Activité physique
D’abord, un questionnaire adressé aux nageurs de la FFN a permis de montrer que plus de la moitié d’entre eux se sont entraînés moins de 10 heures par semaine pendant le confinement, alors que la majorité de ces nageurs s’entraîne au moins 20 heures par semaine en temps normal.
Ces résultats nous montrent d’ailleurs que seulement 2% des sportifs se sont entraînés plus de 20 heures.
Graphique montrant la répartition du volume d’entrainement hebdomadaire des nageurs de haut niveau pendant le confinement
Leur volume d’entraînement habituel a donc réduit de 2 à 4 fois, avec une diminution encore plus importante de l’activité physique spécifique, puisque les nageurs ne pouvaient pas nager en piscine (à part quelques exceptions isolées). Le risque de désentraînement est donc multiplié. Le désentraînement a été défini comme la perte partielle ou totale des adaptations anatomiques, physiologiques et fonctionnelles induites par l’entraînement, suite à l’arrêt de l’entraînement (Mujika et Padilla). Ce processus de désadaptation n’est pas uniforme et dépend principalement 1) de la composante de la condition physique (c’est-à-dire la condition neuromusculaire et la condition aérobique) et 2) de la durée de l’arrêt de l’entraînement.
Bien-être physique
Toutefois, malgré cette baisse du volume d’entrainement, la plupart des nageurs a reporté se sentir plutôt bien physiquement avec seulement 5% d’entre eux se déclarant peu ou pas en forme.
Graphique montrant le sentiment de bien-être physique des nageurs de haut niveau pendant le confinement
Même si ces chiffres semblent très positifs, ils restent subjectifs et ne peuvent à eux seuls indiquer que l’état de forme des nageurs n’a pas baissé. Toutefois, il semble montrer que les nageurs se sentent bien, et ont probablement un bon niveau de récupération. Il est important de préciser également qu’un maintien d’une dizaine d’heures d’activité physique par semaine ne correspond pas à un réel désentrainement. Il est donc probable que les sportifs aient pu garder une bonne partie de leurs capacités physiologiques. Nous verrons plus tard dans cet article les effets sur certaines de ces fameuses capacités physiologiques…
Bien-être mental
Les résultats des questionnaires mettent également en évidence que l’état mental est assez lié à l’état physique. Ces résultats pourraient suggérer que les sportifs de haut niveau qui sont capables d’effectuer une dose quotidienne régulière d’activité physique ont tendance à maintenir une perception de bonne santé physique qui peut avoir un impact positif sur leur état d’esprit. Cependant, ces corrélations modérées suggèrent également que d’autres facteurs influencent l’humeur, et donc la santé mentale, dans le contexte actuel (voir ci-après). On retrouve donc peu de nageurs qui se déclare « pas bien » moralement.
Graphique montrant le sentiment de bien-être mental des nageurs de haut niveau pendant le confinement
Il existe tout de même environ 10% de nageurs qui ne se sont pas bien sentis moralement pendant le confinement. L’un des facteurs de risque pour la santé mentale des athlètes de compétition est une diminution brutale du volume d’entrainement, qui peut se produire dans le cadre de blessures graves ou de l’après-carrière (Rice et al., 2018). De plus, il a déjà été montré que les sportifs de haut niveau peuvent être sujets à une plus grande prévalence de symptômes et de troubles de santé mentale que la population générale (Gouttebarge et al., 2019). Il est donc vraiment important de mettre l’accent sur la manière dont ils gèrent psychologiquement cette situation.
Difficultés rencontrées
Le questionnaire prescrit par la FFN a également permis de rapporter les principales difficultés rencontrées par les nageurs durant ce confinement. Seulement 25% des nageurs ont rapporté n’éprouver aucune difficulté.
Graphique montrant les principales difficultés rencontrées par les nageurs de haut niveau pendant le confinement
La difficulté qu’ils ont le plus soulignée est le manque de motivation à s’entrainer. En effet, l’incertitude, le sentiment de vulnérabilité et la perte de but qui sont vécus dans ce contexte peuvent facilement déclencher des émotions négatives (la fréquence des émotions négatives était également une difficulté soulignée par les athlètes) et avoir un impact sur la motivation (Hossain et al., 2020). Le manque de matériel était évidemment une autre difficulté majeure pour réaliser son activité physique régulière. Le manque de sommeil ou la mauvaise qualité du sommeil a également été souligné comme une difficulté courante que les athlètes éprouvent actuellement. Les troubles du sommeil peuvent être un symptôme de problèmes de santé mentale chez les athlètes de haut niveau (Reardon et al., 2019). Enfin, au fur et à mesure du confinement, de plus en plus de nageurs ont rapporté ressentir des douleurs ou des blessures aux niveau musculaire et tendineux. Une étude ayant déjà prouvé qu’une interruption d’un travail de prophylaxie des épaules chez de jeunes nageurs pendant l’intersaison a des effets délétères sur la force et l’équilibre de la coiffe des rotateurs de l’épaule (Batalha et al., 2014).
Dans ce contexte, il est donc nécessaire de mettre en place des stratégies de prévention et des interventions pour protéger la santé mentale et physique des sportifs et pour maintenir une motivation suffisante pour qu’ils restent physiquement actifs dans le cadre de cette stratégie de santé mentale.
Données physiologiques
Les données physiologiques récoltées chez une vingtaine de nageurs de haut niveau nous permettent d’élargie notre spectre d’analyse sur les conséquences du confinement chez les sportifs de haut niveau. En effet, lorsque l’on regarde les fréquences cardiaques de repos au réveil, en position couchée et debout, nous pouvons avoir quelques indications sur les mécanismes physiologiques mis en jeu pendant cette situation exceptionnelle.
