Durant un effort physique, lorsque l’oxygène devient limité ou n’est pas suffisant pour déployer de l’énergie, de l’acide lactique se forme dans les muscles, afin de produire une quantité d’énergie bien supérieure. Plus l’effort est intense, plus il requière une production d’énergie importante, plus l’acide lactique est susceptible d’être créé.
Afin de contrôler l’intensité d’exercice et de pouvoir adapter des stratégies d’entrainement, les entraîneurs – avec l’aide des « sports scientists » – apprécient de pouvoir estimer les impacts énergétiques de leurs séances. Pour cela, ils ont besoin de savoir comment développer les systèmes aérobie et anaérobie de leurs athlètes. L’un de ces moyens est de mesurer le seuil anaérobie… Aidons-nous de l’article de K.Svedahl et B.MacIntosh pour nous éclairer un peu plus sur ce concept…
Qu’est-ce que le seuil anaérobie ?
« Le seuil anaérobie correspond au plus haut niveau d’intensité d’effort physique dont l’énergie provient exclusivement du métabolisme aérobie. Au niveau du seuil anaérobie, la quantité de lactates diffusés dans le sang est égale à la quantité de lactates qui en sort ».
Il existe plusieurs façons d’estimer ce fameux seuil anaérobie. Toutefois, selon la façon de le mesurer, le vocabulaire utilisé n’est pas forcément identique. C’est pourquoi il semble important de préciser de quoi nous parlons. Réalisons une petite synthèse terminologique afin de nous mettre tous d’accord :
Quelques définitions :
Seuil anaérobie :
Le terme « anaérobie » implique une notion d’intensité de l’effort, impliquant une forte masse musculaire, où la production d’oxygène n’est plus suffisante pour fournir l’énergie demandée par l’exercice.
Etat stable :
Il est défini comme la plus haute intensité d’exercice où la concentration de lactate sanguin n’augmente pas durant un exercice constant. En quelque sorte, c’est l’état d’équilibre entre la production de lactates qui est égale à son élimination.
Vitesse de lactatémie minimum :
Elle symbolise la vitesse de déplacement à laquelle la lactatémie atteint une valeur minimale durant un test incrémenté (progressif par paliers).
Seuil lactique :
C’est l’intensité d’exercice qui est associée à une augmentation significative de la production de lactates sanguin durant un test incrémenté. Plusieurs techniques mathématiques peuvent permettre de le mesurer, qui elles-mêmes portent des noms différents (voir ci-après).
Point d’inflexion du lactate sanguin :
Il est défini comme l’intensité d’exercice qui induit une lactatémie de 4mmol/L pendant un test incrémenté (ou à toute autre niveau de lactatémie que l’on souhaite fixer).
Seuil individuel anaérobie :
C’est une version individualisée du seuil lactique qui correspond toujours à l’intensité d’exercice associée à une augmentation de la lactatémie. Cette technique utilise une observation de la courbe de lactatémie en fonction de la vitesse durant un test incrémenté.
Seuil ventilatoire :
Il se caractérise par une augmentation forte de la ventilation qui devient disproportionnelle par rapport à l’augmentation de l’intensité de l’exercice durant un test incrémenté.
Après toutes ces définitions, nous comprenons bien que le seuil anaérobie suscite un intérêt particulier pour délimiter des zones d’effort, d’intensité, qui donneront ensuite des pistes de travail aux entraîneurs ainsi qu’à leurs sportifs. Essayons de revenir sur les interprétations que peut apporter le suivi du seuil anaérobie.
Pourquoi quantifier le seuil anaérobie ?
L’un des principaux objectifs de l’estimation du seuil anaérobie est de pouvoir contrôler le niveau d’endurance des sportifs. D’ailleurs, il a été démontré que la vitesse associée au seuil anaérobie est fortement corrélée avec la capacité à maintenir un fort pourcentage de VO2max dans le temps. Cette intensité sous-maximale est donc assez facilement contrôlable et donne un bon indice de performance en endurance.
Qu’est-ce que La VO2max ?
Puis, l’ensemble de ces mesures permet d’indiquer comment les différents systèmes énergétiques sont utilisés par les sportifs. C’est à dire qu’avec ces informations, l’entraîneur est en capacité de dire si son athlète doit améliorer sa capacité aérobie, ou bien sa puissance anaérobie par exemple. Cette estimation permet de donner des orientations différentes à son entrainement. Mais pour cela, la méthode de recueil doit être reproductible, fiable, afin de mesurer le seuil anaérobie avec précision. Plusieurs approches sont donc possibles…
Ensuite, l’identification de ce seuil permet aussi de pouvoir marquer des intensités d’effort. Généralement, nous considérons qu’une vitesse située en dessous du seuil anaérobie correspond à une intensité basse. Celle se rapprochant du seuil anaérobie correspond davantage à une intensité modérée. Enfin, une vitesse supérieure sera considérée comme une intensité sévère. Avec cette identification de l’intensité, l’entraîneur pourra alors plus facilement gérer sa charge d’entrainement et planifier des séances adéquates associées avec des repères marqueurs de l’intensité (lactatémie, fréquence cardiaque, questionnaires de fatigue, etc…).
