Petit retour historique
Jusqu’à la deuxième guerre mondiale deux méthodes classiques sont utilisées dans le domaine de l’entraînement du demi-fond et fond.
Une méthode mixte alternant course en durée et marche, principalement en nature et sur route sur des parcours présentant des dénivelés. Le contenu était un tempo lent, régulier sur des distances très longues ou un temps de séance important.
Cette méthode est un héritage de l’entraînement des coureurs professionnels anglais du XVIIIème jusqu’au début du XXème siècle.
Une méthode mixte alternant course en durée, marche avec une nouveauté, l’intégration des courses de rythme. C’est dans les universités américaines qui avaient repris dans les dernières décennies du 19 -ème siècle que cette innovation a vu le jour en développant de manière révolutionnaire la méthode classique en rajoutant aux deux dimensions connues, des courses de rythme rapides.
Les coachs avaient acquis la conviction que la pratique de répétitions de courses sur des fractions de la distance préparée permettait également d’obtenir la résistance nécessaire à la fatigue, c’est-à-dire l’endurance pour les longues distances lorsque ces répétitions de fractions de distance sont faites conjointement à la course en durée.
C’est donc au début du XXème siècle qu’est né le principe de l’intervalle dans l’entraînement c’est-à-dire un travail sous formes de répétitions et récupération avec des pauses, sur des distances plus courtes que la distance de course dans un rythme déterminé avec des temps de récupération complets et de nombreuses répétions.
Le principe de l’entrainement par intervalle est donc déjà pratiqué à l‘époque par les plus grands coaches américains et chez d’anciens vainqueurs olympiques. Ce sont tout particulièrement, les coaches Mike Murphy, Lawson Roberston et Dean Cromwell qui ont été les pères fondateurs de cette méthode qui fut alors reprise partout dans le monde sous cette forme en particulier en Finlande qui devient au début du XXème siècle la nation dominante dans le domaine de la course de longue distance, avec Hannes Kolehmainen puis Paavo Nurmi.
C’est vers 1910 par l’intermédiaire de courriers provenant de son frère William, coureur professionnel aux Etats-Unis qu’Hannes Kolehmainen a découvert ce type d’entraînement. Ces courriers contenaient des plans d’entraînement conçus par l’entraîneur en chef de l’équipe olympique américaine Roberston, C’est ainsi qu’Hannes Kolehmainen qui a gagné lors des JO de Stockholm en 1912 toutes les médailles d’or sur les longues distances a été conseillé et guidé sur cette méthode, générant en Finlande un enthousiasme incroyable pour les courses de durée.
C’est dans cette tradition que le jeune Paavo Nurmi a grandi. Il s’est d’abord entraîné à la manière de Kolehmainen, puis plus tard d’après ses propres expériences. Laura Pikkala, l’entraîneur finlandais, a décrit très précisément son entraînement de l’époque qui reposait sur la course en durée, de marche en nature conjuguée avec des courses de rythme et des sprints avec des pauses de récupération sur la piste.
La conception des Finlandais était identique et en accord avec l’approche des américains, comme l’écrit Pihkala : « Il faut toujours garder à l’esprit, que la répétition de courtes distances, tranchantes avec des pauses suffisantes ou des courses à allure lente, régulière entrecoupés de démarrages et d’accélérations développent bien mieux l’endurance que la course longue et monotone sur une piste »
C’est sur la base de modèle classique des Finlandais, que se déroulait jusqu’à la deuxième guerre mondiale, l’entraînement des coureurs de longue distance dans quasiment l’ensemble des pays au monde.
Dans le domaine de l’entraînement de demi-fond court, c’est l’Allemand Woldemar Gerschler qui est alors l’entraîneur référent avant le déclenchement de la guerre. Sa méthode, qu’il a appliqué auprès du recordman du monde du 800 m Rudolf Harbig (1’46″6 en 1939), reposait principalement sur des courses de rythme avec des pauses de récupération longues.
