S’il est quelque chose qui demeure stable sur le terrain, c’est le besoin de déterminer des zones de travail pour chaque athlète. Ces zones se déterminent en vitesses sur le plat ou en fréquences cardiaques en terrain vallonné mais également sur le plat.
Bien entendu, la connaissance de ces zones est essentielle pour bien programmer les entraînements sur le plan qualitatif notamment.
Soyons clairs, au delà des données de laboratoire, il est assez aisé pour un athlète qui est attentif à son entraînement de déterminer ses zones, et donc les seuils, en fonction de sa vitesse, de ses pulsations cardiaques, de ses sensations, mais aussi de sa fonction ventilatoire (ventilation et hyperventilation). Par exemple, si je réalise 3 x 10 min sur route ou piste, je dois évoluer au niveau du deuxième seuil.
Les seuils, des limites parfois floues
Sur le papier, l’existence de seuils est bien pratique. Elle permet de déterminer très schématiquement une intensité basse, une intensité moyenne et une intensité élevée.
Dans la réalité c’est plus complexe et la notion de seuil apparaît parfois comme une vue de l’esprit. Par exemple, le débit ventilatoire à l’exercice d’intensité croissante ne présente parfois pas de cassures permettant de déterminer les seuils ventilatoires SV1 et SV2. De même, la lactatémie peut augmenter proportionnellement à l’intensité et c’est par elle que nous allons commencer.
Le lactate, intermédiaire métabolique majeur
L’énergie nécessaire à tout effort (et même pour assurer le métabolisme basal) est fournie par la dégradation des composés énergétiques (glucides et lipides) au sein de la mitochondrie. A partir d’une certaine intensité, seuls les glucides sont dégradés car ils fournissent plus d’énergie. Les glucides dégradés au sein du fameux et complexe cycle de Krebs sont le glycogène musculaire et le glucose sanguin (issu de l’alimentation ou de la dégradation du glycogène hépatique).
Dans une première phase, ils sont transformés en pyruvate qui est oxydé dans la mitochondrie pour aboutir à la formation de 38 molécules d’Adénosine Tri Phosphate (ATP), la seule molécule utilisable par le muscle. Mais à partir d’un certain moment, les capacités d’oxydation de la mitochondrie atteignent leurs limites, et le pyruvate est transformé en lactate par une enzyme (LDH), puis transporté vers différents sites : les fibres musculaires lentes, le cœur, voire le foie, afin de servir de substrat énergétique et fournir à nouveau de l’ATP.
Signalons que l’exposition régulière au lactate permet la biogénèse mitochondriale (le nombre de mitochondries peut être multiplié par 2). Or plus de mitochondries permet une plus grande capacité d’oxygénation à l’effort et donc une plus grande capacité de performance aérobie.
Et l’acide lactique dans tout cela ?
Nous ne l’avons pas mentionné jusqu’à présent tant son rôle est bref et quasi insignifiant. En effet, l’acide lactique est un produit de la glycolyse qui se dissocie très rapidement en un ion lactate et un proton H+. Et comme nous l’avons souvent répété, c’est l’accumulation des ions H+ qui acidifie le sang et provoque la fatigue musculaire (nous y reviendrons lors de la description des seuils ventilatoires).
De plus, il faut savoir que le lactate est produit en permanence, même au repos, en présence ou non d’oxygène. Ainsi, la dénomination de « seuil anaérobie », c’est-à-dire sans oxygène, est fausse.
D’un point de vue pratique, on fixe les seuil « lactiques » à 2 et 4 mmol de lactate par litre de sang mais ce sont des valeurs statistiques à individualiser. Par exemple, le SL2 évolue le plus souvent entre 3 et 5 mmol/L. Et puisque le lactate est métabolisé en permanence, sa mesure pendant ou après un effort est seulement la quantité qui n’a pas pu être utilisée comme une source énergétique.
Ainsi, le taux de lactate mesuré nous renseigne davantage sur son niveau de métabolisation que sur l’intensité de l’effort réalisé !
Si pour un même taux de lactate, l’athlète est capable de produire un effort de même durée et d’intensité plus élevée, c’est qu’il a progressé. Le plus intéressant pour l’entraînement est donc de déterminer l’intensité maximale à laquelle la production et l’oxydation du lactate s’équilibrent.
