S’entraîner mais régresser : comprendre le surmenage – Partie 1

Découvrez le premier extrait du chapitre rédigé par Cyril Schmit consacré au surmenage qui entrave l'entraînement, extrait du livre "Objectif Marathon" de notre coach Jean Claude Vollmer.

Quand on parle « stratégie d’entraînement », la logique du rebond est toujours implicite. Toujours, car sans elle, pas de repères, pas de cohérence. Sans elle, pas de progrès. Cette logique, c’est celle qui présume d’une surcompensation de notre performance suite à une forte période de charge d’entraînement. Ainsi on s’entraîne fort – vraiment fort – dans l’optique d’élever son niveau de performance. De nombreux plans d’entraînement se fondent sur cette logique, depuis la planification d’un camp jusqu’à la programmation d’un affûtage.

Sur le papier, l’idée du rebond tient la route : « s’entraîner plus pour gagner plus ». Cela nous rappelle un peu l’adage du « no pain, no gain », que beaucoup affectionnent. Beaucoup, qui attribuent en effet leurs progrès à la recherche d’un seul et unique repère durant l’entraînement : la fatigue. L’excès de fatigue ! À en finir la séance éreinté dans l’espoir de pouvoir s’habituer à cette sensation. L’idée tient donc la route sur le papier… mais dans les faits, mieux vaut ne pas y mettre sa main à couper.

Car les exemples ne manquent pas, en effet, pour illustrer les risques d’une accumulation trop importante de fatigue – on en a tous dans notre entourage. Une accumulation « trop » importante, c’est logiquement une accumulation qui dépasse une norme. Et en matière de charge d’entraînement, cette norme est toujours personnelle : elle renvoie au dépassement d’une capacité de notre organisme (une réserve) que celui-ci possède et qui nous permet, en phase de récupération, d’assimiler les contraintes des séances. Mais comme une capacité est, par définition, limitée, quand c’est trop, c’est trop !

 

D’accord, mais c’est combien « trop » d’entraînement ? Les risques d’un déséquilibre de la balance « charge – récupération » de l’organisme sont connus pour être peu perceptibles. Si peu perceptibles qu’on les subit parfois même sans faire le lien avec notre entraînement (exemple : moins bonne qualité du sommeil). Aujourd’hui, en sciences du sport, on tend à rationnaliser ces risques autour d’un continuum de fatigue dont chaque étape marque un peu plus la décadence du sportif vers une impossibilité de performer. Altération du ressenti, baisse de performance, maladie et blessure font partie de ce continuum. Le point final étant la mort – anecdotique, certes. Chacun de ces symptômes permet alors d’évaluer la susceptibilité de l’individu au surmenage, confirmer ou non un diagnostic, et donc moduler ou non son entraînement.

À l’autre extrémité du continuum de fatigue, on retrouve logiquement les bénéfices de l’entraînement. Ces effets tant recherchés, prisés et salutaires, obtenus eux-aussi dans la difficulté mais bien éloignés de comportements sportifs naïfs. Éloignés, car ils sont pour leur part contrôlés. Et c’est bien là toute la subtilité (expertise) à introduire dans le suivi d’une charge d’entraînement pour avancer sereinement : le contrôle, la mesure. La mesure de variables d’entraînement spécifiques ET de la réponse du corps (votre corps !) à cet entraînement. L’enjeu alors, c’est la capacité à se situer précisément sur notre continuum de fatigue pour réaliser un choix lucide, c’est-à-dire éclairé théoriquement et éprouvé empiriquement.

Voici donc l’objet de ce chapitre : prévenir l’instauration du phénomène de surmenage. Nous aborderons d’abord ce fameux concept ainsi que ses incidences avant de chercher à comprendre son instauration pour tenter de s’en prémunir.

 

Le surmenage : une décadence silencieuse

Beaucoup de sportifs se disent en surentraînement. Par méconnaissance, habitude ou simplement par naïveté, le désentraînement a bon dos… À tort ! D’une part car, comme nous allons le voir, avant d’en arriver à ce stade il faut avoir traversé un long chemin de croix où se mêlent difficultés sportives et extra-sportives. D’autre part car, après une courte période de récupération et la disparition de la fatigue ressentie, ces sportifs sont alors souvent capables de performer comme si de rien n’était. On est donc loin de la contre-performance durable caractéristique du surentraînement.

