Pas facile d’organiser son entraînement aux premières chaleurs alors que l’on continue à travailler. Et pourtant, les grandes compétitions estivales arrivent et elles requièrent des préparations conséquentes en termes de volume d’entraînement et donc de volume horaire.
Pas simple non plus de débuter la saison aux Canaries ou dans l’hémisphère sud et de subir des élévations brusques de température et d’humidité. Et les accidents dus à la chaleur ne sont pas rares, mais qu’entend-on par coup de chaleur ?
La littérature distingue deux types de coup de chaleur : le coup de chaleur classique et le coup de chaleur d’exercice. Le coup de chaleur classique survient en dehors de tout effort, lors de vagues de chaleur estivale ou dans des ambiances anormalement chaudes (véhicule fermé en plein soleil, serre…). Il touche généralement les individus sensibles comme les personnes âgées et les enfants, les premières parvenant mal à s’hydrater et les seconds en raison d’un fonctionnement rénal moins efficace (jusqu’à 2-3 ans) et d’un rapport surface corporelle/poids du corps supérieur à l’adulte, engendrant des pertes d’eau cutanées plus importantes.
Le coup de chaleur d’exercice ou « hyperthermie maligne d’effort », survient au cours d’un effort musculaire intense ou prolongé, tel que ceux produits en trail, à l’entraînement ou en compétition. C’est celui que nous allons étudier à présent. Commençons par le témoignage de Sylvère Pruvost, coureur élite haut-savoyard, récent vainqueur de la Wings Life for Run en Suisse avec plus de 68 kms !
Trail des Passerelles du Monteynard en Isère, 48 km / 2500 m d+, le 21/7/2013.
Le départ est donné assez tôt 7h, donc une grande partie de la course se fera à la fraîche sur les faces ombragées du Sénépy, le point culminant de la course. Le dernier tiers se terminera sur le côté le plus exposé au soleil avec quelques zones qui auront déjà bien chauffé avant notre passage.
Côté course, tout se passera pour le mieux en menant le peloton jusqu’au 45ème km avec quand même une belle bagarre avec mon poursuivant !
…ma vue commence à faillir…
Puis arrive ce fameux moment fatidique, sur le coup je pense que c’est un simple coup de barre et que ça va revenir en mangeant et buvant car il ne me reste plus que 3 ou 4 km, alors je pense qu’au mental ça devrait faire. Mon état se dégrade très rapidement et je sens que la température monte très vite surtout au niveau du crâne. Je croise un petit cours d’eau, me trempe la tête dedans, je repars mais là c’est ma vue qui commence à faillir, je vois flou ! Finalement je n’arrive plus à mettre un pied devant l’autre ; je m’assois, quelques minutes puis repars, je ferai cela plusieurs fois jusqu’à la dernière ou je vais carrément fermer les yeux et m’endormir sans m’en rendre compte !!!
Cette journée fut très chaude avec des températures avoisinant les 30 degrés à l’ombre sur les coups de midi, l’heure où m’est arrivée cette mésaventure. Après cette hyperthermie, j’ai eu assez de mal à récupérer, environ 1 mois pour retrouver 100 % de mes sensations à l’entrainement mais le plus dur fut la semaine d’après course ou je me suis senti très fatigué.
Chaud derrière !
Si Sylvère s’en est sorti à moindre frais (sans mauvais jeu de mots), quelles sont les conditions d’apparition du CCE (Coup de Chaleur d’Exercice) et comment le définit-on médicalement ?
Les critères de définition du CCE reposent sur une analyse clinique : une hyperthermie (>39°C), une altération métabolique cellulaire et une défaillance multiviscérale.
Le CCE a bien été décrit dans le milieu militaire et les données sont recueillies depuis 1989. L’incidence globale (200 à 300 cas par an) a évolué au cours des 20 dernières années du fait du développement des activités de plein air, des sports extrêmes (triathlon, raid, trails) et des compétitions de masse. Cependant, la gravité du tableau a diminué avec une baisse de la mortalité de 20% à 5% en raison des mesures prises pour en assurer la prévention.
