La semaine passée, nous avons évoqué l’importance de la respiration, acte semi-automatique sous le contrôle du système nerveux autonome (voir article). L’article se concluait sur la réponse ventilatoire à l’effort progressif (lors d’un test triangulaire par exemple) et nous avons montré que la ventilation ne constituait pas un frein à l’effort maximal.
Toutefois, chez les sujets présentant des troubles respiratoires comme de l’asthme à l’effort, et chez les athlètes experts très entraînés en endurance, le mauvais fonctionnement de l’appareil respiratoire à l’exercice peut constituer un frein à la performance. La pathologie la mieux décrite dans la littérature (Préfaut et al., 2000) est l’hypoxémie induite d’exercice (HIE) qui correspond à une diminution de la quantité d’oxygène, associée à une baisse de la saturation en ce même oxygène, dans le sang artériel. Ce phénomène est proportionnel à l’intensité de l’exercice et à la charge d’entraînement. Ainsi, paradoxalement, plus un athlète est capable de capter, transporter et utiliser l’O2, plus il est apte à subir une HIE qui vient péjorer sa performance. En post-effort, on observe aussi chez certains athlètes des troubles ventilatoires obstructifs. Cet asthme post-effort est heureusement un phénomène réversible. Ainsi, si la ventilation ne constitue pas un facteur limitant de la performance en l’absence de pathologies, l’apparition de troubles aux intensités supra-maximales et pour les athlètes très entraînés en endurance semble marquer les limites de la préparation physique vis-à-vis du bon fonctionnement de l’appareil ventilatoire.
La respiration naturelle, ça n’existe pas !
Après ces observations scientifiques sur la physiologie de l’appareil respiratoire à l’exercice, revenons à notre problématique de la respiration à l’effort et de l’existence éventuelle d’une bonne technique respiratoire. Si une respiration de repos contrôlée est bénéfique sur le psychisme et sur l’équilibre du système nerveux autonome, qu’en est-il à l’effort ? Tout d’abord, avec l’augmentation de l’intensité de l’exercice, la sécrétion des catécholamines (dopamine, adrénaline, noradrénaline) stimule l’activité du système nerveux sympathique aux dépens du système parasympathique. La balance sympatho-vagale est déséquilibrée. Chez de nombreux coureurs, des problèmes d’apnée et d’irrégularité de la respiration surviennent, menant parfois à une sensation d’asphyxie bien avant que la machinerie oxydative tourne à plein régime.
Ainsi, la mauvaise oxygénation tissulaire et cellulaire vient réduire la capacité de performance. La voie aérobie n’est pas sollicitée à son maximum et la voie anaérobie vient trop rapidement à son secours. Dès cet instant, et au-delà du 2ème seuil (dit d’inadaptation ventilatoire) seuls les sucres sont dégradés avec participation partielle de l’oxygène, donc avec une moindre production d’énergie dans la durée et une accumulation de déchets. L’athlète devient « lactique » même si ce jargon n’est pas approprié dans la mesure où c’est l’élévation du pH sanguin (concentration en ions H+) qui provoque l’acidose musculaire. Ainsi, la respiration à l’effort doit rester réfléchie et qualitative, et non seulement « naturelle ». En effet, même si nous avons montré que la ventilation se régule automatiquement en fonction de l’intensité de l’exercice, des facteurs comme le stress, la compétition avec les autres, la technicité du terrain et l’intensité de course, peuvent venir perturber ce fonctionnement et mettre le sujet en situation d’hypoxie. Prenons l’exemple de la descente : la nécessité de se concentrer sur le chemin et la technique met régulièrement le coureur en apnée. Si l’athlète ne prend pas conscience de ce phénomène, il se met rapidement en difficulté dans un secteur habituellement plus propice à la récupération.
De même, lorsque l’intensité de l’exercice croît et se rapproche du VO2 max, les athlètes ont tendance à se crisper et se contracter alors que c’est dans le relâchement, via une respiration appropriée, que l’effort peut se poursuivre.
Respiration et foulée
Pour autant, vouloir calquer sa respiration sur un nombre de foulées n’est pas la méthode appropriée car au final, c’est la respiration qui va guider votre rythme, alors que c’est votre intensité de course qui doit guider votre respiration, l’augmenter, la stabiliser, et parfois même la réduire. Toutefois, la réflexion sur une technique respiratoire n’est pas stérile dans la mesure où elle permet de rester vigilant sur la fluidité de la ventilation. A intensité basse, les besoins en O2 étant réduits, le temps d’inspiration est plus court que le temps d’expiration, d’où l’idée de les caler sur un nombre différent de foulées. Mais quand l’intensité de l’exercice augmente, les 2 temps se rapprochent en durée. Les inspirations deviennent plus longues et la fréquence respiratoire augmente. Bien entendu, l’inspiration par le nez est largement insuffisante et la bouche permet de capter plus d’air et donc plus d’oxygène.
En conclusion, il nous faut distinguer la respiration au repos de la respiration à l’effort. Au repos, une respiration maîtrisée, régulière et abdominale, est indispensable au bon fonctionnement de notre organisme et à la régulation du stress. L’inspiration par le nez, et l’expiration par le nez et la bouche, présente dans ce cas de nombreux avantages. A l’effort, la respiration doit s’adapter aux besoins de l’organisme. Nez et bouche sont ouverts et les muscles respiratoires (abdominaux, intercostaux, et dans une moindre mesure le diaphragme) doivent être toniques mais relâchés. Tout stress perturbant la respiration va également perturber la mécanique ventilatoire. Bien entendu, un individu ayant développé des techniques respiratoires au repos sera mieux apte à contrôler sa respiration à l’effort. Pour favoriser ces apprentissages, un bon gainage de la sangle abdominale est également nécessaire. Des activités croisées comme la natation (le crawl mais aussi la brasse) permettent d’harmoniser la respiration avec un geste technique. Ce travail de coordination, indispensable à maîtriser dans l’eau, permet de développer des automatismes à l’air libre. Enfin, il est nécessaire de se concentrer régulièrement sur sa respiration afin de reprendre les commandes. Ce biofeedback est indispensable pour que les facteurs limitants de la performance restent au niveau du transport de l’oxygène jusqu’aux muscles et de son utilisation au niveau mitochondrial, et pas au niveau pulmonaire et de la diffusion alvéolo-capillaire. Tout cela nécessite de l’entraînement et de la réflexion. No brain, no gain !