Ces séances étaient construites autour de répétitions rapides sur de courtes distances, les pauses de récupération variant selon la distance courue et la vitesse de l’effort et pouvant être soit de 5’’, 10’’, 20’’ ou même durer plus longtemps.
Gerschler était convaincu, que l’endurance de vitesse (nb : l’endurance spécifique), la capacité essentielle du coureur de demi-fond pouvait aussi être développée, même pour des distances plus longues par la répétition de courtes distances courues à haute intensité.
Et Zátopek alors ? Comment a-t-il découvert l’entraînement fractionné ?
L’entraîneur Allemand Toni Nett, réformé lors de la période 1940 -1942 pour une grave blessure, s’est fortement intéressé sur l’utilisation par Gerschler chez Harbig de la méthode américaine (tempolauf) du travail par répétitions. Il a rédigé un certain nombre d’articles sur le principe de l’entraînement par intervalles dans la revue « Der Leichtathlet ».
En 1949, il a été destinataire d’un courrier, émanant de Clément Kerssenbrock de Prague, entraîneur de la future championne olympique Dana Zátapkova – la femme d’Emil Zátopek.
Kerssenbrock écrit : « Passionné par vos nombreux articles dans la revue « Leichtathletik, sur le principe de l’entraînement par intervalles, j’ai propagé cette méthode dans mon pays avec mes élèves et mon ami Bem. Nous nous sommes appuyés sur des distances d’entraînement, très proches de celles que vous suggériez mais très souvent nous suivions directement vos préconisations. Malgré la méfiance initiale, nous avons réussi, dans un laps de temps réduit à « intervalliser » nos athlètes et à leur permettre d’améliorer leurs performances.
Dans une première phase de son développement, Zátopek a utilisé sous la conduite de son entraîneur Hron, d’autres distances d’entraînement. Mais lorsqu’avec Bem, j’ai « intervallisé », selon votre méthode et à partir d’expériences propres, l’ensemble de l’entraînement, la méthode d’entraînement par intervalles s’est généralisée au rythme d’une avalanche et est devenue à la mode. Ceci s’est passé dans les années 43 /44, et c’est à ce moment que Hron et Zátopek ont commencé à s’entraîner selon le principe de l’intervalle… ».
C’est ainsi que la méthode d’entraînement sur le principe de l’intervalle est arrivée, chez l’homme qui va, par ses nombreuses victoires olympiques et records du monde influencer fortement le monde de la course à pied.
Mais Zátopek n’a pas fait que reprendre la méthode, il a expérimenté en permanence et apporté sa propre pierre à l’édifice.
Qu’a apporté Zátopek de neuf au développement de la méthode ?
Zátopek – l’inventeur de l’entraînement par intervalles sous forme continue
Sur ce qu’a réalisé réellement Zátopek à l’entraînement il y a beaucoup de débats, de représentations erronées, car Zátopek lui-même est un mythe.
Que n’a ton pu lire : « Trop de quantité, trop de répétitions, allures trop lentes, pauses trop courtes … ». Avis, interprétations, commentaires, spéculations, transformations de la réalité n’ont cessé d’être au cœur des interrogations autour des contenus d’entraînement de Zátopek.
Le mieux, c’est d’écouter Zátopek lui – même.
En 1962, paraît un livre écrit par Emil et sa femme Dana Zátopek. Le livre s’intitule « Dana et Emil racontent ». Ce livre relate toutes les pratiques et contenus de l’entraînement de Zátopek.
Ces extraits sont issus du formidable livre sur l’entrainement des coureurs de demi-fond et fond de Toni Nett : « Modernes Training Weltbester Mittel-und Langstreckler » édité en 1966 (Bartels & Wernitz).
