Cétones : une étude de plus… et toujours pas d’intérêt

 

La supplémentation nutritionnelle est un sujet qui a pris une importance centrale – certainement exagérée – dans le monde sportif contemporain. En effet, si 40 à 70% des athlètes utilisent une supplémentation, celle-ci intervient (trop) souvent en dépit d’une base alimentaire équilibrée et d’une stratégie nutritionnelle réfléchie alors que ces 2 éléments demeurent les pré-requis à toute supplémentation pertinente.

 

Parmi les suppléments, les corps cétoniques occupent actuellement le devant de la scène. Fondamentalement, ils représentent des substances capables d’être synthétisées par notre corps lorsque celui-ci se trouve en déficit important et chronique de glucides, mais peuvent aussi être apportés par l’alimentation (source exogène). Cette dernière voie fait aujourd’hui, logiquement, l’objet d’arguments commerciaux qui, dans le cadre de la performance sportive, promettent une amélioration du niveau de performance.

 

Derrière cette promesse, le rationnel est celui d’une préservation ponctuelle des réserves de glycogène (les stocks de sucres) intramusculaires en faveur d’une utilisation accrue des lipides – dont on connait la quantité inépuisable dans l’organisme. Ainsi, en cas de coup dur durant une épreuve, le sportif aurait accès à son stock de sucre préservé. Sur le papier, on valide (c’est d’ailleurs le rationnel des régimes de périodisation nutritionnelle : voir Endurance et Stratégie nutritionnelles : toutes les stratégies possibles).

 

Voici plus précisément les effets principaux constatés sous l’effet d’une supplémentation en corps cétoniques :

– baisse de la glycolyse (opération de destruction du glucose pour en faire de l’énergie), qui est alors visible à l’exercice via la baisse du niveau de lactate sanguin 

– moindre élévation du niveau de glucose dans le sang à l’exercice (conséquence du point 1)

– libération amplifiée de glucides par le foie (compensation du point 1), 

– lipolyse des tissus adipeux

– baisse de la ghréline (hormone à l’origine de la sensation de faim)

 

Sur cette base, une récente étude a investigué les effets de l’ingestion de monoester de cétone sur le fonctionnement physiologique de coureurs entraînés durant un effort sous-maximal de 60’, puis sur leur performance consécutive lors d’un 10km librement géré. Pour cela, les participants ont réalisé ces tests à 2 reprises dans des conditions correctement standardisées par l’équipe de recherche :

– gestion de l’entraînement dans les dernières 24h et de l’alimentation durant les dernières 48h

– étape de familiarisation au protocole d’exercice

– méconnaissance par les sujets et par les chercheurs de la condition Placebo VS Expérimentale (design en « double aveugle »)

 

Durant le protocole d’exercice, les boissons étaient ingérées à des rythmes similaires dans les 2 conditions : 30’ avant le premier exercice, puis toutes les 20’ pendant l’exercice sous-maximal de 60’, et enfin après 5km durant l’épreuve de contre-la-montre. Avec des bouteilles opaques et des goûts similaires, les participants ne sont pas parvenus à identifier la boisson riche en cétones de celle contrôle.


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« Les scientifiques et les praticiens s’intéressent aux stratégies nutritionnelles qui pourraient épargner le glycogène musculaire et permettre de maintenir des intensités élevées dans les dernières parties des courses. Cependant, si l’économie de glycogène se produit par une atténuation du flux glycolytique qui ne peut être surmontée lorsque des efforts plus intenses sont nécessaires, il est probable que la performance en sera affectée. »

Evans et al., 2019

 

 

Au niveau physiologique, les mesures dans le plasma du niveau de beta-hydroxybutyrate (beta-HB) à hauteur de 1mMol ont confirmé la bonne assimilation par les participants des cétones, ainsi que le bon dosage de la supplémentation pour la condition expérimentale. Il faut effectivement noter que d’autres suppléments visant le même effet (acetoacetate ketone diester, KDE ; racemic ketone salts, KS ; et le composé 3-butanediol, BD) entraînent des valeurs plasmatiques de beta-HB comprises entre 0.3mMol et 0.8mMol seulement – des valeurs qui sont considérées comme insuffisantes pour affecter la performance en endurance.

 

Comme attendu par ailleurs, une baisse du glucose plasmatique a été relevée. Toutefois celle-ci n’a pas été accompagnée d’une moindre lactatémie sanguine. Ensemble, ces résultats indiquent que toutes les preuves d’une véritable action des corps cétoniques sur la physiologie des participants n’ont pas été relevées.

 

L’effet de la supplémentation sur la performance du 10km est similaire à cette dernière observation : aucun changement de performance n’a été constaté en condition de cétones par rapport à la condition contrôle. En fait, cette absence de bénéfices commence à ne plus être anecdotique dans la mesure où, sur une demi-douzaine d’études préalables à celles-ci, une seule a constaté une amélioration de performance (alors expliquée par un shift du carburant musculaire des glucides vers les lipides). Bien qu’entre ces études les quantités de cétones ingérés et les épreuves à réaliser divergent, la promesse quant à l’intérêt ergogénique de ce type de stratégie demeure donc pleinement questionnée.

 

D’ailleurs, ce doute s’accompagne de risques plus élevés sur l’inconfort intestinal des participants. Plus précisément, une relation de dose-réponse semble unir la quantité de cétones ingérée à la propension à manifester des soucis gastriques durant l’épreuve sportive. Même si cette donnée n’est pas soutenue par la présente étude, elle reste une observation consistante dans la littérature. 

 

À l’avenir, les recommandations sur l’utilisation des cétones auront tout intérêt à considérer les facteurs d’influence majeurs de leurs effets sur la physiologie des sportifs, à savoir : 

– l’intensité de l’exercice (l’effort doit-il forcément être lactique pour profiter des cétones ?), 

– la dose de cétone ingérée (et son corrélat sur les troubles gastriques), 

– l’habituation de l’organisme à ces composés (tout comme la question peut se poser pour le café ou le jus de betterave), 

– l’état à-jeun VS nourri des participants.

 

C’est dans ce cadre que se devront se construire des recommandations pratiques pertinentes à destination des sportifs. À titre d’exemple, on commence à cerner que pour 2 supplémentations identiques, la dose de cétones finalement retrouvée dans le sang est supérieure lorsque l’individu est à-jeun (de +50% à +200%) comparativement à un état de satiété. On perçoit donc ici certaines limites pratiques à l’utilisation des cétones (un athlète serait-il prêt à sauter son petit-déjeuner pour maximiser l’effet des cétones ?), des limites qu’il faudra lever pour réussir à faire de cette supplémentation une stratégie.