Pourquoi coupe-t-on ?
Vous le savez très bien le principe de progression dans l’entraînement est assez simple. Par vos différentes séances vous cherchez à stresser l’organisme, puis par divers phénomènes d’adaptations, vous vous renforcerez pour devenir meilleurs. Ces adaptations pourront autant être mentales que physiologiques, musculaires ou encore biomécaniques.
L’entraînement sera donc une succession de périodes à forts stress d’entraînement et de périodes de récupération pour assimiler ces premiers. Cette accumulation pourra déboucher sur de petits bobos articulaires ou musculaires par exemple.
Surtout, il sera souvent très difficile d’être capable de tenir ce rythme sur le long terme. D’abord physiologiquement. Certes le corps a donc une formidable capacité d’adaptation mais sa marge de progression sera réduite si on le pousse trop. Pas tant dans une charge intensive mais surtout dans la chronicité de celle-ci au fil des semaines. Le corps se fatigue et a besoin de fraicheur pour encaisser au mieux et donc progresser au mieux.
Mais surtout, il a besoin d’une fraîcheur mentale et d’une capacité d’engagement nécessaire à cette progression. Un moment donné il va donc falloir récupérer. Mais alors combien de temps ?
Quelle durée pour la coupure ?
Il va donc falloir couper pour se régénérer pour pouvoir repartir de plus belle sur une nouvelle saison où la préparation sera efficace, tout en minimisant le désentraînement. Pour cela il va donc falloir trouver le meilleur compromis entre un arrêt suffisant pour récupérer et une perte trop importante des acquis qui annulerait tout le bon travail réalisé en amont.
Science et désentraînement
En 2013 était organisé à l’INSEP un congrès portant sur la planification de l’entraînement où étaient invités les plus grands spécialistes internationaux. Une présentation portait sur le désentraînement et allait permettre de mieux appréhender cette période assez floue de la programmation, mais pourtant si importante. Celle-ci était présenté par le français Laurent Bosquet de l’Université de Poitiers. Laurent est principalement connu pour deux aspects de son travail. Le premier que nous avions déjà abordé sur son travail très conséquent sur les stratégies d’affûtage (S’entraîner moins pour performer). Le second sur différents sujets (gestion des charges d’entraînement, stratégies de récupération, etc.) qu’il traita à partir de très larges revues de littératures et méta-analyses de très hautes qualités, permettant une vision plus fine.
Sports d’endurance :
Pour les épreuves d’endurance, 3 principaux facteurs détermineront la performance.
- La VO2max.
- L’endurance aérobie, soit le pourcentage de VO2max que l’athlète est capable de mobiliser sur son épreuve compétitive.
- L’efficience énergétique, le rendement. La mécanique de la voiture, qui se retranscrira le plus souvent au travers des qualités techniques et neuromusculaires (capacité de force et de puissance).
La VO2max représente le produit du débit cardiaque (quantité de sang envoyée vers les muscles sollicités) et la différence artério-veineuse en oxygène (reflète la capacité du muscle à extraire et à utiliser la quantité d’oxygène qui est mis à sa disposition).
Plus précisément le débit cardiaque est lui le produit de votre fréquence cardiaque (FC) (nombre de battements de votre cœur par minute) et du volume d’éjection systolique (VES) (quantité de sang envoyé par le ventricule gauche à chaque fois qu’il se contracte).
Une étude assez ancienne (1985) de Coyle fût réalisée sur des cyclistes de niveau national, qui coupèrent complètement pendant 84 jours. La capacité du VES diminua de façon exponentielle. En clair, plus la durée d’arrêt s’allongeait, moins le cœur était capable d’envoyer un fort volume de sang.
Pour la FC, le constat était identique mais inverse, la FC augmentait de façon assez rapide pour un même effort.
Plus précisément, le débit cardiaque montrait un abaissement significatif après 3 à 4 semaines sans entraînement.