Tout d’abord, on observe une légère augmentation de la FC de repos en position couchée (environ +2 battements par minute en moyenne). Cette hausse de FC peut refléter notamment refléter une baisse du niveau de l’endurance, surlignant une capacité cardiaque un peu moins importante, avec un débit cardiaque en diminution. Toutefois, les données nous montrent que cette hausse de FC ne se voit pas chez tous les nageurs. On remarque d’ailleurs que pour certains sprinteurs, la FC couchée de repos diminue. Il est probable que pour ces nageurs, l’allègement de la charge d’entrainement leur permette de récupérer davantage par rapport à d’habitude, où le stress sur l’organisme est plus important.
Graphique montrant les changements de FC couché chez nageurs de haut niveau avant et après 4 semaines de confinement
Ensuite, en position debout, on observe des résultats bien plus marqués puisque l’on observe que chez tous les nageurs testés, la FC debout augmente par rapport à leur moyenne habituelle. Et l’augmentation moyenne de FC debout est d’environ 15 pulsations par minute, ce qui est considérable. En position debout, on regarde notamment la capacité du cœur à faire circuler et remonter le sang jusqu’au cerveau. Le fait de changer de position couchée à debout, demande un effort à notre organisme, c’est pourquoi le retour veineux est plus compliqué dans cette posture.
Graphique montrant les changements de FC debout chez nageurs de haut niveau avant et après 4 semaines de confinement
On constate ici une forte élévation du rythme cardiaque. Il est probable que la diminution de l’activité physique générale associée à une augmentation du temps passé en position allongée ou assise ait induit une altération du retour veineux chez les nageurs. Le cœur doit donc battre plus vite pour favoriser la circulation du sang. Des études ont déjà mis en évidence la corrélation entre le temps passé debout et la FC de repos (Hallman et al., 2019). Plus on est assis ou couché pendant la journée, plus notre FC de repos sera élevée. Des études précédentes ont rapporté qu’une augmentation de la FC de repos entraîne un risque accru d’hypertension (Shi et al., 2018), de maladies cardiovasculaires et de mortalité dans la population générale (Jensen et al., 2013 ; Zhang et al., 2015 ; Nauman et al., 2010).
A ce titre, nos résultats rappellent bien l’importance de maintenir une activité physique régulière pour diminuer les risques de cardio vasculaire (alors que ces sportifs ont pourtant maintenu une dose d’activité physique relativement importante !). Portier et al., (2001) avaient d’ailleurs déjà rapporté que les FC debout de repos étaient plus hautes lorsque des athlètes durant leur période de repos.
Conclusion
Dans cet article, nous avons présenté une partie des conséquences du confinement sur l’état de santé mentale et physique des nageurs de haut niveau. Des données sur plus de 200 nageurs nous permettent d’avoir un état des lieux assez précis de l’état des troupes après 8 semaines de confinement. Si la santé mentale et physique des nageurs semble avoir été bien préservée pendant cette période, nous avons également constaté certaines désadaptations physiologiques (avec des données de fréquence cardiaque de repos notamment). Toutefois, nous nous garderons bien de prédire l’avenir et d’interpréter l’impact de ces observations sur le long terme. En effet, il n’existe pas d’étude précise qui pourrait se rapporter à cette situation, et encore moins chez des nageurs (l’impossibilité de nager rend cette situation plus spécifique que pour les sports terrestres comme le cyclisme ou la course à pied par exemple).
Cependant, il convient de rappeler que les nageurs – comme tous les sportifs – ont pu trouver des opportunités durant cette période. Pour certains, elle a permis de récupérer, de souffler après trop de mois d’entrainement soutenus. Pour d’autres, elle a facilité la récupération mentale et favorisé le bien-être psychologique, en permettant de faire le point et de réfléchir sur sa carrière. Des nageurs ont pris du temps pour apprendre de nouvelles choses comme des techniques d’imagerie mentale, de relaxation, etc… Cela a également permis aux entraîneurs du monde entier d’échanger davantage et de se former sur des secteurs dont parfois le rythme compétitif ne permet pas d’appréhender. Enfin, cette période inédite et exceptionnelle créera sans doute des processus proches de la résilience. Cette dernière étant une capacité forte chez les sportifs de haut niveau.
Références :
- Batalha NM, Raimundo AM, Tomas-Carus P, Marques MA, Silva AJ. Does an in-season detraining period affect the shoulder rotator cuff strength and balance of young swimmers?. J Strength Cond Res. 2014;28(7):2054‐2062. doi:10.1519/JSC.0000000000000351
- Gouttebarge V, Castaldelli-Maia JM, Gorczynski P, Hainline B, Hitchcock ME, Kerkhoffs GM, Rice SM, Reardon CL. Occurrence of mental health symptoms and disorders in current and former elite athletes: a systematic review and meta-analysis. Br J Sports Med. 2019;53(11):700-706.
- Hallman DM, Krause N, Jensen MT, Gupta N, Birk Jørgensen M, Holtermann A. Objectively Measured Sitting and Standing in Workers: Cross-Sectional Relationship with Autonomic Cardiac Modulation. Int J Environ Res Public Health. 2019;16(4):650.
- Hossain, Md Mahbub and Sultana, Abida and Purohit, Neetu, Mental Health Outcomes of Quarantine and Isolation for Infection Prevention: A Systematic Umbrella Review of the Global Evidence (March 17, 2020). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3561265
- Jensen MT, Suadicani P, Hein HO, et al. Elevated resting heart rate, physical fitness and all-cause mortality: a 16-year follow-up in the Copenhagen Male Study Heart 2013;99:882–887.
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