La méthode gagnante
Qu’ont en commun des entraîneurs à fort palmarès comme Philippe Lucas, Joël Filliol, Didier Deschamps ou Aimée Jacquet, Claude Onesta, Patrick Mouratoglou, etc. Ils ont la capacité au-delà de leurs compétences dans l’entraînement physique, technique ou tactique à savoir rendre leurs sportifs performant le jour J et surtout à leur faire prendre conscience que ce qu’ils vont réaliser est possible.
Leurs modèles de performance présentent un passage similaire, ils utiliseront tous des leviers motivationnels.
Dans certaines situations ils appuieront sur les points forts de leurs athlètes pour les mettre en valeur. Parfois à l’inverse, sur les points faibles de leurs adversaires pour les renforcer dans leurs actions. D’autres fois, ils rappelleront des actes réalisés à l’entraînement, permettant de croire en soi, dans une situation de compétition où l’on pourrait perdre ses moyens, alors même que l’on a pu valider des éléments concrets quelques semaines auparavant.
Déjà, tous les athlètes ne sont pas capables des mêmes prouesses, sans même parler de physique. Par exemple, pour avoir eu la chance d’en croiser quelques-uns, la force de ces entraîneurs sera aussi d’avoir la capacité à cibler les leviers mentaux et psychologiques utilisables chez leurs sportifs, ceux auquel ces derniers seront sensibles et à même d’être imprégner à cet instant. Voici quelques exemples pour ceux que j’ai ou ai eu la chance de croiser.
La méthode la plus connue chez Patrick Mouratoglou, le mythique entraîneur de Serena Williams entre autreS, est d’appuyer sur sa haine de la défaite. On pourrait croire que Serena veut tout le temps gagner, mais en vérité, son identité propre est qu’elle ne veut surtout pas perdre, en aucun cas. Pour cela, elle s’investira à son maximum chaque jour à l’entraînement, dans l’intensité et la régularité de son travail et dans tous ce qui l’entourera. Mais en match, on ne pourra plus revenir en arrière, le physique et la technique auront déjà été construits. Alors, lorsqu’elle sera en mauvaise posture, il ou elle saura, car elle trouve souvent elle-même la clef, changer des éléments pour ne pas perdre. Sa solution étant d’ailleurs souvent d’augmenter l’intensité de son jeu et des messages motivationnels, physiques et vocaux, qu’elle renvoie. Je vous recommande d’ailleurs vivement cette vidéo où elle argumente les 10 clefs du succès selon elle :
- Travaillez vers vos objectifs
- N’abandonnez jamais
- Restez calme
- Croyez-en vous
- Ayez toujours l’objectif de vous améliorer
- Construisez-vous un environnement positif
- Ayez faim de succès
- Mener ses projets étape par étape (que ce soit à l’entraînement ou en compétition)
- Préparez-vous mentalement
- S’entraîner dur.
Pour la visionner en entier avec ses explications : https://www.youtube.com/watch?v=ouYJFa2Q2w8. Si l’anglais n’est pas votre point fort, activez les sous-titres de YouTube.
Joël Filliol l’entraîneur de Vincent Luis, notre champion du monde français de triathlon a la chance de posséder au sein de son groupe les leaders mondiaux femmes et hommes. Vincent aime à répéter que sa plus grande force est de persuader ses sportifs que si chaque jour ils soutiennent la comparaison avec les meilleurs de leur discipline, alors en compétition ils n’auront qu’à reproduire ce qu’ils font à l’entraînement.