Emil Zátopek a cherché en permanence la méthode d’entraînement qui lui conviendrait le mieux. Il n’était jamais satisfait de ce qu’il avait obtenu et était très critique envers son propre entraînement. Il expérimenta continuellement de nouvelles choses. Comme il essayait toujours des choses différentes, il donnait bien entendu à différentes occasions et moments aux journalistes ou aux observateurs des réponses variables, de telle façon que personne n’était jamais vraiment en mesure de réellement dire ce qu’il faisait à l’entraînement et de ce qu’il considérait comme le plus efficient.
Emil était par ailleurs un plaisantin : quand ces trop nombreuses questions lui apparaissaient comme étant trop bêtes, il donnait volontairement des réponses différentes, voire contradictoires.
Les réponses apportées dans son livre révèlent donc sa vraie opinion et ses pratiques d’entraînement.
Zátopek sur son entraînement au cours de sa carrière
Dans le chapitre intitulé : « Ma préparation pour mes succès sur les courses de longues distances », il donne les précisions suivantes :
Son entrainement à ses débuts : utilisation de courses « tempo » par répétitions
C’est sous la conduite du Dr Haluza (un coureur de longue distance) qu’il a débuté l’entraînement qu’il décrit ainsi :
« Après l’échauffement, j’ai mis mes pointes et dévalé au maximum de ma puissance la ligne droite sur la piste. Pendant que mes camardes discutaient pour savoir si j’étais passé dans le camp des sprinters, je récupérais de mon sprint en soufflant dans le virage puis recommençais à la vitesse maximale dans la ligne opposée. Après la 4 -ème ligne droite mes jambes ne me portaient plus et je dus mettre fin à l’entraînement pour cette journée ».
Plus tard il modifie cet entraînement : « Mon entraînement prit un autre caractère, c’était une course ininterrompue avec des changements d’allure (changements d’intensité) : toujours 100 mètres à vitesse maximale, puis 100 mètres trot et ainsi de suite ou 200 mètres à vitesse maximale et 200 m trot et ainsi de suite. Ceci est quelque chose de très différent qu’une course à intensité régulière. Le sprint rapide étouffe le muscle de fatigue et sans leur donner le loisir de récupérer on attaque un nouveau sprint. C’est ainsi qu’on apprend à dominer la fatigue … »
Entraînement durant l’année 1944
« Durant l’année 1944, mon entraînement quotidien était de 10 x 100 m ou 10 x 200 m ou 10 x 400 m. Toutes ces distances, je les ai courues à intensité maximale, les pauses étant trottées sur la même distance. Je n’avais pas de chrono, mais il me suffisait de savoir que j’étais aussi vite que je le pouvais. J’estime les temps à 13 secondes sur 100 m et 26 à 28 secondes sur 200 mètres, les 400 entre 55 secondes à 1′. Parfois j’y glissais 20 x 50 m avec 50 m de trot (sprints par intervalles). C’était vraiment une véritable corvée ».
« A vitesse maximale, je courais le 50 mètres et, encore essoufflé après la petite pause trottinée, il fallait que je redémarre un nouveau sprint. Après 5 tours de piste, j’étais content d’être encore à peu près conscient. Mais j’aimais un tel entraînement, cela démontrait qu’on pouvait entraîner l’endurance en pratiquant des courtes distances.
Pour encore mieux préparer les courses, j’ai inventé différentes combinaisons : par exemple 2 X 200 m + 2 X 400m plus 2 x 200 m ou encore 2 x200 m plus 300 m plus 2 X 200 m plus 2 x 100m et ainsi de suite ».
Entraînement dans les années 1946
Le chapitre est titré : « Renforcement et endurcissement ».
« Dans l’académie militaire (Zatopek était militaire) il y avait un manège couvert …on s’étonnait de me voir avec des bottes lourdes m’escrimer dans la sciure de bois, alors que c’était beaucoup plus facile sur la piste avec des chaussures de sport légères. Mais je m’astreignais à cette corvée… À Milovice, j’ai également couru dans la neige avec des bottes militaires sur 20 à 24 kilomètres. Après je passais sous une douche froide et je n’ai jamais pris froid.
