Une nouvelle médecine, une nouvelle approche : « evidence-based-medicine »
La médecine fondée sur les preuves (en anglais « evidence-based-medicine ») est une notion assez récente qui a été introduite dans les années 1980, par les Anglo-Saxons. Cette nouvelle médecine, basée sur les faits, qui existe donc depuis une trentaine d’années, introduit la recherche scientifique comme pivot de la décision médicale. Cela implique une rigueur notamment dans le niveau de preuve scientifique : pour affirmer quelque chose ou valider une hypothèse, il faut des résultats statistiques valables dans le cadre d’un essai ou d’une recherche bien conduite. On l’ignore souvent mais le monde médical a été bouleversé par cette exigence de preuves.
Tous les médecins sont, depuis un quart de siècle, face à cette mini révolution : la médecine n’est plus un art mais une science.
Cette révolution n’est pas encore totalement acceptée, ou tout au moins reste discutée, dans le monde médical et surtout paramédical. Pourtant, grâce aussi aux progrès sans précédent des techniques d’exploration de ces 25 dernières années, la médecine fondée sur la preuve paraît s’imposer à tous.
En effet, l’apparition de l’échographie, du doppler, du scanner, de l’IRM, du TEP- scan … etc, l’amélioration des techniques (endoscopie, arthroscopie, imagerie interventionnelle, navigation chirurgicale, …) et d’autres progrès à venir renforcent le modèle scientifique au détriment des données contextuelles. Mais ces dernières, à savoir l’être humain dans sa complexité et tout ce qui l’entoure (le contexte social, culturel, économique, sportif, ….) restent bien évidemment essentielles car on ne « traite » pas un scanner, par exemple, mais un patient.
Voilà donc les bases de la médecine moderne et cet équilibre à trouver entre les faits scientifiques et les données contextuelles, cette relation qui doit s’établir entre le médecin et le patient. Car le soignant, malgré une attitude moderne donc scientifique, doit mettre le patient, avec ses particularités, au centre de la décision médicale.
La gradation de preuves scientifiques et donc de recommandations médicales est à 3 niveaux :
- Niveau A : recommandation élevée : preuve scientifique établie
- Niveau B : recommandation intermédiaire : preuve scientifique probable
- Niveau C : données scientifiques insuffisantes pour justifier une recommandation
En fait, en médecine du sport et surtout en traumatologie du sport, il existe plus de pratiques relevant du niveau C que du niveau A. Pour le dire plus directement : on parle beaucoup mais on ne sait pas grand-chose, en traumatologie du sport.
Essayons de comprendre pourquoi…
La médecine du sport
La médecine du sport existe également depuis environ 30 ans. Bien évidemment, quelques médecins s’occupaient des sportifs de haut niveau, avant les années 80, mais l’exercice était marginal.
Par ailleurs, il y a encore quelques années, ils existaient une confusion entre les médecins du sport et les médecins sportifs. En fait :
- Les médecins du sport sont des médecins qui ont fait une formation complémentaire, spécifique, d’étude médicale.
- Les médecins sportifs sont des médecins généralistes ou d’une autre spécialité (médicale ou chirurgicale) qui pratiquent un sport et, même s’ils connaissent bien la pratique et la technique de ce sport, ne sont pas médecins du sport.
Ils existent aussi quelques médecins du sport qui sont ou étaient des sportifs de bon niveau.
Au niveau médical pur (aptitudes au sport, performances physiologiques, limitations à l’effort, …), les médecins, physiologistes, chercheurs en STAPS, entraîneurs ont beaucoup collaboré et amélioré la compréhension de l’athlète à l’effort. Les mesures de laboratoire et les tests de terrain sont maintenant bien connus et partagés par tous et permettent de suivre les aptitudes et les progrès du sportif, en fonction de ses entraînements. Enfin, les progrès de la cardiologie du sport, notamment, renforcent aussi les connaissances sur les limites et les dangers de certaines pratiques sportives.