Cet équilibre physiologique a un nom : le MLSS pour Maximal Lactate Steady State (état maximal stable du lactate). Sur le graphique ci-dessous, il y a atteinte d’un état stable jusqu’à 240W, mais pas à 245W. Le seuil sera donc déterminé à 240W.
Test du MLSS test réalisés sur différents jours avec 4 différentes charges de travail : 220 W, 230 W, 240 W and 245 W respectivement.
Makivic, Bojan, Analysis of surface electromyography (sEMG) signals at and above the maximal lactate steady state (MLSS) during ergometer cycling. 2015
Pour autant, l’utilisation du seuil lactique se heurte à plusieurs problématiques :
- Selon la méthode utilisée, on observe de fortes variations dans les résultats
- La méthode est invasive (analyse d’une goutte de sang) et complexe à réaliser dans de bonnes conditions en course.
- La transpiration et l’oxydation à l’air libre rendent périlleuse la manipulation
- L’alimentation (riche ou pauvre en glucides) intervient sur la concentration sanguine en lactate, et donc sur le seuil.
- Le niveau des réserves en glycogène influe également sur la production de lactate, et donc sur la reproductibilité des tests.
Ainsi, les conditions de passation du test peuvent influer grandement sur le résultat (le niveau du seuil lactique) sans pour autant qu’il y ait amélioration ou dégradation du potentiel aérobie.
Et du côté ventilatoire ?
Si le seuil lactique n’est pas la panacée, vaut-il mieux s’orienter vers les seuils ventilatoires ? Et quel est le lien entre seuil lactique et seuil ventilatoire ?
Lors d’un exercice incrémental, les besoins du muscle en O2 augmentent. L’augmentation de la fourniture en oxygène débute par une augmentation de la ventilation, et donc du débit ventilatoire. Pour autant, la ventilation n’est pas régulée directement par les besoins en O2, mais plutôt par la production de CO2 et par le pH de l’organisme. On peut donc dire que la ventilation pulmonaire est davantage liée au fonctionnement musculaire que pulmonaire !
La ventilation pulmonaire augmente tout d’abord proportionnellement à l’intensité, puis la courbe va présenter 2 points d’inflexions (ou cassures), appelés seuils ventilatoires. Sur la représentation schématique ci-après, on observe bien les 2 points d’inflexions dans le débit ventilatoire correspondant aux seuils 1 et 2. Dans la réalité, l’interprétation est plus complexe.
Le premier seuil (SV1) est appelé le seuil d’adaptation ventilatoire. Il se situe chez les athlètes entraînés entre 55 et 70% de la consommation maximale d’oxygène.
Il est surtout dû à l’augmentation de la concentration de lactate dans le plasma et à la libération concomitante d’ions H+. Pour éviter l’acidification du sang, un système tampon se met en place via les ions hydrogénocarbonates (HCO3–).
L’association chimique (H+ + HCO3–)donne de l’acide carbonique qui se dissocie ensuite en eau (H20) et en CO2. Ce CO2 agit comme une alerte sur les centres respiratoires et la ventilation augmente !
Le deuxième seuil (SV2) est appelé le seuil d’inadaptation ventilatoire. C’est le fameux et faussement nommé seuil anaérobie, appelé également seuil d’accumulation du lactate. Le SV2 correspond à une nouvelle augmentation du lactate. Le système tampon est saturé et les ions H+ s’accumulent dans le compartiment sanguin. Le résultat de la production de CO2 et de l’accumulation des ions H+ est une nouvelle augmentation de la ventilation.
En laboratoire, hors lactate, les SV1 et SV2 se déterminent par la mesure continue et simultanée du débit ventilatoire, de la consommation d’oxygène et du rejet du dioxyde de carbone, lors d’une épreuve maximale triangulaire (= progressive). Cela permet de calculer les équivalents respiratoires en O2 (VE/VO2) et en CO2 (VE/VCO2). Le seuil ventilatoire 1 correspond à la première augmentation du rapport VE/VO2 sans augmentation du rapport VE/VCO2 ; le seuil ventilatoire 2 correspond à l’augmentation simultanée de VE/VO2 et VE/VCO2.
En laboratoire, le logiciel associé à l’analyseur des échanges gazeux respiratoires calcule automatiquement les seuils. Le problème est que la courbe du débit ventilatoire ne présente pas toujours de cassures nettes. Dans ce cas, la détermination des seuils est faussée, et on peut même affirmer qu’il n’y pas de seuils. Dans de nombreux autres cas, il faut recourir à une méthode visuelle pour déterminer avec une fiabilité relative ces fameux seuils.