Le surentraînement est une étape – si ce n’est la dernière – de notre continuum de fatigue accumulée. La vivre, c’est d’abord devenir lucide sur la spécificité de cet état mais c’est surtout devenir capable de (re)connaître les étapes qui y conduisent. Voici donc quelques repères pour nous situer :

 

  • Le stade numéro 1 du processus de fatigue d’entraînement est celui de « fatigue aigüe», qui correspond surtout à une fatigue perçue. On se sent désactivé, l’entraînement est dur, toutefois la performance ne bouge pas. À ce stade en effet, on reste capable de performer à notre meilleur niveau même si cela passe par une sensation d’effort amplifiée. Physiologiquement, tous les marqueurs habituels de l’effort (fréquence cardiaque [FC] et ventilatoire, lactatémie) restent au vert. Un jour off permet alors de retrouver de la vigueur, parfois même de surcompenser grâce à de meilleures sensations à l’effort.

 

  • L’étape du « surmenage fonctionnel» est, comme son nom l’indique, fonctionnelle : elle n’est donc pas délétère pour la performance bien que le sportif puisse parfois en douter… En effet, même si le niveau de fatigue ressentie est important et que la performance peut ponctuellement diminuer, on observe généralement une surcompensation après quelques jours d’affûtage, qui peut dépasser les 4% de performance si la surcharge a été bien menée. En bref, c’est cet état qui est à rechercher lors d’une phase de surcharge (exemple : camp d’entraînement, bloc de périodisation…).

 

  • Et c’est là toute la difficulté ! Une surcharge qui n’est pas bien menée va supposer un temps de récupération insuffisant pour l’organisme pour pouvoir assimiler les contraintes accumulées de l’entraînement. Les conséquences deviennent alors « non-fonctionnelles »: les niveaux de fatigue perçue et de performance sont toujours impactés mais, en plus, ils sont accompagnés d’une mise en veille des indices d’activation physiologique de l’organisme (FC, lactatémie, hormones, activité cérébrale : tous sont réduits). Ainsi la fatigue est « ancrée » dans l’organisme. Le danger pour le sportif est alors de croire à une perte d’efficacité par manque de condition physique, et donc d’en remettre une couche à l’entraînement. Ici au contraire, le repos est indispensable et plusieurs semaines sont nécessaires pour sortir de cette mauvaise passe. À noter : toute ambition de surcompensation est utopique.

 

  • Le « surentraînement» (on y arrive) ponctue donc ce processus, non pas avec de nouveaux effets qui contrastent avec les précédents, mais par la persistance des effets. Des observations comparables à l’étape précédente sont en effet réalisées à ce stade, physiologiquement comme psychologiquement (démotivation, perte de vigueur, libido en baisse, maladies). Cependant, plusieurs semaines à plusieurs mois sont nécessaires à l’athlète pour lever ces inhibitions – quelques athlètes ayant besoin d’années d’arrêt. Le décrochage de la pratique devient alors naturellement une option.

 

 

De la fatigue perçue au surentraînement, il est loin de n’y avoir qu’un seul pas. Pourtant, il faut savoir que chaque pas peut très rapidement être franchi, précipité par des contextes de vie propices à un manque de récupération. Le stress d’un coach, la pression de la famille ou celle des examens, une situation amoureuse compliquée et bien d’autres, sont autant de facteurs qui peuvent gangréner ce qui devrait être des temps de repos. Des temps de calme, pourtant perturbés par des facteurs extra-sportifs – mais des facteurs de performance malgré tout ! Car si le repos et le plaisir sont effectivement des leviers de récupération, nos préoccupations demeurent, elles, des facilitateurs de surmenage. Et malgré leur étrange passivité, elles n’en restent pas moins des sources irrépressibles de stimulation de notre activité nerveuse. Y être attentif, c’est donc déjà être lucide sur la représentation complexe de notre état de forme.

Dans la décadence de fatigue décrite plus haut, il existe toutefois un dénominateur commun à chaque étape : le phénomène de « dose-réponse ». Ce phénomène stipule que pour l’application d’une charge donnée sur l’organisme, une transformation proportionnelle au stress initial survient. Cette réponse proportionnelle, on l’a vu, peut être positive comme négative dépendamment de la dose (un peu c’est bien, trop c’est trop). Comment alors peut-on se situer dans les données d’entraînement pour nous prémunir du surmenage ?

 

Données d’entraînement : les analyser pour se protéger

Les outils d’aide à la performance (capteur de puissance, cardio GPS, etc.) bourgeonnent aujourd’hui et rationalisent l’entraînement autant qu’ils le complexifient. Difficile en effet de s’y retrouver parmi l’ensemble des données récoltées par les montres connectées : vitesse, dénivelé, durée, température, vent… tous sont capables d’être mesurés avec une certaine précision – ce qui les rend attractifs. En revanche, ces données sont (presque) toujours présentées sans traitement approfondi : aucune interprétation utile ou longitudinale, pas de conseils adaptés – ce qui les prive finalement de sens. La plupart des applications sportives perdent ainsi en nombre d’utilisateurs par manque de sens attribué aux données. Dans ce contexte, à quels paramètres simples de l’état de fatigue peut-on se fier pour s’auto-évaluer ?