Mais, nul besoin de le cacher, ces progrès de la compréhension de l’homme à l’effort ont induit aussi des pratiques déviantes. En effet, quelques médecins et autres entraîneurs ont utilisé les connaissances modernes et les progrès de la pharmacologie pour améliorer artificiellement certains paramètres des sportifs : c’est le dopage moderne qui date aussi de 25 ans. Rappelons que l’érythropoiétine -EPO- recombinante a été commercialisée, fin des années 8O, pour les malades (insuffisants rénaux et malades sous chimiothérapie pour cancers).
Au niveau traumatologique, les progrès scientifiques sont plus discutables et l’empirisme de terrain reste très marqué chez les sportifs, les entraîneurs, les paramédicaux. Pourquoi ? En fait, pour mener une étude médicale, il faut que le « médecin-chercheur » soit dans une structure de recherche qui établit, guide, surveille l’évolution du travail puis collige et publie les résultats de cette étude. En France, cela ce fait principalement dans les CHU (centres hospitaliers universitaires) qui ont pour mission, en autres, de réaliser des recherches scientifiques, médicales. Or il existe peu de services de médecine du sport dans les CHU français ; c’est la première limite. De plus, pour faire de la recherche, il faut des patients, ici des sportifs. Pour la pathologie traumatique (blessures articulaires, tendineuses, musculaires), les sportifs se dirigent peu vers les CHU (qui, on le redit, ne sont pas toujours équipés pour les accueillir). Comment voulez-vous qu’un « chercheur » travaille, par exemple, sur la lésion musculaire aiguë du sportif (claquage) s’il ne voit jamais ou peu de sportifs « claqués » ? Le chercheur aura beaucoup de difficultés à regrouper une cohorte (population) suffisante pour faire un travail scientifique, statistiquement valide.
On voit donc qu’en France, la recherche, notamment sur la traumatologie du sport, reste perfectible. Mais « la mondialisation » est également médicale (d’ailleurs, il n’existe pratiquement plus de revue scientifique médicale en langue française) et d’autres pays travaillent sur les preuves scientifiques essentielles à la traumatologie du sport, moderne, du 21ème siècle.
Malgré tout, comme il est déjà dit, les preuves de niveau A sont rares.
Il faut donc garder beaucoup d’humilité devant toutes les affirmations des uns et des autres d’autant que même la science est fragile et évolue vite. Je vous invite à lire ce qui est écrit sur ce site sur une « banalité sportive » qu’est la douleur du tendon d’Achille … et le manque de preuve tangible sur les traitements, équipements, techniques sportives, ….qui envahissent pourtant le monde sportif.
Un cas particulier ne prouve rien et même « une croyance ou tradition sportive » doit être revue dans un cadre scientifique (relisez ce qui est dit sur ce site sur le soit disant intérêt des étirements sur la prévention des blessures de l’appareil locomoteur). Beaucoup de techniques ou pratiques paramédicales manquent cruellement de secteur de recherche pour donner quelques preuves solides. Citons quelques exemples, on ne sait toujours pas si :
- l’acupuncture a un quelconque intérêt dans une entorse aiguë de cheville
- la semelle orthopédique est utile ou non dans un syndrome de l’essuie glace du genou
- si un acte d’ostéopathie est efficace ou non dans une pubalgie.
En traumatologie du sport, beaucoup de théories sont proposées, peu font l’objet d’une vérification scientifique et rares sont celles qui sont réellement validées.
On rejoint là la difficulté déjà citée entre la médecine moderne (evidence based medicine) et les données contextuelles qui sont essentielles chez le sportif et notamment le compétiteur de haut niveau : pourquoi un sportif a-t-il la capacité à passer au dessus d’une douleur ou d’une lésion de son appareil locomoteur alors qu’un autre est plongé en zone de doute à la moindre mauvaise sensation sur un tendon ou une articulation ?
En conclusion, on le répète, il faut beaucoup d’humilité et avouer nos limites qui sont grandes face à l’exigence d’une médecine moderne. Mais cette dernière n’empêche nullement l’aide d’outils « moins scientifiques » car notre rôle de soignant est de soulager le patient, le sportif, dans son contexte. Malgré tout, il est urgent pour les médecins du sports, kinésithérapeutes, podologues, entraîneurs, … et autres intervenants de faire de l’éducation thérapeutique à nos sportifs pour dépoussiérer certaines affirmations empiriques, parfois sous-tendues par un certain mercantilisme.