Comment le mesurer ?
Deux méthodes principales se différencient, soit nous pouvons mesurer le seuil anaérobie en prescrivant un exercice continu durant une durée relativement importante sur une intensité stable, soit en proposant un test incrémenté en augmentant l’intensité de l’effort palier par palier. Bien entendu, ces méthodes – notamment la seconde – se déclinent de différentes manières. Selon le protocole établi, elles donneront alors un nom différent au seuil anaérobie mesuré.
La première méthode consiste donc à réaliser un effort continu à une intensité donnée. La durée doit être au minimum de 20 minutes, alors que 30 minutes sont plus souvent utilisées. La lactatémie est alors collectée régulièrement (et rapidement) au cours du test. Plusieurs sessions peuvent être lors requises puisqu’il faut trouver l’intensité qui implique une stabilisation de la production de lactates dans le sang. Si la lactatémie augmente pendant le test, cela signifie que l’intensité est trop forte. Si elle diminue, cela veut dire que le sportif est dans son système aérobie exclusivement. Généralement, afin d’estimer l’état stable de lactatémie, on considère qu’il ne faut pas un changement de lactatémie supérieur à 1mmol durant les 20 dernières minutes du test. Sur le plan pratique, avec un peu d’expérience dans l’utilisation de ce test, l’entraîneur peut ordonner à ses athlètes de fournir un effort d’une intensité correspondant à l’état stable. Ensuite, il pourra estimer les progrès en observant la vitesse et la lactatémie des sportifs.
Figure 1. Evolution de la lactatémie sanguine au cours du temps selon 3 tests différents : sous l’état stable (diamants), à l’état stable (carrés), au-dessus de l’état stable (triangles).
Cependant, cette façon de faire demande beaucoup de temps, et nécessite de le répéter très régulièrement. Sur le plan pratique, cela ne correspond pas souvent à ce que souhaitent les entraîneurs. A ce titre, de nombreux « sports scientists » proposent des tests incrémentés, qui permettent de mesurer un seuil plus rapidement, de façon plus ludique et parfois de manière plus précise. Plusieurs grandes techniques permettent cette mesure.
La principale façon de mesurer ce seuil dans la littérature scientifique est d’observer le moment où la lactatémie augmente de façon exponentielle par rapport à la vitesse (ou l’intensité de l’effort).
La première façon est d’observer graphiquement le point d’inflexion de la courbe que l’on appelle souvent « courbe lactate – vitesse ». Cette mesure est complétée par des modèles mathématiques qui permettent de mettre chaque valeur de lactatémie en équation avec leurs vitesses associées.
Puis, il est également possible de définir une lactatémie arbitraire. Il est ensuite aisé de comparer d’un test à un autre, la vitesse associée à 4mmol/L par exemple. Toutefois, cette approche consiste à dire que le seuil anaérobie se situe autour de 4mmol, ce qui n’est pas l’avis de tous les experts sur la question.
Il est également possible de réaliser un test incrémenté qui est suivi d’une période de repos passif, dans lesquels la concentration de lactate sanguin est mesurée durant les deux phases. Cette technique représente un modèle dérivé de la diffusion et de l’élimination du lactate sanguin. Cette méthode a aussi comme avantage de ne pas obliger de fournir un effort maximal.
Figure 2. Une courbe typique de l’évolution de lactatémie durant un test incrémenté. Elle montre une augmentation exponentielle de la lactatémie lorsque l’intensité augmente. Les critères objectifs de détection du seuil anaérobie sont montrés ici : courbe avec tirets (fin de la linéarité), courbe aux 4mmol (point d’inflexion fixé à 4mmol), courbe continue (seuil individuel anaérobie correspondant à la tangente de la courbe de lactatémie).
Enfin, de la même manière que la lactatémie peut être collectée, nous pouvons recueillir les données ventilatoires d’un sportif pendant un test incrémenté. En observant l’évolution de cette ventilation, nous pouvons observer le moment où la ventilation subira une augmentation non linéaire par rapport à l’intensité, ce qui correspondra au seuil ventilatoire.
Conclusion
Le concept de seuil anaérobie est connu de tous mais semble signifier plusieurs choses à la fois. Malgré une absence de consensus sur la question, on peut le définir comme une valeur qui indique que l’oxygène n’est pas suffisant pour produire l’énergie demandée, il y a une augmentation de la production de lactates dans le sang. D’un aspect pratique, il est important que les entraîneurs, chercheurs et sportifs soient bien conscients des différents termes utilisés dans la littérature, et de la façon dont les tests sont réalisés, afin de pouvoir utiliser un bon prédicteur du seuil anaérobie. Une incompréhension des différents termes utilisés pourrait engendrer de précieuses erreurs d’interprétation. Enfin, selon la culture d’une discipline sportive et les moyens à disposition, les entraîneurs n’utiliseront pas du tout les mêmes méthodes pour mesurer le seuil anaérobie. @RobiinRoad
Svedahl, K., and MacIntosh, B.R. (2003). Anaerobic threshold: The concept and methods of measurement. Can. J. Appl. Physiol. 28(2): 299-323.