Idée reçue : L’inégalité de longueur des membres inférieurs entraine des pathologies de l’appareil locomoteur chez le sportif

Un peu de définitions

Au niveau médical, on différencie : Les véritables inégalités de longueur des membres inférieurs qui sont supérieures à 2 centimètres (maladie rare 1 pour 1000 sujets), des petites inégalités de longueur, égales ou inférieures à 2 cm, en station debout, qui est une anomalie très courante (40 à 70 %  de la population).

Bien évidemment, cette limite, 2 centimètres,  peut-être discutée d’autant qu’il faut différencier :
– les inégalités de longueur vraie (la structure osseuse d’un membre inférieur est plus courte que celle du membre controlatéral), il s’agit donc d’un raccourcissement ou d’un allongement réel de l’os
– des inégalités fonctionnelles par une attitude, en statique ou en dynamique, entraînant un déséquilibre droit/ gauche.

Nous ne traiterons, dans cet article, que des « petites inégalités »,  inférieures ou égales à 2 centimètres.

L’inégalité de longueur des membres inférieurs (« une jambe plus courte que l’autre ») est généralement présentée comme une des causes des pathologies de l’appareil locomoteur du sportif, notamment  du coureur à pied. De ce fait,  la correction partielle de l’inégalité (port d’une semelle) est souvent présentée comme un « remède » face à des nombreuses plaintes tendineuses, musculaires, articulaires, … du sportif.

Cette idée reçue est largement recevable car on peut penser que cette inégalité, face à des milliers de foulées,  entrainent des contraintes anormales, sources de douleurs, au niveau de l’appareil locomoteur.

En effet, la différence de hauteur, entre les deux membres inférieurs, peut générer  des troubles statiques et  dynamiques, à leur niveau  mais aussi au niveau du rachis :

1. Statique : si la jambe la plus courte n’est pas compensée,  les épines iliaques sont, de ce côté,  plus basses ;  le sacrum n’étant  plus horizontal, il existe une attitude scoliotique et une possibilité de scoliose vraie (déformation du rachis). Outre l’obliquité du bassin,  l’inégalité pousse à une compensation :

  • Au niveau de la jambe la plus courte par une augmentation de l’extension du genou, une augmentation de la flexion de la cheville, une supination du pied  et /ou un ensemble de tout cela.
  • Au niveau de la jambe la plus longue par une flexion du genou, une pronation du pied ….

2. Dynamique : l’inégalité modifie la répartition et la force de l’impact mécanique sur l’appareil locomoteur. Il semble logique de penser que le temps d’appui et donc la foulée sont réduits du côté de la jambe courte entraînant une vélocité inférieure et une augmentation de la cadence de ce côté. Une étude électromyographique a montré que les muscles du membre inférieur le plus court ont une activité supérieure que ceux de l’autre membre (controlatéral.) De plus, la pression transmise au niveau de la hanche, du membre le plus long, est supérieure à celle du membre le plus court. Cette augmentation serait due à une diminution de la surface de contact articulaire (entre le fémur et le cotyle) et à une augmentation de la tension des adducteurs, due à la différence de longueur.

Tout ceci « expliquerait », pour certains (idée reçue ?), les douleurs lombaires, les tendinopathies, les douleurs articulaires de hanche, du genou, de la cheville, les fractures de fatigue… De ce fait,  une correction plus ou moins complète de l’inégalité (port d’une semelle) améliorerait le rapport de force entre la jambe la plus longue (appui plus fort) et la jambe courte (appui plus faible) et résoudrait les pathologies. D’autant que chez le sportif,  l’inégalité de longueur des membres inférieurs  entraînerait une foulée moins académique avec  une dépense énergétique supérieure à celui qui a une foulée académique (sans inégalité de longueur de membres inférieurs). Cette augmentation de la dépense énergétique expliquerait des performances plus faibles !

C’est oublier d’autres éléments importants :

1. L’inégalité de longueur de membres inférieurs, égale ou inférieure à 2 cm, est un problème commun puisque retrouvé, selon les études, entre 40 et 70 % de la population (cette variation est due aux « systèmes de mesure », cf. n° 2). Est-ce que 70 % des coureurs à pied sont « anormaux » et doivent être appareillés par des orthèses plantaires (semelles)  puisqu’ils ont une inégalité de longueur des membres inférieurs ?  Ne sont ce pas les 30%, égaux au niveau de membres inférieurs, qui sont « anormaux »,  car en minorité ?

