L’entraînement en force nous protège-t-il vraiment des blessures en course à pied ?

C’est l’un des arguments pour son inclusion dans les programmes d’entraînement en course à pied ou en triathlon.
La logique est d’ailleurs bonne et les anecdotes monnaie courante. Pourtant les preuves scientifiques sont plutôt fragiles. Allons creuser ce sujet primordial pour le pratiquant !

La meilleure façon de prévenir les blessures en course à pied serait de devenir fort !

C’est dans cette direction que s’est dirigé l’air du temps au cours de la dernière décennie pour les entraîneurs, kinésithérapeutes et pratiquants.

Pourtant vous allez le voir, les résultats des études actuelles sont assez décevants.

La justification de l’entraînement en force, en revanche, semble inattaquable : les blessures surviennent la majorité du temps lorsqu’un stress trop important est appliqué à un tissu qui ne peut en absorber le volume, la répétition ou le type de sollicitations.

Alors, le renforcement du tissu serait l’un des moyens les plus efficaces d’éviter les blessures en course à pied.

Quid des travaux scientifiques

Mais cette affirmation doit également être traitée avec prudence, selon une revue de littérature portant sur les programmes de prévention des blessures liés à la pratique de la course à pied. Publié dans la revue de référence Sports Medicine, une équipe de recherche dirigée par Richard Blagrove de l’Université de Loughborough en Grande-Bretagne (celle-là même où s’entraîne la triathlète française Cassandre Beaugrand et une partie du squad Olympique Britannique) résume les preuves disponibles.

Blagrove est l’auteur de Strength and Conditioning for Endurance Running et a travaillé avec de nombreux coureurs élites sur leurs routines de travail en musculation et notamment de la force, il est donc sur le terrain clairement « pro-musculation ». Je cite d’ailleurs certains de ses travaux dans d’anciens articles sur les liens existant entre l’entraînement en force et l’économie de course.

Pourtant, vous allez le voir, son tableau d’ensemble de la prévention des blessures via la musculation est décevant à la lecture des résultats bruts de l’étude. Mais comme souvent, les résultats sont à interpréter à la lecture approfondie d’un travail de recherche et seront même finalement plutôt optimistes en conclusion.

Comme pour toutes les revues de littérature, le premier défi consiste à trouver des études qui répondent à des critères strictes et homogènes. Dans ce cas, l’un des principaux obstacles consistait à garantir que les sujets étaient, selon une définition raisonnable, des coureurs.

Des études antérieures sur le sujet ont par exemple inclus des travaux auprès de militaires pour lesquels la course à pied ne représentait qu’une petite part de l’entraînement global, et les blessures subies au cours d’autres activités d’entraînement étaient pourtant considérées comme des « blessures de course ».

Pour l’étude de Blagrove et collaborateurs, le critère premier était que la course à pied soit la principale activité d’entraînement des sujets, représentant au moins la moitié de leur temps d’entraînement (ce qui hormis pour les triathlètes serait déjà faible).

Ils ont pu inclure 9 articles portant sur un total de 1 904 sujets. Cela pourrait vous paraitre énorme, mais c’est un total assez faible dans le cadre d’études statistiques portant sur les blessures.

Par ailleurs, l’inclusion du travail musculaire était multiple comprenant : des exercices de force assez classiques type fentes ou squats, des exercices de sauts ou de travail pliométrique, des routines de base de renforcement ou plus spécifique comme la musculation des muscles intrinsèques du pied, etc.

Cette grande variété est le canevas du coureur à pied, mais dans le cadre d’une étude elle va malheureusement amener beaucoup de bruits dans l’analyse des résultats et s’apparentera au dicton « qui de la poule ou de l’œuf ? »

Il devient donc difficile de cerner les bénéfices entre groupe expérimental et témoins.

Tel est, pour l’instant, l’état des preuves. Comme toujours, nous avons faim d’en savoir plus.

Par exemple de savoir quel est le niveau de preuves qu’une simple routine d’entraînement en force impactera positivement le taux de blessure chez le coureur à pied ?

