Performance subliminale : tout ne dépend pas de moi

Les études en psychologie cognitive ont pour habitude de faire passer une batterie de tests – c’est-à-dire des jeux qui mobilisent de façon spécifique nos différentes ressources mentales – aux participants qui veulent bien se prêter au jeu, dans le but d’analyser les processus impliqués dans leurs prises de décisions.

Dans certains cas, ces tâches cognitives ont la caractéristique de présenter aux participants des informations subliminales (littéralement sub/« sous » le limen/« seuil » de conscience) : l’information est affichée si rapidement à l’œil du sujet que celui-ci ne peut en affirmer l’existence quand bien même son cerveau porte les traces de son passage.

Conséquence : il se retrouve influencé par un élément dont il pourrait nier l’existence dur comme fer.

 

Un tel phénomène d’influence, s’il a été mis sur la place publique il y a de cela plusieurs années dans un cadre musico-médiatique pour cause de manipulation des foules, est aujourd’hui utilisé notamment à des fins marketing, donc économiques. Plus précisément, l’abondance de publicités dans notre environnement – qui a d’ailleurs alimenté le principe de « pollution visuelle » – participe du même phénomène de processus subliminal, non pas en l’occurrence par la brièveté de l’information affichée mais par son ubiquité dans l’espace qui nous entoure. De nos jours en effet, les annonces publicitaires sont si nombreuses que la population n’attribue plus forcément d’attention consciente à ces informations quand bien même ces dernières sont effectivement traitées par la vision périphérique du système visuel cérébral.

 

Sur le plan cérébral, les mécanismes explicatifs de tels effets sont liés au circuit de l’information, d’abord captée par un des sens (comme les yeux) avant de parvenir, si le stimulus est suffisamment saillant et/ou répété, au niveau de conscience. C’est un peu comme si l’information était « flashée » au-delà d’une certaine vitesse sur l’autoroute de l’information. Plus elle est considérée comme importante, plus son intensité et/ou sa fréquence sera grande, plus elle aura de chance d’être flashée par la conscience. C’est comme cela que la sensation de faim, de fatigue, ou la libido prend des proportions progressivement importantes dans le quotidien à mesure qu’elles sont réprimées.

 

En sport, ce phénomène d’influence subliminale existe comme ailleurs. Cela a par exemple fait l’objet d’une étude réalisée sur la force physique il y a une dizaine d’années (les résultats ont depuis été répliqués sur la performance d’endurance), publiée dans une des revues scientifiques les plus éminentes : Nature. Dans cette étude, les individus se sont retrouvés à produire plus de force physique lorsqu’ils avaient été visuellement pré-activés (ou « amorcés ») par une forte récompense d’argent, comparativement à une faible récompense. Sans être capables de préciser ce qu’ils avaient vu ni même qu’ils avaient aperçu quelque chose, force était donc de constater qu’ils étaient plus performants dans ces quelques cas avantageux (un résultat non attribuable au hasard dont la probabilité statistique est, on le sait, égale à 50% seulement).

 

Cette observation, si elle témoigne alors du pouvoir de notre environnement à orienter notre manière de réagir, interpréter (voire subir ?) le monde extérieur autant que celui intérieur, se transfère bien évidemment dans le contexte des événements sportifs auxquels nous participons. Ces situations ne sont en effet pas sans s’accompagner de comportements aussi impressionnants qu’anecdotiques auxquels nous pouvons associer la présente réflexion. Ainsi les conséquences d’un traitement subliminal peuvent avoir trait :

– au dérapage émotionnel d’un sportif suite à la perception d’une image à caractère négatif, qu’il ne saura expliquer par ailleurs,

– à un soulagement de l’effort ressenti après avoir entre-aperçu une personne qu’on ne saura resituer par la suite,

– à une baisse de la sensation d’effort, après avoir machinalement capté l’air d’une musique,

– au passage en mémoire d’un vague souvenir qui habitera temporairement le sportif, comme un rêve dont il ne pourra se rappeler,

– et d’autres…

 

Les avantages attribuables à ce phénomène, qu’ils soient liés à la performance brute du sportif ou au plaisir ressenti, sont donc aussi forts et probables que ses inconvénients, capables de survenir sans crier gare. La raison à cela, c’est que notre système d’intégration de l’information exerce un filtre (relatif à la différence entre le total des informations capturées par le corps et celles parvenant finalement au champ de conscience) qui ne fait pas de distinction entre la valence positive ou négative de l’information en provenance – cette attribution de valeur requérant la capacité d’abstraction qui, elle, est liée à l’implémentation plus tardive du cortex frontal.

 

Dans ce cadre, qui peut alors prédire que le contexte de compétition sera propice à l’expression maximale de sa propre performance ? À cette question, les plus aventuriers répondront en se laissant aller à découvrir les situations telles qu’elles viennent. Pour les autres en revanche, ce phénomène d’influence inconsciente alimente clairement l’intérêt des routines d’actions et de pensées avant une épreuve, adoptées dans le but de minimiser les facteurs parasites/d’altération et donc de préserver l’énergie nécessaire au focus sur soi. Dès lors, même si le milieu demeure bel et bien changeant d’une épreuve à l’autre, l’idée n’en demeure pas moins que plus il sera stable, plus le sportif restera hermétique aux influences extérieures.