Que retenir de tout cela ?
Quelle que soit la méthode utilisée (invasive pour le lactate) ou non invasive (pour la ventilation), elle présente des limites importantes.
De plus, en laboratoire, les données de FC sont souvent différentes des données de terrain avec une difficulté réelle à atteindre la FC max en raison des conditions artificielles et du tapis. Et si les tests sont faits sur le terrain, ils sont rarement reproductibles en fonction des conditions météo.
L’idéal serait de réaliser ces tests sur une piste indoor. Notre conseil est par expérience de coupler les données de laboratoire avec les données de terrain (vitesses, FC, ventilation, sensations) à l’entraînement et en compétition, car c’est toujours le terrain qui a le dernier mot !
6 réactions à cet article
Cedrick
Bonjour,
Pour ma part, après avoir réalisé un test à l’effort, on m’a finalement fourni la VO2 à 48, la VMA à 15, FCmax à 189, SV1 à 80% de vo2 et 170bpm et enfin la SV2 à 93% soit 180. En revanche, je me retrouve en difficulté pour déterminer les cinq zones, ou du moins en prenant en compte ces valeurs. J’utilise la fréquence de réserve. Dois-je baliser les zones avec ces valeurs ou bien entrer les pourcentages traditionnels de fréquence de reserve pour preciser mes zones ( par exemple 60-70% pour la zone 2 etc) ? Qu’en pensez-vous ?
Merci par ailleurs pour votre travail et surtout de les vulgariser pour les proposer à nous lecteurs et sportifs.
Bien à vous
David
Bonjour Cedrick, j’ai quasi les mêmes résultats du test de l’effort que vous et ….. mêmes difficultés à calibrer mes 5 zones sur ma Garmin. Avez-vous trouver une réponse permettant de definir les zones? A quoi correspondent SV1 et SV2 sur les bornes de chaque zone? je suis preneur de cette correspondance. merci,
Cedrick
Bonjour David,
Désolé je ne vois le message que ce jour. Concernant la question des zones, j’ai calibré les 5 traditionnelles avec les valeurs générales. Soient les 50%, 60% etc.. basé sur les calculs de fréquence de réserve. Je ne sais pas utiliser les valeurs transmises lors des tests à l’effort, en particulier SV1 et SV2 ou même seuil lactique du fait qu’ils soient donnés en pourcentage de vo2 et pas en bpm. Si tu as trouvé une méthode de ton côté alors je suis preneur.
Merci
Pascal Balducci, expert lepape info
Bonjour Cédrick et merci pour votre msg. Première chose, votre économie de course doit être bonne car le rapport VO2max/VMA est intéressant. Idem pour vos 2 seuils, sous réserve que leur détermination soit bonne. Si c’est le cas, il faut en tenir compte dans la détermination de vos zones de travail. Ce que vous pouvez faire : vérifier que les FC correspondant aux seuils sont pertinentes sur le terrain, et si besoin les ajuster en vous référant aux zones définies par la FC de réserve.
Philippe
Bonjour Pascal,
Merci pour cet article très intéressant. Je me demandais comment le SV2 et le SL2 étaient corrélés l’un à l’autre. Théoriquements devraient-ils être à la même vitesse et si non pour travailler des allures « seuil » sur lequel des deux faut-il se fixer ? Dans mon cas par exemple un test en labo m’a donné un SV2 à 170bpm et 3:30 min/km mais une mesure de lactate m’a donné à cette allure à 7 mmol/L ce qui semble très important. Si je veux travailler au seuil, 3:30 min/km est-il alors trop rapide ? Merci !
Arrecot j pierre
Bonjour à toute l’équipe Lepape
J’ai une question concernant les zones cardio. J’ai fait un test VO de Max et je connais donc mes seuils ventilatoires 1 et 2 ( SV1 128 / SV2 168 bpm ).
Pour autant en fonction des sites, les zones sont définies différemment.
Doit-on considérer que la zone 2 (Endurance fondamentale ) commence à 128 bpm où doit-on considérer qu’il s’agit de la fin de la zone 2. Ce qui serait totalement différent.
Selon mes deux seuils ventilatoires, communiqués comment définiriez-vous ma zone 2 et ma zone 4 ( seuil ) ?