« Après mon retour du championnat de cross-country ma première destination a été le stade. Mais ma bonne humeur a été refroidie par les footballeurs qui s’y entraînaient. Pendant tout mon entraînement j’ai dû supporter leurs blagues et remarques, du genre : « Mais qui te poursuit donc pour courir ainsi ?… Tu as beaucoup d’avance, souffle un peu ! ». Après mon retour victorieux et joyeux, je me suis senti offensé. J’ai quitté le stade et suis parti vers la forêt ».
Entraînement en forêt
« Tout d’abord j’ai couru, en allant à droite et à gauche, sans objectif. Mais je me suis vite ennuyé, j’ai donc essayé de courir en forêt des fractions de distance de course plus longues. J’ai choisi dans cette optique un chemin forestier couvert d’herbe et relativement plat, qui mesurait environ 250 mètres. Je suis parti en trombe pour aller d’un bout à l’autre, trottiner pendant 150 mètres puis repartir en sens inverse. Après une petite pause pour retrouver le souffle je suis reparti pour une troisième fois. Mon esprit de compétition ne me laissait pas en paix jusqu’à ce que j’aie réalisé vingt fois la distance. Après ces 20 répétitions, je me suis reposé un peu puis je suis rentré en trottinant. J’étais surpris de constater, que la fatigue était moindre en courant dans l’herbe que sur une piste dure. C’est ainsi qu’en rentrant j’ai encore réalisé 5 sprints de 150 mètres. »
Le jour d’après, je n’avais aucune envie de retourner au stade. Sur la route vers la forêt je me suis échauffé en trottant, réalisant 5 x 150 mètres à vitesse maximale. Sur un autre chemin forestier au sol souple j’ai fait 20 x 400 mètres avec une récupération trottinée et sur le chemin du retour à nouveau 5 x 150 m en accélération.
Le troisième jour, j’ai couru à nouveau 20 x 250 mètres, mais afin d’apporter un peu de variété à l’entraînement j’ai décidé de faire toutes les 3 répétitions une récupération en faisant de grandes foulées.
Le quatrième jour, j’ai réalisé 20 x 400 mètres et à nouveau j’ai travaillé le renforcement musculaire en faisant des bondissements lors du temps de récupération.
Les jours impairs, j’ai décidé de toujours faire 20 x 250 mètres et les jours pairs 20 x 400 mètres (c’est-à-dire pendant les jours impairs un travail à visée musculaire des courses d’allure – tempo – à répétitions) et les jours pairs un travail de type intervalle à visée cardiaque
Cet entraînement eut des effets miraculeux sur moi. J’ai gagné en vitesse et endurance. La force d’impulsion et d’extension, je les ai obtenus par le travail de bondissements. Comme je m’entrainais avec des pointes très lourdes, j’ai également augmenté la force de mes muscles abdominaux. Par ailleurs l’entraînement en nature avait aussi un côté apaisant et la course sur l’herbe douce ménageait mes jambes ».
« Je me suis dépensé de cette manière pendant 2 mois dans le bois et dès la première course j’ai battu mon record sur 3 000 mètres en l’amenant à 8’13″6 ».
« Quelque temps après était organisé pour la première fois à Prague, le célèbre Rosicky mémorial. Ce n’est que grâce à mon entraînement très dur, que j’ai réussi à suivre le rythme initial rapide et que j’ai pu moi-même prendre la tête après le 5 -ème tour. Lors des tours suivants, j’ai accentué mon avance et finit en vainqueur en 14’08″0, ce qui signifiait un nouveau record et une meilleure performance mondiale de l’année ».
Entraînement année 1947 / 1948 : préparation aux Jeux Olympiques 1948 à Londres.
« Pour préparer de la distance olympique du 10 000 mètres, j’ai dû élargir un peu mon programme. Je courais habituellement 5 x 200 m plus 20 x 400 m plus 5 x 200 m. En vitesse je ne courais que les 200 mètres. Pour les fractions de 400 m, j’atteignais des temps de 65 à 67 secondes (entrainement par intervalles avec pauses trottinées). Comparativement aux autres coureurs de distances, c’était très largement qualitatif (intensif) ».