2. Existe-t-il vraiment une inégalité ? Sait-on réellement quantifier une différence de longueur entre les membres inférieurs ? La réponse est globalement non. Car  les inégalités de longueur vraie c’est-à-dire une différence entre la structure osseuse d’un membre inférieur mesurée à celle du  membre controlatéral est  difficile à faire en pratique médicale courante. Seuls certains examens, qui  sont rarement prescrits,  mesurent, avec une erreur « acceptable »,  un raccourcissement ou un allongement réel de l’os. En effet, souvent,  le diagnostic d’inégalité de longueur des membres inférieurs  est fait sur une radiographie, simple, de bassin. En fait, s’il y a  une « inégalité » cela veut simplement dire qu’il existe un défaut d’horizontalité des têtes fémorale et non une réelle inégalité des membres. Cette « mesure » est donc fausse.

3. La compensation dynamique, naturelle : l’ensemble des  études médicales montre que le corps compense les inégalités,égales ouinférieures à 2 centimètres, sans problème majeur. Cette compensation s’installe « naturellement » en parallèle à  la « création lente» de l’inégalité (période de croissance).

4. La différence qui existe entre la marche et la course et surtout  la course en conditions réelles (trail notamment). Dans la course,  il se crée une oscillation verticale  importante ;  à  chaque foulée,  il faut décoller puis atterrir, sur un pied. Il n’y a pas d’appui bipodal  pendant la course donc l’inégalité des membres inférieurs n’existe pas d’autant que la course se fait sur un terrain « non plat » dans la majorité des cas (seul, le tapis de course est plat !).

Alors, idée reçue ou pas ?

Il existe une abondante littérature scientifique sur ce sujet. Mais, globalement, il existe encore beaucoup de controverses en regard d’une corrélation entre une asymétrie de longueur des membres inférieurs et leur lien direct avec les plaintes musculo-squelettiques du sportif.  A ce jour, la relation entre ces deux  éléments doit être interprétée avec beaucoup de précautions car il n’y a pas de preuve directe trouvée mais juste une coïncidence dans certaines études. En fait, comme il a déjà été dit,  le sujet, sportif ou non, est capable d’une grande adaptation à son inégalité de membres inférieurs. Par contre, le sujet plus âgé, face à une nouvelle inégalité des membres inférieurs (pose d’une prothèse de hanche par exemple), aura énormément de difficultés à s’adapter à cette récente asymétrie.

Deux pathologies sont plus étudiées : les douleurs lombaires et les fractures de fatigue des membres inférieurs :

–   Sur la pathologie  lombaire, il y a une volumineuse littérature assez controversée sur une éventuelle responsabilité de l’inégalité de longueur des membres inférieurs. Certaines études montrent qu’il existe un lien entre une inégalité de longueur des membres inférieurs et les douleurs lombaires mais d’autres études réfutent  cette association.  Malgré toutes ces études publiées, on ne peut affirmer que les douleurs lombaires du sportif sont dues à son éventuelle asymétrie de longueur des membres inférieurs

–  Par contre, la littérature  semble plus affirmative sur les fractures de fatigue des coureurs à pied en effet ;  il a été montré que :

  1. il existe plus de fracture de fatigue en cas d’inégalité de membre inférieur.  Cette dernière  est donc un facteur de risque de fracture de fatigue, notamment chez les athlètes féminines.
  2. Il a été montré aussi que les fractures de fatigue survenant sur le fémur, le tibia, le métatarse (le pied)  sont plus fréquentes sur la jambe la plus longue (73 % des cas) ; cette incidence plus forte sur la jambe la plus longue semble corrélée avec les forces de transmission plus importantes sur cette jambe.

En pratique : faut-il traiter une inégalité des membres inférieurs ?

La réponse est plutôt non.

Si le sportif ne se plaint de rien et que l’on découvre une inégalité, il faut ignorer cette découverte ; surtout ne rien faire.

