En psychologie cognitive, pour analyser le comportement d’un individu, on a l’habitude de se référer au fonctionnement de 2 « systèmes » de neurones aux caractéristiques propres :
– un système impulsif, qui engage plutôt nos régions cérébrales primaires. Ce système est très rapide à s’activer, on le dit « automatique ». C’est à lui que l’on doit nos réflexes, nos clignements d’yeux soudains, nos pulsions premières (amour VS rejet)… Dans ce système s‘inscrit notamment un mécanisme que l’on connait bien : le « circuit de la récompense », ce fameux chemin de neurones où circule la dopamine ;
– un système réflexif, davantage basé sur les zones évoluées de notre cerveau, capable pour sa part de contrôler plus rigoureusement notre comportement. De lui dépend notamment l’opérationnalisation concrète de nos valeurs, notre raisonnement logique, nos choix à moyen-terme. Ainsi, il est un moyen de gérer le premier système – bien qu’il soit plus long à implémenter et laisse donc parfois s’exprimer des actions réflexes malgré nous.
Des individus « addicts » se caractérisent par :
– une tolérance extrême à leur activité,
– une pratique très importante de celle-ci
– l’absence de prise en compte de symptômes de déséquilibre (maladie, par exemple).
Chez ce type de personnes, les sciences cognitives ont mis en évidence à plusieurs reprises un double phénomène neuronal : une suractivation du premier système complétée d’une déficience du second système. Par exemple, au sein de populations d’alcooliques ou de « drogués » d’internet, la perception d’un stimulus lié à leur dépendance (comme une ligne de code) sur-active le circuit de la récompense tandis que le système de régulation présente un déficit d’activation.
Les conséquences d’un tel déséquilibre (ex : un achat compulsif) peuvent rester acceptables tant que ce déséquilibre est ponctuel (ex : après une dure journée de travail). Effectivement, force est de reconnaître que dans notre quotidien, de telles réactions prises « à la va-vite » arrivent plus souvent qu’on ne le croit : mots déplacés, excès alimentaires, procrastination…
Toutefois, ces conséquences peuvent aussi vite devenir indésirables dès lors que le déséquilibre tend à l’excès. Dans le cadre de l’entraînement notamment, un manque persistant de self-control est à l’origine de situations physiques, sociales et/ou financières autant incohérentes que malheureuses : isolement, dépassement de ses limites, blessures, sur-équipement, compétition malsaine, etc.
Dans l’optique de cerner les contours psychologiques du phénomène d’addiction chez des sportifs très (trop) impliqués dans leur pratique, une équipe de l’Université des Sports de Wuhan (Chine) a ainsi récemment soumis une cinquantaine de participants à une série de tests de personnalité et de tâches cognitives supervisées par électro-encéphalogramme (EEG), pour finalement les diviser en 3 groupes :
- Un groupe de sportifs caractérisés comme « addicts » (ancienneté >2ans, >4 entraînements par semaine, durée d’entraînement >2h)
- Des pratiquants réguliers
- Des participants peu/non-sportifs
Voici les résultats :
En premier lieu, les sportifs présentant une addiction à la pratique sportive démontraient un haut niveau de névrose (trait de personnalité du névrosisme). Concrètement, cela renvoie à une instabilité émotionnelle et, en particulier, à la prédisposition à ressentir des émotions négatives.
Rapporté au cadre de l’entraînement, cela prend du sens avec les multiples insatisfactions qu’un sportif peut ressentir tantôt liées aux chronos, à ses sensations, à la position dans le groupe, à l’échéance à venir, au retard de préparation,… et donc à l’impression de devoir toujours plus s’entraîner sous peine de ne pas coller au projet.
En général, ce trait de personnalité est aussi associé à une difficulté à gérer ses émotions. Et donc à plus d’impulsivité. Sous l’effet de multiples petites insatisfactions ou d’une frustration importante, c’est donc l’explosion. Le comportement peut sembler hâtif voire irrationnel d’un point de vue extérieur, mais pour le concerné il n’en est rien.
Dans la présente étude, le trait de névrose était associé à davantage d’introversion chez les sportifs « addicts » (tendance à garder les choses pour soi) tandis que les sportifs « réguliers » étaient, eux, plus extravertis. Il faut peut-être y voir ici une forme de décompression salvatrice…
Par ailleurs, les signaux cérébraux du monitoring EEG ont révélé que les 2 groupes de pratiquants (les « addicts » comme les « réguliers ») présentaient une sensibilité neuronale accrue aux informations de type sportive. Autrement dit, leur circuit de la récompense s’activait davantage que chez des non-sportifs lorsqu’ils voyaient une paire de running. Rien d’étonnant en soi… Et pas de déséquilibre quelconque a priori. Cependant, le groupe des « addicts » souffraient, lui, en plus, d’une capacité d’inhibition réduite – cette force nécessaire à se tempérer et garder le contrôle. C’est cette caractéristique, en particulier, qui faisait pencher la balance.
La conséquence de cette synergie de résultats gagne plus encore en concrétude une fois retranscrite à l’échelle de notre quotidien. En effet, par rapport à une personne « normale », on comprend bien qu’un addict doit engager un effort plus important pour détecter, d’abord, et contrôler, ensuite, une pulsion. Cela car cette pulsion est plus intense que chez une personne détachée affectivement mais aussi car son contrôle inhibiteur est perfectible. Lorsqu’elles sont engagées dans un effort de self-control de leur objet-plaisir, les addicts doivent donc l’être à 200% pour que cela marche.
En démontrant que le niveau d’impulsivité de sportifs trop engagés est associé au trait du névrosisme, de l’introversion, à une sur-activation du circuit de la récompense et une déficience de la capacité à se réguler, cette étude pose enfin des bases psychologiques qui nous permettent de faire le lien avec un autre pan de recherche, celui de psychologie sociale qui distingue notamment la passion harmonieuse (saine et équilibrée) de la passion obsessionnelle (excessive et destructrice).
« La suractivation du système de récompense peut être liée à une exposition à long terme à l’exercice. La sous-activation du système d’inhibition peut être un facteur crucial dans la dépendance à l’exercice. »
Huang et al., MSSE 2019