Cela peut paraitre bateau, mais la plupart des sportifs, quel que soit leur niveau vont sacraliser la compétition. Cela pourra être bénéfique pour se transcender, certes. Mais, la plupart du temps cela sera source d’anxiété et/ou de stress, pouvant provoquer de mauvaises prises de décision, une fatigue importante, des difficultés à s’endormir, une augmentation de la consommation d’énergie, etc., bref de nombreux facteurs qui tireront immanquablement votre performance vers le bas. Or, même si la compétition, l’adversité, la recherche de l’objectif pourront nous permettre de réaliser des performances exceptionnelles, elles resteront malgré tout dans les normes de vos temps de passages à l’entraînement. Si vous préparez un marathon avec quelques séances clefs, vous saurez quelles allures il devrait vous être possible de tenir le jour J. Si ce n’est pas le cas, il faudra sans doute se poser quelques questions sur votre préparation. Comment espérer performer le jour J, sans avoir été au préalable confronté à ce qui pourra se produire lors de la compétition que ce soit en terme d’allures, de physiologie, de gestion des ravitaillements, de créneau horaire, de dénivelé, de température et donc d’aspects mentaux possiblement rencontrés.
L’entraînement vise à développer différents facteurs de performance identifiés, parmi lesquels la compétition ne pourra être galvaudée, au risque de compromettre tous vos progrès. A quoi bon posséder la meilleure PMA de votre parcours sportif, si vous n’avez anticipé qu’il pourrait être problématique qu’il puisse faire très chaud sur une compétition estivale ou qu’un horaire différent à celui de vos séances pourra vous rendre moins performant. Pour ces deux exemples, s’y préparer aura autant un intérêt physiologique que psychologique.
Nous savons que sans nous acclimater à la chaleur, la thermorégulation sera moins efficace et l’efficience physiologique alors compromise. De la même façon si votre triathlon démarre tôt le matin, alors que vous vous entraînez en soirée, il sera simple de comprendre que votre rythme chronologique aura un possible impact sur votre efficacité physique.
De la même façon, votre mental ne sera pas prêt s’il n’est confronté aux éléments compétitifs que le jour J. N’oubliez pas que s’est lui qui prend les décisions et donne les ordres. Plus il se mettra en défense, sera dans la découverte, moins il vous permettra de vous libérer et d’exprimer votre plein potentiel !
Dernier exemple, Philippe Lucas. Il a souvent été présenté via les reportages qui lui sont consacrés comme un entraîneur imposant des séances extrêmes, trop difficiles. Croyez-moi pour le fréquenter depuis quelques années, si les nageurs d’eau libre qu’il entraîne ont obtenu des titres et podiums internationaux et continuent en ce sens, c’est que ses séances doivent être relativement calibrées et s’inscrivent dans un cheminement pouvant les y amener. Personnellement, au-delà de ses qualités d’entraîneur comme défini le plus souvent dans les sports d’endurance, c’est-à-dire celui ou celle construisant des séances physiques, visant principalement à un développement physiologique, je retiens en premier lieu sa capacité à rendre ses sportifs capables d’exploiter leur plein potentiel le jour J, à l’instant T et cela au travers des mots, qui trouveront écho auprès de l’humain. Pour chacun(e) le discours sera différent et encore changeant en fonction des circonstances. Fait intéressant, certaines de ses séances qui pourraient parfois paraitre comme très, trop difficiles seront des éléments qu’il utilisera souvent dans ses messages et dont ses nageurs sauront aussi se rappeler. Certes, ces séances seront difficiles, pourront sortir de ce qui peut être vu ailleurs, mais à force de les répéter, ses nageurs se persuadent qu’ils sont forts, plus forts que jamais, « inattaquables dans la tête ». Car oui, c’est bien là qu’il faudra savoir trouver des ressources insoupçonnées le jour J. Penser que c’est possible, que l’on peut encore, alors même que le souffle vient à manquer, que les muscles brulent, que notre adversaire lance une énième attaque.
La force des mots
Dans le domaine de la recherche nous utilisons parfois des méthodes placebo. Vous l’avez déjà entendu à la télévision, par exemple pour le test d’un médicament où l’on comparera les effets d’une molécule vis-à-vis d’un comprimé neutre, mais dans une condition où les sujets- cobayes ne sauront pas s’ils ont pris l’une ou l’autre pilule.