Concernant la capacité du muscle à extraire l’oxygène, celle-ci restait relativement stable pendant les 3-4 premières semaines pour ensuite diminuer.
VO2 max diminuait assez rapidement, dans un premier temps en particulier en raison de la diminution du débit cardiaque (= baisse au niveau central), puis principalement au niveau périphérique (= désadaptation au niveau du muscle qui était entraîné à l’origine).
Et l’endurance ?
Autre désadaptation physiologique, après 1 à 2 semaines d’arrêt de l’entraînement, nous allons augmenter la consommation de glucose (sucres) pour un même effort, ce qui sera plus énergivore et donc moins rentable. Et effet double, nos stocks de sucres seront plus faibles…donc nous tiendrons bien moins longtemps l’effort avec des stocks amoindris et un passage à la pompe plus fréquent.
De la même façon, certaines études ont réalisé des mesures de la lactactémie. Pour rappel, celle-ci est un marqueur indirect de notre système anaérobie lactique, celui-là même qui se met en route lorsque l’effort devient trop intense. Et bien ces niveaux s’avèrent assez rapidement plus importants pour une même intensité, ce qui nous rend moins économique et donc moins endurant.
Même chose pour l’efficience ?
Pour les qualités neuromusculaires suivant un arrêt du sport, la diminution de la force maximale (une répétition avec une charge très lourde) devient significative à partir de la 3ème semaine, même si elle diminue déjà quelque peu avant.
Pour la puissance maximale (une répétition à vitesse maximale avec une charge intermédiaire), le constat est identique.
Enfin, pour la force endurance (charge plus légère que l’on peut répéter dans le temps), son niveau de performance diminuera un peu plus vite et plus fortement.
Donc l’ensemble des paramètres de l’efficacité du geste, vont tous baisser mais à vitesse différente. Quoi qu’il en soit, si on ne les entretient pas, on va vite perdre son rendement optimal (que l’on pourrait assimiler au L/km d’une voiture) et donc consommer beaucoup plus d’énergie ce qui limitera la performance, quel que soient nos qualités physiologiques.
1er élément de réflexion
En 2010, une équipe espagnole porté par Garcia-Pallares réalisa une étude qui fit date. Celle-ci comprenait 14 kayakistes de l’équipe nationale parmi lesquels 10 finalistes mondiaux et 2 champions olympiques !
Pendant 43 semaines, ceux-ci se préparaient de façon intensive pour les mondiaux, avec un entraînement mêlant important travail physiologique sur le bateau et travail de force en salle. Puis s’ensuivait 4 semaines de diminution de la charge jusqu’aux mondiaux.
L’étude devient ici intéressante. Pendant les 4 semaines de coupure, les athlètes devaient passer de de leurs 15 séances/semaine pour un tout autre programme. Soit, seulement deux séances aérobies faciles (40min à 80% de VO2max) et une séance de simple rappel en musculation (3×10 répétitions à 70-75% du max) ou un arrêt total.
De façon très intéressante, ces simples rappels (1/5ème moins de séances et surtout moins intensives) permirent aux kayakistes qui ont suivi ce programme de repartir à un niveau proche de leur niveau des championnats quant à l’inverse la performance était significativement diminuée pour le groupe qui avait suivi leprogramme « arrêt total » !
De plus, deux autres aspects intéressants sont à noter.
Le premier est valable pour le premier groupe car cette stratégie a permis à ces sportifs de mieux bénéficier des cycles d’entraînement suivants. Le second valable pour le groupe arrêt total montre que l’augmentation trop drastique de la charge d’entraînement aura une forte influence sur le risque de blessure. Anticiper la reprise sans se prendre la tête avec des entraînements précis permettra de préparer son corps aux dures premières semaines.
