Lorsque le verdict tombe, peu importe la nature de la blessure (tendinite, entorse, fracture, ….), les premiers sentiments sont souvent les mêmes : la colère, la déception, et le vide. Parce qu’être privé de sa dose d’activité physique, est la plupart du temps vécu comme une injustice. « La notion clé, c’est le plaisir. Quand on ne peut pas faire ce qui nous fait plaisir, on ne sent pas bien », analyse Meriem Salmi, psychologue habituée à traiter ce genre de problématiques pour avoir notamment travaillé pendant une quinzaine d’années à l’INSEP.
Pas besoin d’être un sportif de haut niveau pour ressentir un véritable manque lorsque la blessure nous impose, par exemple, de ranger nos chaussures de running au placard. « Pour certaines personnes, c’est une vraie rupture dans leur vie. Elles se sentent diminuées, pas seulement physiquement, mais aussi psychologiquement. Certains patients me disent qu’ils ne se sentent plus aussi forts au travail, plus nerveux, qu’ils n’arrivent pas à libérer leur stress ».
C’est que le sport, et la course à pied particulièrement, finissent parfois par devenir indispensables à l’équilibre personnel. « Courir, c’est être dans l’instant. On ne pense plus à ce que l’on va faire après, etc… Ces moments là, où l’on peut être dans l’instant, sont très rares. Et c’est ce qui les rend particulièrement plaisants », souligne Meriem Salmi.
Alors que faire ? « Il y a un avant, un pendant, et un après blessure », insiste la psychologue. Manière de rappeler que, oui, on peut anticiper. « Il faut intégrer le fait que la blessure fait partie de l’entraînement. On est souvent dans le déni, on n’a pas envie d’être blessé, c’est normal. Mais quand on est dans le déni, le réel nous rattrape à grands pas ».
L’idée n’est évidemment pas de penser constamment à l’éventualité d’une blessure et de s’entraîner avec la boule au ventre. Au contraire, il s’agit de tout faire pour éviter cette blessure qui, comme le rappelle Meriem Salmi, « n’intervient jamais par hasard. Ca a toujours un sens ». Et de poursuivre : « Souvent, on se blesse dans un contexte de fatigue ». D’où l’intérêt de « savoir l’évaluer. Il faut parfois accepter d’être diminué, de ne pas fournir les mêmes efforts que d’habitude à l’entraînement. Par exemple, courir dix minutes au lieu de trente ». Voilà ce qu’on appelle le bon dosage : savoir lever le pied de temps en temps, pour ne pas être contraint de le faire plus longuement plus tard.
Et si, malgré tout, on finit par se blesser ? « C’est un apprentissage. Cela veut dire qu’on a fait une erreur. Mais pas question de se taper dessus, il faut chercher le dysfonctionnement. Décortiquer ce qui s’est passé. Et se demander ce que l’on peut mettre en place pour ne pas reproduire cette situation ». En clair : comprendre la raison de cette blessure, même si vous avez l’impression de n’être qu’une victime.
Prenons le cas pratique d’une chute. Plutôt que de se contenter d’un simple « c’est la faute à pas de chance », mieux vaut s’interroger sur un éventuel manque de lucidité, un état de fatigue trop important, ou un manque de concentration. Pourquoi ? « Parce ce que si on reste dans une position de victime, on n’apprend rien. De la même manière, être en colère tout le temps, ça n’apporte rien. Au contraire, ça ralentit le processus de guérison… Plus on accepte ce moment, mieux on va le vivre, et plus vite on va se rétablir ». Ou comment rendre le cercle vertueux plutôt que vicieux… et éviter de reproduire les mêmes erreurs plus tard.
Autre conseil : éviter de se retrouver dans l’inactivité totale. Ce n’est pas parce qu’on ne peut plus courir temporairement qu’on ne peut pas pratiquer une autre activité physique. Problème : quand on leur conseille par exemple de privilégier le vélo pendant quelques semaines, les habitués de la course à pied répondent « ce n’est pas pareil. Je n’y prends pas le même plaisir ». « C’est évident, concède Meriem Salmi. Il ne faut pas rechercher la même chose ». Ne pas comparer, mais considérer qu’il s’agit d’une étape. « Accepter d’être en situation de fragilité, c’est aussi grandir », ajoute la psychologue qui sait que l’impact psychologique d’une blessure reste un tabou. « C’est extrêmement rare que des sportifs arrivent d’emblée dans mon cabinet, juste après une blessure. Souvent, ils ne mesuraient pas la place que le sport prenait dans leur vie. Ils ne pensaient que cette situation aurait un tel impact ».
En parler, prendre le temps de se poser les bonnes questions, et de tirer les enseignements des réponses trouvées. Voilà le comportement que le sportif blessé a tout intérêt à adopter. Dans ce cas, assurément, il aura accompli une part importante du chemin. Chemin vers la guérison, bien sûr, mais pas uniquement. Parce que, comme le rappelle Meriem Salmi, « le sport est une vrai école de la vie ».