Ressenti et performance : implications à l’entraînement et en compétition (4ème partie)

Compétition : aux limites du raisonnable

Jusqu’au jour de l’épreuve, on aura donc recherché d’abord l’incongruence entre les indices objectifs et subjectifs de l’effort, puis leur nouvelle congruence en période d’affûtage. Et ce sur autant de cycles d’entraînement que souhaité. Lors de la course, néanmoins, c’est la logique inverse qui pourrait curieusement s’avérer judicieuse. C’est-à-dire employer d’abord des repères connus, avant de rechercher le décalage.

Cette logique devient plus évidente dès lors que l’on se projette dans les premiers instants de l’épreuve : des adversaires remontés à bloc, un public aux aguets, une fatigue encore peu présente, et l’ambition de la performance ! Bref, tous les ingrédients pour finalement se retrouver distrait, ne plus s’écouter, et partir sur des schémas de course totalement… inopportuns. Car l’expérience d’un départ trop agressif, c’est à coup sûr celle d’une seconde partie de course accrochée au mental… si seulement on termine l’épreuve.

C’est précisément dans ce cadre que les repères externes (FC, GPS, etc.) précédemment re-calibrés peuvent reprendre du sens. Dans le fait de nous permettre de faire abstraction des distractions de la course pour s’efforcer de maintenir un focus attentionnel sur une donnée neutre : celle des capteurs. S’efforcer de faire abstraction ! Un impératif dans ce genre de situation, sous peine de se laisser facilement embarquer sur un faux rythme pensant que tous les voyants resteront au vert.

Un rythme en réalité décalé par rapport à notre potentiel, dont les symptômes sont encore masqués par l’euphorie du début de course…  Temps et watts au kilomètre peuvent dans ce contexte devenir de précieux alliés, pour éviter un emballement physiologique prématuré dont on paiera rapidement le prix. En somme : on doit se mettre à viser nos nouvelles allures d’entraînement. Et on peut/doit s’équiper pour cela (cardio, temps au kilomètre, montre GPS, capteur de puissance,…).

Le jour de la course, agir avec cette tempérance (autrement dit, dans la sécurité) plutôt que dans l’excitation de l’incertitude (autrement dit l’incongruence) peut donc s’avérer chose utile. L’individualisation des efforts n’est en effet pas qu’une question à poser à l’entraînement, mais aussi lorsqu’il s’agit de stratégies d’allures. Car on ne finira pas derrière notre concurrent direct parce qu’on est parti moins vite… on finira derrière parce qu’on aura adopté un rythme qui nous est inapproprié. Et le plus frustrant dans tout cela, c’est qu’on ne l’aura pas vu venir, alors même que l’on avait à portée de main les outils pour nous prémunir d’une telle déchéance, pour coller à nos repères et nous exprimer pleinement.

RPE : quand rien ne va plus

Un bémol toutefois à ces propos. Quand bien même minimiser les décalages entre repères objectifs et subjectifs semble d’abord intéressant en début/milieu de course, n’oublions pas que chaque record – même les nôtres ! – reste établi sur la base d’une incongruence. Autrement dit sur la base d’une gestion d’allure que l’on n’avait pas anticipée. Qui peut en effet planifier qu’il va écraser tous ses chronos…? Contrairement à la logique sécuritaire de début de course, la logique inverse pourrait donc ensuite s’avérer prometteuse : celle du dépassement de soi.

À priori, générer une telle dissonance vis-à-vis de nos repères va à l’encontre de ce que l’on avançait plus tôt (cf. parties précédentes). En effet, dans cette logique, on atteindrait de façon trop précoce les valeurs hautes du RPE, ce qui nous contraindrait à réduire l’allure pour espérer terminer la course.

Pour autant, aujourd’hui, plusieurs stratégies sont reconnues pour leur faculté à abaisser le RPE pour une intensité d’exercice donnée. Autrement dit, ces interventions ont le potentiel d’entretenir une sensation d’effort connue (un RPE stable) pour une allure effectivement supérieure. Une fausse congruence en quelque sorte…

D’un point de vue expérimental, le rinçage de bouche régulier (~10 secondes toutes les 10 minutes) avec des boissons fraîches et sucrées, l’imagerie mentale (pour « se sortir de la course »), ou la recherche de facteurs motivants (public, musique, partenaires, auto-encouragements, fixation de buts à court-terme) ont ainsi démontré leur efficacité5 sur la performance en endurance. Les placebos individuels ne manquent aussi pas, chacun pouvant puiser dans sa propre expérience de quoi s’inspirer…

Dans la mesure où ces stratégies sont à même de fausser les repères internes, on comprendra alors pourquoi elles sont à proscrire à l’entraînement – hormis si l’atteinte des limites physiologiques est recherchée. De même, les utiliser en permanence sur toute la durée de l’épreuve pourrait les amener à perdre à efficacité (suggérant ainsi une utilisation avec parcimonie).

Au regard des parties développées, on pourrait conclure ainsi : pour décider lucidement si les sensations éprouvées en course sont normales, prometteuses ou peu encourageantes, il semble qu’il faille d’abord les resituer dans leur contexte. Celui des phases précompétitives ou compétitives. Un contexte où la question de la congruence des repères internes/externes doit donc être confrontée à celle des étapes de la performance. Alors, sortir ou ne pas sortir de sa zone de confort ?

Références
5Millet. Can neuromuscular fatigue explain running strategies and performance in ultra-marathons ? The Flush modelSports Medicine. 2011