Si l’on reprend précisément nos étapes de l’instauration du phénomène de fatigue, un point est redondant : la performance demeure toujours un symptôme du diagnostic. Logique, après tout, c’est elle qui fait autorité sur l’efficacité ou l’absence d’efficacité de notre entraînement. Au cours du processus de surcharge, on voit ainsi que cette performance est soit maintenue, soit diminuée – ce qui en fait un indicateur plutôt sensible à la surcharge. Cependant avec cette performance, le problème reste qu’elle suppose aussi le développement d’un état de fatigue. Toujours ! Pas de performance maximale sans effort maximal… En conséquence, on ne peut pas raisonnablement miser sur un suivi de notre état de forme à partir d’une évaluation récurrente de notre niveau de performance, quand bien même les conditions d’évaluation seraient correctement standardisées.

Dans cette perspective, plusieurs catégories de mesure ont été distinguées. Leur objectif : aider au diagnostic précoce du phénomène de fatigue chez le sportif sans conduire à la surcharge. Chaque fois ces mesures sont présentées par binôme : mesures psychologiques vs. physiologiques, externes vs. internes, objectives vs. subjectives. Aussi, si l’on prend l’exemple des dernières :

  • Les mesures objectives correspondent à un suivi de valeurs telles que la consommation maximale d’oxygène du sportif, sa fréquence cardiaque ou des marqueurs sanguins. Tous peuvent être utilisés comme des indices au suivi aigu (à court-terme, quelques jours) et chronique (à long-terme, quelques semaines) de l’état de forme.

 

  • Les mesures subjectives renvoient pour leur part aux niveaux de fatigue, d’humeur, de récupération ou encore de qualité du sommeil. Elles sont renseignées par l’athlète lui-même et sont donc facilement mesurables. En revanche, de par leur partialité, elles peuvent aussi manquer de fiabilité pour un interlocuteur extérieur (exemple : un entraîneur).

 

Aujourd’hui, on reconnaît que l’une de ces mesures ne devrait pas être exploitée sans être complétée de sa mesure-binôme : pas de mesures objectives sans mesures subjectives par exemple. Les raisons sont simples. Non seulement ces deux familles ne corrèlent pas l’une à l’autre (elles sont donc complémentaires plutôt que consubstantielles). De plus, la « prédiction » de situations à risque est meilleure lorsque ces mesures sont combinées : coupler les mesures objectives et subjectives multiplie par deux les chances de bon diagnostic ! Enfin, avec ces deux types de mesure, on se donne les moyens de prendre en compte les larges variations de réponses interindividuelles (une même variation du niveau de fatigue n’impactant pas de la même façon deux sportifs).

À l’opposé de cette logique de complémentarité, se baser uniquement sur des mesures objectives suppose un risque : celui du manque de sensibilité à une variation soudaine de la charge imposée à l’athlète. Ce qui limite donc la capacité de prédiction. Pour leur part, les mesures subjectives s’avèrent y être plus sensibles, à condition toutefois de savoir lesquelles utiliser. Les niveaux d’humeur, fatigue, récupération perçue et stress semblent ainsi pertinents pour notre sujet, contrairement à ceux de bien-être social, confusion perçue, état émotionnel, auto-efficacité ou dépression (certainement en raison d’un lien moins direct avec la balance charge-récupération de l’organisme). À noter ici : un trop-plein de mesures risque de parasiter le message final : trois à cinq variables suffisent donc.

 

Dans cette dynamique d’étude de la charge d’entraînement, on a vu se développer des moyens d’évaluation basés sur les retours de l’athlète mais aussi sa fréquence cardiaque, son pourcentage de fréquence cardiaque, la durée de l’effort, le temps passé dans chaque zone d’intensité, les accéléromètres, etc. Parmi ces propositions et leur rationnel respectif, il est devenu commun (et fiable) de s’appuyer sur un calcul hebdomadaire de la charge d’entraînement croisant la durée de chaque entraînement à la perception d’effort du sportif. Exemple : une séance d’1h15 avec une impression de « assez dur » (5/10) donne le calcul 75’ * 5 = 450. À l’échelle d’une semaine, on obtient ainsi des sommes allant de 1000 à 4000 unités, pour un sportif assidu.

 

A suivre …

 

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