Zatopek a gagné le 10 000 mètres à Londres, mais s’est incliné face à Gaston Reiff (Belgique) sur 5 000 mètres vraisemblablement parce qu’il a couru lors de sa série qualificative inutilement à une allure élevée et avait par conséquent entamé ses forces.
À partir de ce moment l’entraînement de Zatopek a été une combinaison de différents moyens d’entraînement.
L’entraînement 1949 / 1950
« …En 1949, je m’entraînais sur la base du même schéma : 30 x 400 m et en 1950 jusqu’à 40 x 400 m. Il arrivait parfois durant ces séances, qu’après 10 x 400 m je pouvais à peine traîner mes jambes, tellement les efforts étaient intenses. Si je n’avais pas été aussi têtu, j’aurais sûrement abandonné. Mais soudainement, après 18, 19 ou 20 répétitions sur 400 mètres, je retrouvais de nouvelles forces. Les derniers 200 mètres je les courais alors à nouveau à pleine vitesse. Je pense, qu’après une telle charge aussi dure, le système nerveux engage une espèce d’amortissement. »
L’entraînement en 1952 / 1953
« Je répartissais les différentes fractions de la manière suivante :
5 x 200 en 30 à 35 secondes (entrainement par intervalles (de durée) intensif)
15 x 400 m dynamique mais sans engagement particulier (entre 1’20 et 1 ’30) (entraînement par intervalles de durée lente)
15 x 400 m en environ 70 secondes (entraînement par intervalles rapides)
10 x 400 m léger (entre 1’20 et 1 ’30) (entraînement par intervalles de durée lente)
5 x 200 au sprint (sous les 30 secondes) (répétitions de type tempo)
« Avec ces variations d’allure, j’irritais aussi tous les preneurs de chronos cachés qui mesuraient chaque fraction et qui ne pouvaient se faire aucune idée sur ce que je faisais ».
« Après les nombreux succès (Zátopek a gagné les trois titres olympiques à Helsinki) j’ai essayé de rajouter 10 x 400 m. Mais c’était trop ! Je n’étais pas en mesure de récupérer pour mon prochain entraînement le lendemain. C’est pour cette raison que j’ai très rapidement arrêté cette option ».
Je n’ai pas modifié l’entraînement en 1953, car j’avais moins de temps disponible.
« Quand je n’avais absolument pas de temps pour aller au stade, j’essayais de trouver une alternative à la maison : couché sur le dos, je mimais la course à pied avec accroché à chaque pied, une charge de 2 kg. Après 100 pédalages je faisais 100 flexions de jambe et répétais cela 10 fois.
Afin de renforcer les muscles de la cuisse, je montais les genoux à la poitrine en les attachant à des ressorts. Mais je dois reconnaître que les exercices réalisés à la maison ne m’étaient d’aucune utilité probablement parce que je n’avais pas la capacité de courir suffisamment à côté. Les exercices de musculation doivent être un complément mais ne peuvent pas remplacer la course ».
Nouvelles formes d’entraînement
« En 1953, j’ai constaté que mes performances stagnaient. En conséquence j’ai cherché de nouvelles formes d’entraînement. Dans mon camp d’entraînement j’ai commencé à m’entraîner 2 fois par jour, augmentant ainsi les répétitions de 400 m jusqu’à 100, de manière ondulatoire, c’est-à-dire 10 répétitions avec engagement puis 10 répétitions en souplesse, cependant les 200 m je les faisais toujours avec 100 % d’engagement.
Les fractions de 400 m étaient bien évidemment plus lentes que l’allure moyenne en course c’est-à-dire entre 1’30 à 2’ pour les 400 m – forme extensive de course intermittente en durée). On ne faisait guère la différence avec l’allure du trot durant la phase de récupération. Plus tard dans la saison, j’ai commencé à réduire le nombre de répétitions mais d’augmenter l’intensité de course. On s’est alors beaucoup étonné qu’avec un entraînement aussi lent j’ai réussi à battre les records du monde de 5000 m et 10000 m (en 1954).