Étant donné qu’il s’agit de l’une des formes d’exercice additionnel les plus courantes chez les coureurs, on pourrait penser que nous saurions si cela aide, mais il n’y a presque aucune preuve dans les deux cas.

Il existe des preuves solides que cette approche fonctionne dans d’autres sports comme le football par exemple, mais cela ne veut pas dire que cela aura le même impact en course à pied, puisque les mécanismes de blessures sont différents, mais cela suggère que cela vaut la peine d’être creusé.

Prenons le temps de mieux creuser les études et le sujet…

Une tendance intéressante dans les données est que les trois études qui ont produit le risque de blessure le plus faible se sont également avérées être les trois études dans lesquelles la routine d’exercice était supervisée plutôt que simplement assignée à être effectuée à la maison.

Des recherches antérieures ont tendance à montrer que les participants obtiennent des gains plus importants lorsqu’ils sont surveillés par un observateur ou un entraîneur personnel.

Cela pourrait être dû au fait qu’ils s’investissent plus profondément ; ou dans ce cas, il se pourrait que ce soit le seul moyen de garantir qu’ils pratiquent aussi assidument que demandé. Il va sans dire que les exercices ne peuvent fonctionner que si vous les faites réellement.

Il convient également de noter que Blagrove et ses collègues ont été particulièrement intrigués par une étude publiée récemment dans le journal de référence American Journal of Sports Medicine, qui utilisait le renforcement spécifique des muscles du pied et de la cheville, y compris des exercices comme le « foot doming », basés sur le concept de « noyau du pied » visant à améliorer la stabilité du corps.

Dans cette étude portant sur 118 coureurs, le groupe témoin était 2,4 fois plus susceptible de développer une blessure au cours de la période de suivi d’un an comparé aux participants cherchant à rendre ses pieds plus forts et plus « intelligents ».

Mais l’intérêt d’une méta-analyse est de regrouper plusieurs études, d’augmenter la taille de l’échantillon et de réduire le risque de résultats aléatoires, ainsi que d’erreurs ou de biais des enquêteurs.

C’est d’ailleurs ce que l’équipe de Blagrove a fait en excluant deux études aux résultats intéressant au premier abord… mais à la méthodologie très douteuse…

Cela enlève forcément du poids aux résultats et il est difficile de porter des conclusions à partir d’une étude très sérieuse, aux résultats encourageants… mais au panel de sujets limité.

La science est limitée mais gardons du bon sens de terrain !

Nous ne pouvons pas affirmer à ce stade et avec certitude, si l’entraînement en force ou d’autres formes d’exercices de renforcement réduisent le risque de blessure en courant. La logique est solide et les preuves circonstancielles provenant d’autres sports sont fortes mais suggestives.

Malgré tout et peut-être plus important encore, il existe des preuves très solides que diverses formes d’entraînement en force, pliométrie, vitesse, travail du pied, etc. (bref de renforcement) améliorent l’économie de course et donc assez logiquement l’impact de la course et de sa charge mécanique, donc du risque de blessure !

Vous ne prenez donc pas grand risque à en inclure dans vos routines d’entraînement. Assez logiquement vous serez un(e) meilleur(e) coureur/coureuse.

Nous pourrions également inclure que les preuves sont également aujourd’hui fortes de leur impact sur l’endurance musculaire, ce qui a nouveau pourra limiter l’impact de vos entraînements et compétitions sur le risque de blessures.

Le niveau supérieur sera de réussir à cibler vos besoins en fonction de vos faiblesses identifiées et/ou de votre discipline en course à pied.

Et peut-être encore plus important, le type d’entraînement en renforcement que vous serez capables de réaliser sur le long terme car ce n’est que sa récurrence qui pourra amener des résultats probants sur vos performances, votre robustesse et donc mécaniquement probablement la limitation de vos blessures.

Si vous souhaitez aller plus loin nous avons par le passé écrit de nombreux articles sur le sujet :

https://www.lepape-info.com/author/anael-aubry-sport-scientist

Et pour d’autres informations entraînement, course à pied, nutrition, récupération, etc. n’hésitez pas à nous suivre :

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