Les facteurs favorisant la survenue du CCE sont nombreux : en premier lieu, il y a bien entendu une température et une humidité élevées lors d’une épreuve intense ou de longue durée. Il y a ensuite l’absence de vent (pas d’évacuation de la transpiration*), le port de vêtements empêchant l’évaporation sudorale, une mauvaise hydratation avant et pendant l’épreuve, la fatigue préalable ou engendrée par l’effort, le stress, la prise de médicaments, le manque d’entraînement et d’acclimatation aux températures élevées, un effort aux heures les plus chaudes … Si ces facteurs personnels et environnementaux se cumulent au départ de l’épreuve, le risque est grand !
* Rappel thermorégulation et sudation
Pour assurer l’équilibre thermique du corps :
– par temps chaud, la circulation sanguine et la sudation s’intensifient. Mais, la fatigue et la déshydratation s’installent progressivement, augmentant les risques liés à l’hyperthermie.
Ces réactions sont accompagnées d’ajustements vasculaires, la chaleur entraînant une dilatation des vaisseaux sanguins. L’évaporation de l’eau, par les voies respiratoires et par la peau, libère beaucoup de chaleur. D’autres phénomènes comme la radiation, la conduction et la convection permettent à l’organisme de libérer de la chaleur.
L’évaporation de l’eau à la surface de la peau est le principal moyen de l’organisme pour éviter la surchauffe. Il ne faut donc pas contrarier ce mécanisme par le port de vêtements ne laissant pas passer la sueur.
Si toutes les conditions évoquées précédemment sont réunies, le risque de CCE est accru. Si vous êtes la victime de ce syndrome, il y a peu de chances que vous vous en rendiez compte car le CCE s’accompagne d’une altération de la connaissance et de troubles comportementaux. Les autres prodromes sont une démarche ébrieuse (vous titubez tel un alcoolique), de l’asthénie (perte d’énergie), une soif importante, des nausées et vomissements ainsi que des crampes musculaires. Si plusieurs de ces signes sont réunis chez une même personne, vous devez l’arrêter et prévenir de toute urgence le service d’aide médicale. Si le sujet poursuit son effort, les troubles de la conscience vont s’accentuer (confusion, coma, convulsions), la peau devient très chaude, des troubles cardio-vasculaires et respiratoires peuvent survenir jusqu’à l’accident cardiaque ou neurologique.
Au-delà de ces signes cliniques, les signes paracliniques montrent toute la gravité du phénomène. On note une insuffisance rénale (incapacité des reins à filtrer le sang et à secréter certaines hormones), une hémoconcentration (diminution du volume d’eau extracellulaire et rejet dans le sang des produits non filtrés par les reins), des troubles hydroélectrolytiques (troubles liés à des inégalités des échanges d’eau et de sodium entre les cellules et le milieu extracellulaire), une éventuelle rhabdomyolyse (libération dans la circulation sanguine des produits de dégradation des cellules des muscles squelettiques) et également une cytolyse hépatique (destruction des cellules du foie). Tous ces signes sont liés et peuvent survenir en cascade.
Ce tableau clinique peut se résoudre spontanément avec amélioration de l’état neurologique mais il peut aussi s’aggraver. Quoi qu’il en soit, le traitement initial et immédiat doit consister en un refroidissement actif, c’est-à-dire une réfrigération globale de l’individu. Les médicaments antipyrétiques (contre la fièvre) sont inefficaces et même dangereux : hépato toxicité du paracétamol dans une situation de foie de choc et toxicité rénale et plaquettaire des anti-inflammatoires (et de l’aspirine) alors que l’hémostase est déjà perturbée. Rappelons également que la prise de ces médicaments est fortement déconseillée en automédication sur les ultra-trails où l’on semble observer une propagation de la pratique.