Le chapitre : « Fin peu glorieuse en raison d’un excès de course. (Toni Nett : il voulait probablement parler trop de compétitions. »)
Note de JCV : durant la saison 1954, Zatopek a participé à 3 cross, 12 x 5 000 m et 7 x 10 000 m.
« A Stockholm, j’ai encore pu abaisser mon temps sur 5 000 m (13’57″0). Mais les succès alternaient maintenant souvent avec les déceptions. Dans mon carnet d’entraînement se succèdent des notes sur des défaites, mais également, ce qui était nouveau et difficile, sur des maladies et blessures. Ceci m’a amené à réfléchir sur mon entraînement, car Heino et Mimoun étaient plus âgés lorsqu’ils battaient des records et des gagnaient des titres olympiques ».
Dans le chapitre titré : « Bilan » Emil Zátopek revient sur la justesse de son chemin dans sa démarche d’entraînement.
Il arrive aux conclusions suivantes qui peuvent être particulièrement intéressantes pour les coureurs.
« Bien que j’aie perdu la plus grande partie de mes records, je ne vais pas me lamenter sur mon entraînement. En réalisant de courtes distances à l’entraînement, j’ai pu quand même largement développer, et ce bien plus que mes prédécesseurs, ma vitesse. Mais dans le but de développer encore plus cette vitesse en relation avec ces propres capacités et aptitudes physiques et mentales, j’ai été dépassé par de jeunes coureurs de fond et subi face à eux de lourdes défaites. Avec la moitié du volume d’entraînement ils m’ont relégué à un tour. Comment peut-on expliquer cela ? »
Zátopek apporte de lui-même la réponse, en soulignant clairement :
« La qualité a plus d’importance que la quantité ! J’ai démarré en tant que débutant avec quelques lignes droites sur la piste et ai terminé avec le vertigineux chiffre de 100 x 400 m en une journée. J’ai toujours couru plus et plus long et je suis ainsi arrivé à des distances toujours plus longues, jusqu’à bloquer toute possibilité de retour. Vladimir Kuts (son successeur aux JO de Melbourne et qui détiendra les records du monde sur 5 000 m et 10 000 m) cependant a lui aussi commencé avec 5 x 200 m plus 20 x 400 m plus 5 x200 m. Mais alors que j’augmentais tous les ans le nombre de répétitions, et qu’en conséquence, j’étais amené à courir trop lentement, Kuts est resté sur la même nombre de répétitions mais en courant ces fractions à une plus grande allure ».
« J’aurais donc dû développer la qualité (intensité) de mon entraînement plutôt que la quantité. Mais aurais-je pu, d’un autre côté, pu gagner le marathon de Helsinki n’aurais pu mettre le record du monde de l’heure et du 20 km, du 30 000 m ».
Épilogue
« J’ai tenté quelques dernières expériences. A l’automne 1957 alors que j’avais déjà achevé ma carrière, j’ai tenté une petite expérimentation avec cette augmentation de la qualité de l’entraînement évoquée plus haut. Avant mon dernier départ lors la course de San Sébastian (il va gagner) je parcourais presque chaque jour, en bottes 40 x 200 m en côtes (dénivelé 2 à 3 %).
Toutes les 3 répétitions je pratiquais une sorte de course sautée (bondissement). Dans les descentes, je montais très haut les genoux, cherchant l’extension de la jambe, et en pratiquant des sortes de sauts. Après ces courses avec des formes sautées succédait une course relâchée.
À ces entraînements, je rajoutais 2 x par semaine une séance sur piste de 5 x 200 m 10 x 400 m 5 x 200m en cherchent une poussée des jambes. Pour terminer, je faisais 10 x 300 m en 45 sec. Cela a suffi pour gagner à San Sébastian, mais a également amélioré de manière visible le style de course. Je conseille à mes successeurs de tester ce type d’entrainement ».