Dans les sciences du sport le placebo est également parfois utilisé. Lorsque c’est le cas cela renforcera le résultat. Imaginez par exemple une étude où vous devez avant l’effort, prendre un complément alimentaire vendu comme révolutionnaire où à l’inverse simplement tourner à l’eau. Il y a de grandes chances que les sportifs du groupe « complément » s’impliqueront plus dans l’effort que ceux venus simplement pour en baver, sans l’avantage potentiel de ce nouveau produit. A l’inverse, s’il vous est possible de cacher au sportif à quel groupe il appartient et qu’une situation écrase les autres, alors elle aura beaucoup de poids car ne sera pas influencée par votre implication mais par le groupe auquel vous appartenez.
Depuis une vingtaine d’années des chercheurs se sont intéressés spécifiquement au pouvoir de l’effet placebo et de la puissance des mots utilisés. Ils ont pour cela mesuré différentes molécules, comme la dopamine ou la sérotonine parmi les plus connues, qui agissent comme neurotransmetteurs.
Suivant les conditions, les résultats sur la performance sont parfois saisissants. Par exemple, de façon globale, un groupe sachant prendre de la caféine courra plus vite que s’il savait boire un placebo au simple goût de café, mais sans le bénéfice de la caféine. De la même façon, les sportifs(ves) seront plus rapides en prenant un placebo s’il leur est dit que le pendre améliorera leur performance. A l’inverse, s’ils sont informés que cela pourrait impacter négativement leurs résultats, ils seront souvent moins bons, alors-même qu’il pourrait s’agir d’un placebo ou même de caféine dans l’exemple du café.
Dans la recherche, cela veut surtout dire que pour que les résultats d’une étude soient justes et interprétables, il faudra au maximum proscrire ces effets positifs et négatifs pouvant influer sur l’implication des sujets et rendre les consignes les plus uniformes possible suivant les groupes.
Dans le sport se serait donc l’inverse. Il faudra d’une part évacuer tous les messages pouvant avoir un effet néfaste et renforcer ceux pouvant rendre l’athlète le meilleur possible. Exemple concret et basique, combien de cyclistes ou triathlètes ont perdu leurs moyens lorsque la pluie s’est invitée sur leur compétition ? Ils étaient pourtant prêts physiquement et tous les concurrents auront droit à la même pluie. Si elle était annoncée il sera même possible de l’anticiper dans son matériel, sa tactique, sa technique et alors les messages pourront s’inverser en se disant qu’il est possible que certains concurrents ne l’aient pas ou mal pris en compte. Si c’est un orage exceptionnel ? C’est encore meilleur car personne n’aura pu le prévoir. Donc celui ou celle qui saura penser en faire une force aura plus de probabilité d’en bénéficier que les autres athlètes qui eux freineront trop dans les virages, vireront mal, ralentiront excessivement, etc.
Deux aspects deviennent donc fondamentaux :
- Etre le plus rigoureux et juste dans son entraînement et ce qui l’entoure. Ce sont alors les apports théoriques, les apports de la science et surtout l’expérience de terrain qui permettront de tracer le chemin le plus juste pour l’athlète vers son objectif.
Cela concernera la base sans qui rien ne sera possible : un entraînement bien construit comprenant les axes de travail, l’élaboration des séances, leur agencement et la charge de travail globale.
Ensuite viendra tout ce qui l’entoure avec comme priorité la gestion du sommeil, de la nutrition et de l’hydratation ; puis seulement les potentiels éléments d’aide à la récupération, le choix du matériel, la complémentation, l’entraînement en altitude ou en ambiance chaude, etc.
- Le second sera le choix des mots. A partir du moment où l’on a fait un choix, il faudra croire en ce que l’on fait ou ce que l’on propose. Pour cela l’idéal sera évidemment de pouvoir s’appuyer sur des faits.
Lorsque la science a prouvé l’intérêt d’une technique cela pourra être un argument. On ne va pas s’entraîner en altitude parce que d’autres le font. Mais par exemple parce que la science a prouvé qu’un entraînement bien mené dans ces conditions peut être efficace pour augmenter le volume de globules rouges et la masse totale d’hémoglobine, permettre au système cardiovasculaire de transporter plus d’oxygène, améliorer la capacité tampon du muscle, soit des arguments pouvant influer positivement sur les performances en endurance.
