Lorsqu’il s’agit de performance, on a tendance à accorder une large part du résultat à ce que l’on a fait pendant et immédiatement avant la course. Cela se comprend : la qualité des dernières nuits, le choix de l’allure ou la fréquence des ravitaillements comptent.
Cette représentation peut néanmoins conduire à mal pondérer les différents facteurs de performance – le meilleur exemple étant l’importance même de l’entraînement au profit d’une paire de chaussures, d’un vélo, ou autre.
La supplémentation nutritionnelle entre dans cette problématique, celle d’un décalage de représentations entre les influences aiguës et chroniques de la performance. Par exemple, les boissons énergétiques, pastilles, gels… sont surtout utilisés en course. C’est dommage, autant pour valider la stratégie nutritionnelle de course que d’un point de vue des adaptations du corps à l’entraînement. Voyons pourquoi.
COMPÉTITION ≠ ENTRAÎNEMENT
Pourquoi en arrive-t-on à questionner l’utilisation de suppléments à l’entraînement ? Si l’on prend un peu de recul sur cette pratique, on distingue des avantages comme des inconvénients :
- Le fait de priver le corps d’une substance utile (et autorisée) a pour effet de maximiser son effet lorsqu’elle est consommée, en général. Ainsi, les buveurs de café répondent mieux à l’effet stimulant de la caféine après une phase de privation.
- Toutefois, ne pas utiliser une substance utile pour la performance durant l’entraînement bride le niveau d’intensité du sportif.
SUPPLÉMENTS : J’UTILISE ?
Avant d’avancer plus loin, il est important de rappeler que l’influence médiatique et marketing qui environne la nutrition du sportif pousse à des choix naïfs voire impulsifs – aujourd’hui plus que jamais et malgré la vulgarisation scientifique.
Sur cette base, le choix de suppléments nutritionnels devrait dépendre d’une série de décisions (1) mêlant la validité du supplément, sa tolérance par le sportif, le type de performance, son intérêt confirmé par l’entraînement… et dépasse donc l’initiative motivée par des paires ou les médias
Aujourd’hui, très peu de suppléments se distinguent par leur non contre-indication et leur utilité potentielle pour la performance en endurance. Les nitrates et la caféine en font partie ; pris quelques dizaines de minutes avant l’effort, chacun d’eux offre la possibilité d’une meilleure résistance à la fatigue et/ou de sensations d’effort réduites.
Un autre supplément peut s’avérer intéressant pour le sportif d’endurance, bien que moins discuté : le bicarbonate de sodium. Ce produit, on le connaît surtout pour sa présence dans les eaux minérales et les levures à gâteaux, ou comme nettoyant à légumes pour les femmes enceintes. Or, il peut aussi être consommés à des fins ergogéniques, c’est-à-dire modifier notre signalisation cellulaire pour booster l’entraînement (2).
BICARBONATE : QUEL RÔLE À L’ENTRAINEMENT ?
Le bicarbonate de sodium démontre des effets positifs sur les efforts qui impliquent une forte composante anaérobie (sans présence d’oxygène). D’emblée, cela peut prêter à confusion : quel intérêt pour le sportif d’endurance ? L’évidence arrive dès lors que l’on apprend que les effets du bicarbonate s’expriment sur des efforts se prolongeant jusqu’à 10 min.
En effet, avec ceci en tête, le lien est vite fait ! Car les séances d’intervalles à haute intensité sont le parfait support. Avec un temps de travail total de 5 min à 20 min en général, elles permettraient chaque semaine de faire du bicarbonate de sodium un booster pour élever le niveau d’intensité de l’entraînement.
Les enjeux sont ceux que l’on connaît de l’entraînement intense :
- Tenir l’intensité plus longtemps, donc avoir une sollicitation cardiaque prolongée
- Résister à la fatigue et maintenir l’allure, donc un renforcement musculaire
- Moindre acidité musculaire, donc une préservation de la qualité du geste
- Turnover énergétique durable, donc des adaptations métaboliques favorisées
- Moindre effort pour terminer une séance, donc plus de confiance en soi
- Et d’autres
QUELLE DOSE ?
Le bicarbonate de sodium est recommandé à une dose de 0,2-0,4 g/kg de poids corporel (soit ~20g pour une personne de 70kg), réparti sur 1-3 portions. Cette dose semble suffisante pour augmenter les concentrations de bicarbonate dans le sang de 5-6 mmol/L et ainsi permettre de légères modifications du pH sanguin pendant un exercice physique – même si une grande variabilité inter-individuelle existe évidemment en réponse à cette supplémentation.
QUELS EFFETS OBSERVÉS ?
À l’échelle d’un seul entraînement, le bicarbonate a fait ses preuves pour améliorer la performance de 2% (l’effet s’estompe dès que les efforts sont >10 min).
À l’échelle d’un programme d’entraînement plus large, les résultats sont similaires.