Si le sportif  présente une plainte de l’appareil locomoteur,  il ne faut pas prendre la décision de réduire systématiquement  une asymétrie (par une orthèse plantaire) même s’il existe  une « inégalité » sur la radiographie de bassin ; on ne traite pas une radiographie. On ne peut affirmer que cette asymétrie est la cause certaine de la pathologie. L’examen clinique s’impose pour chercher d’autres causes et évaluer l’asymétie, la statique habituelle du patient. Lors de cet examen, il faudra éventuellement corriger les asymétries en demandant au patient de se tenir droit et de contracter les muscles abdominaux, notamment. Par différents repères anatomiques, il est possible d’objectiver une asymétrie lors de cet examen statique. L’examen dynamique est indispensable chez le sportif. Mais il est difficile d’objectiver une réelle asymétrie à la marche et encore plus à la course,  pour beaucoup d’examinateurs. Après avoir éliminé des raideurs articulaires ou musculaires, il faudra essayer de mesurer cliniquement les inégalités de longueur des membres inférieurs. Cette mesure sera de toute façon généralement inexacte. Mais les examens complémentaires et notamment la radiographie du bassin sont également source d’erreur, comme il a déjà été dit.

On le répète, compte tenu des connaissances scientifiques actuelles,  on ne sait pas si l’asymétrie de longueur joue  un rôle sur les plaintes formulées par le sportif ; donc prudence dans la décision d’une correction de l’inégalité.

Pourtant, souvent,  la cause est entendue : le sportif se plaint, par exemple, d’une tendinopathie. On trouve une inégalité des membres inférieurs sur une radiographie de bassin. On décide que cette douleur tendineuse est due à l’inégalité de membres inférieurs. On prescrit une semelle orthopédique. En fait, cette imputabilité et donc cette prescription sont discutables.

En conclusion : il s’agit plutôt d’une idée reçue car aucune étude scientifiquement valable ne montre un lien direct de causalité entre une petite inégalité de longueur des membres inférieurs et l’ensemble des pathologies de l’appareil locomoteur du sportif. De plus, aucune étude scientifique n’établit une relation entre l’inégalité de longueur des membres inférieurs et une plus grande proportion de blessures, durant une activité sportive. Les sportifs avec une  inégalité ne se blessent pas plus que ceux sans inégalité.

Ceci peut  être du à deux raisons :

  • la première est que le sportif est « constitué de la sorte » et s’est adapté à cette différence de hauteur. Il existe une adaptation physiologique à long terme par le système neuromusculaire chez les sujets qui ont une inégalité réelle des membres inférieurs.
  • La deuxième est que, égale ou inférieure à 2 cm,  l’inégalité peut être considérée comme une situation quasi normale puisque touchant une grande majorité de la population ; corrige-t-on une normalité ?

En fait, il faudrait davantage de recherches scientifiques pour réellement connaître les effets  biomécaniques d’une inégalité de longueur des membres inférieurs. Car, pendant la course à pied, il existe bien d’autres éléments susceptibles d’entraîner une pathologie que la simple inégalité de longueur des membres inférieurs. Les études sont difficiles à faire car des travaux  montrent que l’on ne peut pas comparer une inégalité de membres inférieurs réelles (celle du patient) et une inégalité artificielle induite par une talonnette (chez un patient sans inégalité de longueur de membres inférieurs), pour une étude expérimentale.

Une inégalité est un facteur étiologique possible face aux  blessures de surmenage, notamment les fractures de fatigue. Il est possible que ces fractures n’apparaissent que pour une certaine dose d’efforts. L’inégalité de longueur des membres inférieurs serait normalement supportée, sans aucune douleur, pendant plusieurs années et deviendrait symptomatique après une certaine période. Cela rejoindrait l’usure inégale (arthrose) des genoux  et/ou une arthrose de hanche sur la jambe la plus longue. Certaines études montrent aussi des aponévrosites plantaires plus fréquentes au niveau des jambes les plus longues et également une relation avec des bursites trochantériennes.

Enfin, la réflexion qui est souvent donnée par les sportifs est : « même si cela ne me fait pas de bien, je ne prends pas de risque à mettre une semelle  ». On ne peut totalement cautionner cette affirmation. Cette semelle peut créer, à moyen ou long terme, un changement biomécanique responsable d’une autre pathologie. Mais on ne peut rien affirmer.

Conclusion vouloir changer « son naturel »,  porter une semelle  et donc créer  « une réduction artificielle » d’une inégalité « normale » des membres inférieurs doit être l’exception.