à savoir dans le tendon, dans le cas présent. Il faut se méfier des modes et des tendances du moment, en médecine comme ailleurs. Malgré tout, ce nouveau traitement semble intéressant (mais doit encore être étudié et validé). Seules quelques équipes médicales maîtrisent cette technique (injection sous échographie …)
En conclusion, retenons :
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