Chez 2 groupes de femmes sportives (3) soumises à une même charge d’entraînement durant 8 semaines, l’ingestion de bicarbonate de sodium 3 fois par semaine (avant l’entraînement) a entraîné, par rapport à un placebo :
- Une amélioration plus importante du seuil lactique (26% contre 15%)
- Une meilleure résistance à la fatigue (164% contre 123%),
Chez des hommes sportifs (4), le résultat a été similaire après 6 semaines de HIIT (au total 18 séances d’intervalles à haute intensité) incluant la prise de bicarbonate de sodium vs. un placebo avant chaque séance d’entraînement :
- Une plus grande amélioration de la puissance maximale (20,8% contre 10,3%)
- Une plus grande activité de la citrate synthase (22,3% contre 12,6%), une enzyme qui permet de réduire l’utilisation des glucides à l’effort (et donc l’acidité musculaire lors d’exercices intenses)
- Aucune différence d’amélioration dans la puissance sur un test de Wingate (effort maximal de 30 sec), ni sur un test de résistance à la fatigue ou sur la puissance au seuil lactique.
De façon moins nette, 4 semaines de supplémentation en bicarbonate chez des rameurs masculins très entraînés n’ont pas apporté de bénéfices significatifs de performance par rapport à un placebo, même si des tendances positives ont été observées (puissance sur un test de 2000 m, puissance maximale, puissance au seuil lactique) (5).
De ces résultats, on remarque alors que 4 semaines d’entraînement + supplémentation semblent définir le seuil à partir duquel on observe des résultats. Un projet sur 6 semaines sera donc pertinent pour augmenter la probabilité que les ajustements physiologiques impulsés par la supplémentation se traduisent en améliorations de performance.
D’un point de vue physiologique, il est peu probable que le bicarbonate de sodium ait un effet sur la consommation maximale d’oxygène (qui est le premier facteur de succès en endurance et est largement influencée par les adaptations centrales/cardiovasculaires). En revanche, il entraînerait des adaptations « périphériques » (plus dépendantes du niveau du pH musculaire) comme :
- Le seuil lactique, qui est l’intensité d’exercice à partir de laquelle notre physiologie s’emballe
- L’activité de la citrate synthase (un inhibiteur de la glycolyse, voir plus haut)
- La respiration mitochondriale, qui reflète l’efficacité des « usines à énergie » de nos muscles
Et tout cela, en particulier chez les participants non entraînés – certainement en raison de la marge de progression qu’ils possèdent.
Pour illustrer cela, le graphique ci-dessous révèle la moindre acidification du pH sanguin lors d’exercice en condition « bicarbonate » :
Le graphique ci-dessous illustre l’intensification de PGC1a (un reflet du développement des facteurs de l’effort d’endurance) lors d’exercice en condition « bicarbonate » :
Le graphique ci-dessous illustre 3 améliorations pertinentes pour l’entraînement d’endurance, en condition « bicarbonate » :
QUELLES LIMITES ?
Bien que la tendance soit donc globalement positive, il existe des résultats contrastés sur la supplémentation répétée en bicarbonate. Au-delà d’un manque d’effet, ces résultats pourraient être dus à des différences dans :
- Le niveau de forme des participants des études
- Le nombre et l’intensité des séances des protocoles
- Les différences de sexe, la génétique
Enfin, il est à noter que quelques troubles gastriques (ballonnement, nausées, vomissement) ont été reportés suite à l’ingestion de bicarbonate.
Pour réduire ce risque, une récente étude encourage à prioriser le bicarbonate sous forme de capsules plutôt qu’en solution liquide (6), bien que la règle d’essayer à différentes allures demeure ici comme ailleurs.
- (1) Maughan RJ, Burke LM, Dvorak J, et al. IOC consensus statement: dietary supplements and the high-performance athlete; British Journal of Sports Medicine 2018;52:439-455.
- (2) Rothschild, J. A., & Bishop, D. J. Effects of Dietary Supplements on Adaptations to Endurance Training. Sports Medicine 2019;1-29
- (3) Edge J, Bishop D, Goodman C. Effects of chronic NaHCO3ingestion during interval training on changes to muscle buffer capacity, metabolism, and short-term endurance performance. J Appl Physiol. 2006;101(3):918–25
- (4) Hawke E, Hammarström D, Sahlin K, Tonkonogi M. Does six-weeks of high-intensity cycle training with induced changes in acid-base balance lead to mitochondrial adaptations? J Sci Cycl. 2014;3(2):82.
- (5) Driller MW, Gregory JR, Williams AD, Fell JW. The effects of chronic sodium bicarbonate ingestion and interval training in highly trained rowers. Int J Sport Nutr Exerc Metab. 2013;23(1):40–7.
- (6) Hilton NP, Leach NK, Sparks SA, et al. A novel ingestion strategy for sodium bicarbonate supplementation in a delayed-release form: a randomised crossover study in trained males. Sports Med Open. 2019;5(1):4.