Dernier élément de réflexion
L’affûtage n’a donc plus de secrets pour vous. Laurent et son éminent collègue Basque Inigo Mujika ont montré les stratégies à suivre pour performer le jour J : conserver l’intensité d’entraînement, diminuer le volume en moyenne de 50% (cela peut varier suivant les profils) et autour de 2 semaines (même chose certains en bénéficieront dès 5 jours avant de se désentraîner lorsque d’autres devront attendre 4 semaines), et conserver une fréquence d’entraînement assez proche de celle de préparation.
Le but premier sera de diminuer le niveau de fatigue mais on jouera également sur le niveau de condition physique.
Par exemple, la VO2max s’améliorera avec l’affûtage. Comment ? Par une augmentation du volume plasmatique (notre volume de sang total, soit le réservoir d’essence), de la production de globules rouges (qui améliore le transport de l’oxygène) et de l’activité des enzymes oxydatives (qui améliorent la capacité du muscle à extraire l’oxygène qui lui est amené).
Il aura également un rôle sur l’utilisation des substrats = une augmentation des réserves en sucres et de certaines enzymes (ouvrières de l’usine aérobie) qui jouent un rôle dans la capacité aérobie, ce qui aura un fort impact sur l’endurance.
De la même façon, le coût énergétique a été montré comme étant amélioré autant en natation, qu’en course à pied ou vélo.
Bref, l’affûtage ne fait donc pas que diminuer le niveau de fatigue, mais permettra également de meilleures adaptations des différents marqueurs de la performance en endurance. Il vient donc renforcer l’importance des piqûres de rappel, surtout lorsque l’on sait que son objectif est le pic de forme, mais que la plupart des sportifs n’aura pas diminué leur niveau de performance d’avant affûtage après 4 semaines à conserver l’intensité tout en diminuant le volume.
Mince il en manque un !
La tête ! Et oui, ce qui pêche le plus souvent en fin de saison c’est le mental. La capacité à s’investir à l’entraînement et/ou en compétition. Et même si vous en avez encore sous le pied, enchaîner deux saisons à la suite sera souvent synonyme de gros trou après seulement quelques mois. Rien que pour cela et pour l’importance de notre cerveau dans nos performances (trop souvent oublié au profit des la sacro-sainte physiologie) il sera nécessaire de couper complètement et de ne rien faire plusieurs jours de suite. Peu d’études ont investigué le sujet. Coupez donc suffisamment pour avoir envie d’y retourner sans vous être trop désentraîné.
Enfin, dernier élément, suivant votre discipline, l’appareil locomoteur passif (tendons, articulations) aura également besoin de se régénérer et le meilleur moyen reste le repos total, ou à minima le passage à d’autres activités qui les traumatiseront moins. De la natation pour le coureur, un petit tour de vélo pour le nageur, etc.
Quelques conseils
Il n’y aura donc pas de recette toute prête pour la coupure. Cela dépendra de ce que vous aurez fait en amont (grosse préparation Vs affûtage) et de votre état psychologique et/ou physique. Quoi qu’il en soit elle sera indispensable.
Jonglez donc entre coupure totale et reprise partielle du sport sans prise de tête. N’hésitez pas à varier les plaisirs tant que vous gardez le pied à l’étrier après avoir pris du bon temps. Faites tourner le moteur sans contrainte de chrono ou d’activité et le passage à la salle de sport sera un bon moyen de rester efficace dans son activité.
Visiblement, la durée de deux semaines serait la durée maximale pour ne pas trop perdre, puis reprendre partiellement le sport pour ne pas repartir de trop loin. Pour la reprise sérieuse Il vaudra toujours mieux attendre quelques jours de plus et repartir pour une belle saison pleine que de se précipiter.
Enfin, nous parlons ici de la coupure d’entre saison, mais ces différentes études nous prouvent bien qu’il ne faudra pas hésiter à glisser des micro-coupures (4 à 7 jours) en pleine saison pour se donner plus de chance de réaliser une saison pleine sans trop de baisses de forme, d’envies et de blessures.
Bonne saison à tous !