La prise en charge des complications est également requise : inhalation, convulsions, choc hypovolémique (diminution de la masse sanguine circulante entraînant une baisse du retour veineux et une diminution du débit cardiaque).
En milieu hospitalier, la prise en charge débute par la réfrigération et peut se poursuivre par un remplissage vasculaire (perfusion sanguine par voie veineuse), une ventilation mécanique, une dialyse et une greffe hépatique selon la gravité de la situation.
Vous comprenez que le Coup de Chaleur d’Exercice peut avoir des conséquences graves et doit donc être connu et reconnu dans le milieu du trail afin de mieux le prévenir et de le traiter de toute urgence en cas de survenue.
Un coup de chaleur avec des complications graves, c’est ce qu’a vécu Johan Salomon, trailer pourtant expérimenté :
Agé de 28 ans à l’époque, avec l’expérience du long (UTMB 2005-2006, Saintélyon 6000D), je me retrouve à Arbas au départ du Trail des 3 pics, le 5 juin, dans les piémonts des Pyrénées.
Un peu fatigué par une semaine étouffante à Toulouse, (premières grosses chaleurs), je pars confiant vu l’entrainement des semaines précédentes (Montée à la Flégère 2 à 3 fois/semaine).
Dans le sac, 1,5l d’eau, des tucs, et des compotes….Très vite, on se retrouve en alpage, il fait 30°, sans vent, et sans casquette. Des conditions inhabituelles pour moi, originaire du Doubs. Beaucoup de coureurs abandonnent à cause de la chaleur (50 abandons sur 200 coureurs au départ), mais je tiens tête, le mental, ça se travaille aussi, et j’essaie de surmonter la douleur. Grosse erreur !
…je m’écroule une première fois…
A 4km de l’arrivée et après 7h30 d’effort, les difficultés passées, je m’écroule une première fois, me relève et m’écroule à nouveau, pris de convulsions. En fait, le cerveau est déconnecté depuis plusieurs km, mes phrases n’ont plus de cohérence depuis longtemps, les coureurs ne me comprenaient plus, et ce coup-ci, ce n’est pas dû à mon accent jurassien ! Très vite, des coureurs se mobilisent, préviennent les secours qui arrivent rapidement, puis le médecin qui prend la décision de m’héliporter sur St Gaudens, puis Purpan à Toulouse. Le verdict tombe, c’est une défaillance multi viscérale (reins, foie, poumons) suite à une hyperthermie maligne, connue comme le coup de chaud du sportif.
Mon corps n’a pas évacué la chaleur, la température du sang est monté à 42°, mes cellules musculaires ont explosé, provoquant une forte acidité du sang et bloquant pas mal d’organes. Je suis dans un état critique, transféré à Rangueil, il faut vite prendre des décisions pour l’autorisation d’une greffe du foie, une course contre la montre commence pour l’organisatrice et la gendarmerie pour trouver mes parents. Appel glacial le samedi soir !
Descente express Besançon – Toulouse pour voir les médecins et prendre les décisions. La greffe du foie est annulée au dernier moment, suite à une dernière prise de sang optimiste, mais je reste dans le coma artificiel jusqu’au 15 Juin. J’ai l’impression de faire un cauchemar, je ne comprends pas ce qui m’arrive. Ils débrancheront un par un les appareils (intubé, dialysé). Très vite, on s’aperçoit d’une perte d’audition de l’oreille droite, une suite de l’œdème cérébral ou l’effet secondaire des médicaments lors du coma. Peu importe, je suis en vie et c’est le principal. La suite, c’est comprendre, chercher pourquoi moi, et là, c’est très dur de trouver des réponses. Il faut aussi penser à remuscler, perte sèche de 10kg (de 76kg à 67kg), incapable de marcher ou de lever un pot d’eau. Au début marcher 5m devient un exploit puis 10m, 50m, les escaliers. En tout un mois d’hospitalisation, quatre mois d’arrêt.
