Chaque jour le cerveau gère les écarts que l’on a entre spontanéité / objectifs, ce qui le met à rude épreuve. Ces écarts sont résolus grâce à des fonctions cognitives permettant de réguler le comportement :
- Inhiber une impulsion
- Anticiper une suite d’événements
- Switcher d’une tâche à une autre
- Raisonner en parallèle sur plusieurs informations
- Rester focalisé sur un élément
Ces fonctions impliquent des processus d’autorégulation. Ces processus sont énergivores, ils sont donc source de fatigue : une fatigue de nature « mentale ».
À l’échelle comportementale, la fatigue mentale (FM) se caractérise par une perte d’efficacité à répondre à un stimulus :
- baisse de la précision
- augmentation du temps de réaction
- augmentation des oublis
- augmentation de l’impulsivité (choix portés vers un gain immédiat)
S’il peut très bien ne pas y avoir de problème avec cette perte d’efficacité, elle peut aussi être problématique si la tâche demande plus de ressources mentales que le sujet n’en a :
- À court-terme, on observe alors des écarts de comportement : difficulté à interagir avec autrui, à conduire, etc.
- À moyen-terme, cela provoque des dérives psychosociales : actes violents, consommations diverses, troubles alimentaires, etc.
Dans le domaine de la performance sportive, on sait qu’une motricité experte est une motricité devenue automatique au fil des répétitions – ce qui la rend donc moins sujette à la FM. Et oui, on peut courir sans même y penser, par exemple, que l’on soit fatigué ou non.
Cet avantage ne s’applique toutefois ni pour les tâches très techniques (requérant un contrôle moteur fin), ni pour des épreuves d’endurance (dont plusieurs facteurs clé de la performance reposent sur la capacité d’autorégulation).
En pratique, les effets de la FM sont minimes lorsque la force est en jeu. Idem pour les efforts anaérobie (exercice <30 sec).
En revanche, comme pour la déshydratation, la FM détériore la performance d’endurance de façon systématique et croissante avec la durée de l’épreuve. Ainsi, à 80% de PMA, on a pu observer qu’une performance initiale de ~12 min en tems-limite chutait de ~2 min chez des athlètes modérément entraînés lorsque 90 min de tâche cognitive la précédait. Globalement, on estime ainsi à 10-15W le différentiel de puissance pour un cycliste. En termes de pacing, les effets de la FM sont aussi sans équivoque : l’allure adoptée est plus basse d’emblée – ce qui indique que c’est la vitesse moyenne de course qui baisse.
Exemple sur une course à pied de 5 km :
La question des mécanismes par lesquels la FM agit est longtemps restée une zone d’ombre. Si peu de choses sont encore connues, on sait toutefois que la baisse de performance est indépendante :
- Des systèmes physiologiques périphériques (variation des débit cardiaque, fréquence ventilatoire, consommation d’oxygène, fonction neuromusculaire)
- Du niveau de glucose dans le sang (quand bien même ce substrat représente la source d’énergie préférentielle du cerveau pour fonctionner)
- D’une baisse de motivation (en fait, même en état de FM, on peut garder la même envie mais être moins fort)
Dès lors, c’est la hausse de la pénibilité à l’effort qui apparait comme le frein principal !
Une plus grande pénibilité à l’effort est effectivement systématique en réponse à la FM… Mais que cela cache-t-il ?
- Les mesures par électroencéphalographie révèlent plus d’ondes ß pour accomplir une tâche donnée en condition de FM, suggérant un effort mental plus important
- De même, des analyses IRM montrent qu’après un effort mental de ~6h on observe une désactivation du cortex frontal moyen, une région clé pour le contrôle cognitif.
Si le voile commence donc à être levé sur les mécanismes, il n’en demeure pas moins qu’un état de FM reste assez difficile à voir venir lorsqu’il arrive. Et pour preuve, une baisse de performance en endurance est effectivement observée quand bien même la sensation consciente de FM n’est pas présente – notamment après un effort cognitif de moyenne durée (~30min). Cela suggère qu’une baisse des ressources cognitives peut être insuffisante pour s’admettre Fatigué mais suffisante pour être contre-productif.
À noter alors, la sensation de Vigueur (« à quel point je me sens fort et plein d’énergie ») peut, elle, constituer un symptôme précoce de la FM.
Alors que j’indiquais plus haut que la motivation ne semblait pas affectée en réponse à la FM, une amélioration de l’état de l’humeur pourrait limiter la baisse de performance :
- Les stimulations à connotation positive (photo, souvenir…) mais aussi négative (colère, peur…) jouent sur l’impression d’effort – qui, rappelons-le, est le principal facteur touché par la FM
- Des études IRM montrent qu’une récompense d’argent induit des effets similaires : une réactivation des zones cérébrales associées au contrôle de l’effort. Et surprise, ce moyen génère même une performance supérieure à celle d’individus non-FM !
- La caféine entraîne un effet comparable à celui de l’argent : une performance supérieure à celle de sujets non-FM (exemple ci-dessous avec un exercice en temps-limite à 80% de PMA).
- Les environnements chauds, les nouvelles décevantes, des phases d’adaptation (régimes nutritionnels…) etc… accélèrent les effets de la FM.
On pourrait alors conclure que la fatigue mentale n’a pas grand-chose de bon dans le cadre de la performance sportive. Et pourtant… Comme le fait de courir sous la chaleur, la FM peut aussi servir de stratégie : s’entraîner volontairement en état de FM pour rendre la séance plus pénible. À expérimenter si l’on manque de temps pour s’entraîner ou si l’épreuve-cible est sur plusieurs heures.