C’est une sorte de maladie des temps modernes. Ou plutôt qui pointe le « désarroi du mangeur moderne », comme l’explique le Dr Waysfeld, médecin nutritionniste et psychiatre à Paris. « Il y a un peu plus d’un siècle, 30% des gens vivaient de la terre. On mangeait des aliments qui avaient une histoire. On connaissait la ferme d’à côté », rappelle le spécialiste. Aujourd’hui, il n’a jamais été autant question « d’appellations », de « traçabilité », de « principe de précaution » en matière d’alimentation… et pourtant, le consommateur est en recherche perpétuelle de points de repère.
Alors quoi ? Eh bien, certaines personnes en viennent à adopter le raisonnement suivant : « à défaut de savoir ce que je mange, je cherche à tout contrôler », explique le Dr Waysfeld. Quitte à s’imposer « des règles strictes, un niveau de contrainte élevé ». La recherche de la perfection, de la pureté : voilà ce qui motive les personnes dites orthorexiques. Il faut en fait « manger droit », comme l’évoque l’étymologie du mot (en grec, orthos signifie droit et orexis manger). Sous-jacente aussi, « l’idée qu’on devrait vivre éternellement », souligne le psychiatre. Une quête de l’éternité qu’une alimentation bien (trop) maîtrisée viendrait aider.
L’orthorexie est-elle pour autant une maladie ? « Ca le devient à partir du moment où ça entraîne une gêne sociale, un isolement social ». En clair : on refuse les invitations à dîner chez des amis sous prétexte de ne pouvoir maîtriser la fabrication des plats, on bannit le restaurant pour les mêmes raisons. Bref, « on y perd sa convivialité. Ca gêne l’individu lui-même et son entourage », explique le Dr Waysfeld dont l’expérience lui permet de définir un profil des personnes orthorexiques. « En très grande majorité, ce sont des femmes. Plutôt obsessionnelles, d’un niveau socio culturel élevé. Qui ont un souci de bien-être, d’une santé parfaite, et du temps à y consacrer ». Et de préciser qu’il reçoit aussi des patientes anciennement anorexiques qui ont « cicatrisé leur anorexie sur le mode orthorexie ». Ou comment l’obsession de la quantité a été remplacée par l’obsession de la qualité alimentaire.
Pour avoir travaillé dans le domaine sportif, le Dr Waysfeld sait aussi que les « sportifs qui font des compétitions » (de tout niveau) sont « souvent obsessionnels », « monomaniaques » et donc présentent un profil que l’on pourrait qualifier de « à risque » pour l’orthorexie ». Reste qu’il ne s’agit pas d’affirmer que tous les sportifs vont développer de tels symptômes et obsessions alimentaires. Ce serait évidemment faux. Le médecin rappelle simplement qu’outre l’isolement et la souffrance psychologique qu’elle peut entraîner, l’orthorexie peut également conduire à une alimentation « trop monolithique », avec de nombreuses carences à la clé. S’il n’existe pas de traitement spécifique, proposer une « diversification alimentaire » est donc essentiel. De même qu’un suivi psychologique, selon les besoins. Car avant tout, l’objectif reste d’arriver à mettre des mots sur une souffrance bien réelle mais souvent cachée ou niée.