J’ai repris la course à pied, avec des conditions : plus de dossards si la t° est supérieure à 25° l’été. J’abandonne plus facilement, mes limites je les ai cherchées, et je les ai trouvées !
Mes objectifs sont davantage construits, avec une progression tout le long de l’année, plus de place pour le hasard.
En 2012, j’ai terminé le Tor des Géants avec un entrainement en conséquent sur le GR20, et suis reparti en trekking au Népal et au Pérou. La forme est là, plus que jamais, la passion encore plus ancrée, avec depuis, l’organisation du Trail du Lison et du Trail N Loue.
Ce qui m’est arrivé peut arriver à tout le monde si le cocktail suivant est présent : effort intense, température élevée, absence de vent, déshydratation, fatigue.
J’ai survécu, d’autres pas, comme ce coureur dans le pays basque, un an après mon accident : même âge (28 ans), même durée d’effort (7:30), mais avec une fin tragique. Les cas se multiplient (également sur des efforts courts !), l’engouement de la pratique expose davantage de monde.
Pensez-y, quand vous vous alignerez sur un trail cet été !
Johan Salomon, 10 jours de coma post CCE
Rappelons les précautions que chacun doit prendre en cas de fortes chaleurs :
– être médicalement apte aux efforts intenses et prolongés.
– S’entraîner progressivement en conditions chaudes pour favoriser l’acclimatation.
– Réaliser les séances difficiles aux heures les plus fraîches de la journée (souvent le matin tôt)
– Etre suffisamment préparé pour aborder une compétition estivale.
– Emporter un moyen d’hydratation et s’en servir régulièrement
– Porter des vêtements adaptés, clairs pour réfléchir la lumière, et laissant passer la transpiration
– S’abstenir de s’entraîner en cas de prise médicamenteuse ou de pathologie respiratoire.
Rappelons maintenant les précautions qui doivent être prises par les organisateurs en cas de fortes chaleurs :
– Annuler une épreuve en cas de conditions climatiques exceptionnelles.
– Multiplier les points d’eau sur le parcours.
– Renforcer l’assistance médicale et favoriser la formation aux premiers secours des bénévoles.
Enfin, rappelons que si chacun doit être responsable de lui-même, il se doit aussi d’être vigilant à la santé des autres et aux comportements suspects sur une épreuve. La banalisation de l’ultra effort en période estivale augmente considérablement le risque des Coups de Chaleur d’Exercice, et donc la possibilité de décès à l’entraînement et en compétition, à des années lumières du plaisir qui doit guider la pratique de chacun quel que soit son niveau.
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Références bibliographiques
– L Bourdon, F Canini, M Aubert, F Flocard, N Koulmann, R Petrognani, C Brosset, AX Bigard. – Le coup de chaleur d’exercice revisité. Med.Armées, 2002 ;30,5 :431-8.
– M Aubert, O Deslangles. Hyperthermie d’effort, MAPAR 1997 : 611-620.
http://www.urgence-pratique.com/2articles/medic/Chaleur.htm
1 réaction à cet article
Naloufi Lamia
Ce témoignage me glace le sang . J’ai vécu une situation moins grave cliniquement parlant mais tout aussi traumatisante lors de la course de l’équipe 2017. En pleine course et à 1,400km de la fin je m’effondre.
J’aimerais savoir aujourd’hui si ce sentiment de se voir mourir est réel et justifié ou est-ce une impression conséquente à je ne sais quel process médical. Le regard affolé du secouriste continue de me persuader que je n’étais pas loin de rendre mon dernier souffle. Mais – dans mon cas – peut-être mon ignorance des mécanismes et des capacités insondables du corps humain a interprété des violentes sensations en réalités immuables…
Par rapport à la tenue vestimentaire, je tiens à préciser que les personnes prises en charges par la Croix Rouge étaient toutes – moi exceptée – habillées assez légèrement cuissard et débardeur.
***JCV***