Quand un nageur de Philippe Lucas réalise 10×800m, départ 9min, c’est un fait, il peut s’appuyer dessus et s’en resservir car elle est synonyme d’un haut niveau de performance.
Les sources de messages devront être différentes suivant les situations, le rôle et les sensibilités des personnes, mais clairement ne pas se servir de messages de renforcement positif ou de fait lorsqu’ils sont prouvés serait une erreur.
Car plus l’on se sent fort, sûr de soi et dans ce que l’on fait, plus l’on pourra exprimer. Cette technique visant à la performance, au même titre qu’une séance de VMA ou de seuil, est honnête, basée sur des preuves visant à engendrer une croyance positive dans l’efficacité du chemin employé. L’objectif étant de potentialiser la réponse des effets d’un entraînement, d’une méthode ou d’une implication. Comme pour les mots placés sur une solution expérimentale qui était en fait placebo.
Cela n’empêchera pas de modifier les plans si une erreur est constatée. Mais plus l’on maitrise ce que l’on fait, moins les erreurs seront possibles et donc plus les messages positifs pourront être adjoints aux choix entrepris.
Il est d’ailleurs intéressant de voir que plus c’est gros, plus cela peut parfois marcher. Par exemple, pour des études portant sur les effets des produits dopants, l’amélioration de performance a été montré comme plus grande pour les sportifs pensant bénéficier des effets de stéroïdes anabolisants ou d’EPO, que pour un protocole d’entraînement ou l’ingestion d’un produit énergétique. En cela, il faut comprendre que comme les sportifs s’imaginent bénéficier d’un médicament « miracle » semblant rendre les tricheurs au-dessus du lot, ils s’investiront dans l’effort comme jamais, se croyant bénéficier de pouvoirs magiques. Or, ils tourneront à l’eau car ayant pris un placebo…
Cet article est notre 100ème dans Lepape. Nous sommes pour une fois sortis des sentiers battus entraînement-nutrition-récupération dans l’objectif de démontrer que les projets de performance sont bien entendu avant tout physique et physiologique, car comme dirait Philippe Lucas « si tu bosses tu n’es pas sûr de réussir, si tu ne bosses pas tu es sûr de pas réussir », mais devront également laisser une place aux aspects mentaux sans lesquels votre potentiel physique sera sous-exploité.
Si vous n’avez pas lu les 99 premiers, il vous reste tout l’été pour les lire et si vous vous voulez d’autres infos performance n’hésitez pas à nous suivre sur nos réseaux sociaux. Prochain point dans 100 articles.
4 réactions à cet article
Errol Desfossés
c’est votre article centenaire et toujours aussi intéressant pcq précis et bien documenté, comme tous les autres merci beaucoup !!!
acognard
des éléments importants selon moi : le plaisir, tout en acceptant de savoir souffrir.
lenier
Sur l’effet placebo :
1-En lisant, je comprends que les leviers mentaux dont vous parlez interagissent efficacement lorsque sont mesurées les quantités libérées de dopamine ou de sérotonine. A quels résultats correspondent ces quantités en réalité? Avez vous un exemple concret, merci de votre compréhension.
2- Que se passe t il quand l’entraîneur ou l’expert scientifique n’est pas là pour tromper son poulain en activant des leviers mentaux placebo le menant à des ressources insoupçonnées? Sans vous en rendre compte, vous considérez les sportifs comme des jouets, jouets que vous risquez de casser en courant après un objectif idéalisé.
Le concept de ce papier est séduisant, ceci dit il réduit le sportif au rang d’objet, objet manipulé pour son bien, une option me paraissant discutable.
alain Metzler
j’ai 64ans je viens de reprendre des entrainements en forêts .et je suis seul et bien pas toujours motiver ..comment faire…