Analyse et conclusions (de Toni Nett – en 1966)
D’un entraînement à visée musculaire (courses de rythmes à répétitions, sprints), Zatopek est arrivé finalement à une bonne combinaison :
- Un travail d’intervalles sous forme continue lent avec l’objectif d’augmenter la capillarisation musculaire
- Un travail d’intervalles sous forme continue rapide (FC jusqu’à 180) dans l’objectif d’augmenter le volume du cœur
- Courses de rythme et sprints sous formes d’intervalles afin de gagner en vitesse et l’adaptation des processus énergétiques sur le plan musculaire (dette d’oxygène)
En conséquence il est clairement démontré que l’entrainement de Zátopek n’était pas un entraînement utilisant uniformément et exclusivement un travail d’intervalles sous forme continue lent mais passait également beaucoup de temps à la recherche d’une adaptation sur le plan musculaire.
On ne peut pas le présenter comme témoin principal de la thèse affirmant que la quantité est dans tous les cas plus importants que la qualité. Car lui-même s’est clairement exprimé sur la priorité à accorder à la qualité. Même si on peut admettre qu’il visait en disant cela, les distances inférieures au 10 000 mètres et qu’il ne négligeait l’importance de la quantité pour les coureurs des plus longues distances.
Privilégier la qualité signifie :
- Course en durée continue rapide (FC jusqu’à 160)
- Course en duré intermittente rapide (FC jusqu’à 180)
- Courses de tempo et répétitions rapides
- Sprints, sprints par intervalles
- Côtes
Privilégier la qualité signifie :
- Course en durée continue lente et longue (FC jusqu’à 130)
- Course en durée intermittente lente et longue
- Courses de tempo pas plus rapides que l’allure de compétition
Bien que Zátopek se soit rangée du côté de la qualité, il est clair qu’il doit également ses succès à la quantité.
On peut donc dire que le débat post Zátopek n’est pas quantité ou qualité mais bien quantité et qualité avec un principe élémentaire : plus la distance est courte et plus la qualité sera privilégiée et plus la distance augmente et plus la quantité prendra le dessus. Le tout est de savoir, en fonction du profil du coureur, dans quelle proportion il faut le faire !
Alors chers coureurs, comme le disait souvent avec plein d’humour et de sagesse un entraîneur de mes débuts : « La qualité dans la quantité et de la quantité dans la qualité, voilà la voie à suivre ».
7 réactions à cet article
Sam
Merci pour la partage.
J’ai lu tous vos articles, on en apprend beaucoup grâce à vous.
Ferrez-vous un jour un article sur l’entraineur Arthur Lydiard ?
Cordialement
Jean Claude Vollmer
C’est prévu car c’est un entraîneur qui m’a marqué mais je finalise un livre sur le 1500 m donc un peu de patience !
jcv
MICHEL SUTER
Arthur Lydiard je l’ai bien connu. Un type épatant que j’ai rencontré au Danemark en 1975.
Sur son invitation j’étais chez lui en N.Z. à 2 reprises et lui s’est arrêté 6 ou 7 fois chez nous pendant ses voyages en Europe. Un entraineur hors pair aux déductions et prévisions toujours très juste.
Cordialement.
Michel Suter
Yosi
Merci pour l’article . Mais à la fin sur les deux axes : quantité et qualité : n’estes vous pas trompé en écrivant deux fois : » Privilégiez la qualité signifie » à deux reprises ?
Paillat
Super article, instructif ! J’avais l’impression de voir le plan de jean jo brecheteau ( un coureur qui a 42 ans à couru le semi en 1h03 ).
Sam
Bonjour, je ne trouve plus l’article sur le coureur Steve Jones.
Il a était supprimé ?
Sam
Dommage qu’on ne trouve plus l’article sur le Marathonien Steve Jones.