Musculation et vieillesse : quelle méthode pour progresser ?

On sait depuis quelques années maintenant que le facteur limitant dans l’entraînement d’un senior est moins le plafond de son potentiel d’adaptation que sa vitesse à récupérer des efforts difficiles. Ceci a notamment été mis en évidence dans les sports d’endurance. 

 

Par ailleurs, on accumule aujourd’hui les preuves validant l’idée qu’un effort de musculation géré au ressenti / la sensation est capable de générer des bénéfices similaires aux fameuses séries d’exercice calculées précisément en pourcentage de charge.

 

Un lien entre ces 2 idées (spécificité de l’âge + intérêt du ressenti) vient récemment d’être tissé par une étude parue dans l’une des revues scientifiques les plus cotées (Medicine and Science in Sports and Exercise). Celle-ci a proposé à 150 personnes âgées (82 finalement recrutées, 72 ans de moyenne d’âge) un protocole sur 11 semaines visant à tester l’efficacité de différentes méthodes de renforcement musculaire, à raison de 2 séances (1ère moitié du protocole) puis 3 séances (2nde partie du protocole) d’entraînement par semaine. En effet, parmi les méthodes que l’on retrouve aujourd’hui chez les spécialistes, aucun consensus n’est encore dégagé pour répondre aux particularités de cette population.

 

– le groupe à répétitions maximales

Comme son nom l’indique, ce groupe de participants avait pour consigne de réaliser chaque série jusqu’à atteindre l’épuisement musculaire, objectivé par l’incapacité à réaliser le mouvement. À mesure que la personne progressait pendant le protocole, la charge était progressivement accrue de 5% (haut du corps) et 10% (bas du corps).

 

– le groupe en % 1RM (1 Rendement Maximal)

C’est la méthode commune. Elle consiste à évaluer directement, ou à extrapoler, la force maximale capable d’être dégagée par la personne lors d’une unique répétition (ou 1 Rendement Maximal). Dès ce maximum obtenu, les % de charge sont ensuite déclinés selon l’objectif à atteindre (prise de masse, gain de puissance, minceur, etc.). En l’occurrence dans cette étude, des séries de 7 répétitions à 80% de 1RM ont été ciblées afin d’améliorer la performance des participants.

 

– le groupe RPE

RPE, pour « sensation d’effort ressenti » (en français). Il s’agit ici de faire évaluer son effort par la personne à la fin de chaque série, de « très facile » à « très difficile » sur une échelle de ressenti, en vue d’ajuster la charge de travail de la future série. Dans la présente étude, la charge était augmentée à mesure que la sensation d’effort du participant devenait inférieure ou égale à 8/10. 

Avantage : l’implication du participant et la prise en compte de son état du moment. 

Inconvénient : la nécessité de lui faire confiance et la difficulté à auto-estimer l’effort.

 

– le groupe avec une réserve de répétition

Ce groupe réalisait les mêmes séances que le groupe « répétitions maximales » à l’exception qu’ils avaient pour consigne de cesser la série en cours dès lors qu’ils estimaient être capables de ne réaliser plus qu’une seule répétition supplémentaire. L’idée était donc d’éviter d’atteindre l’épuisement musculaire, autrement dit de conserver une « réserve de répétition » (d’où le nom du groupe)


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« La méthode RPE pourrait être la plus efficace pour les personnes âgées, car elle permet d’ajuster la charge de travail de la personne séance après séance en fonction de ses sensations subjectives, comme la douleur ou la fatigue résiduelle, et peut être considérée comme la moins intimidante des autres méthodes de progression » 

(Buskard et al. 2019)

 

 

Alors que l’on pourrait s’attendre à des écarts de progression différents entre les 4 méthodes comparées, les gains observés en matière de force ont été similaires pour chaque groupe. Ceci peut s’avérer surprenant puisque les 2 premières méthodes sont réputées être celles générant les gains les plus importants – en raison de sollicitations musculaires accrues. Cependant, au sein de la population spécifique de cette étude (n’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’athlètes de haut niveau), ces 2 méthodes ont aussi été celles qui s’accompagnaient de niveaux d’appréciation et de tolérance à l’entraînement les plus bas ! Par ailleurs, c’est dans ces 2 groupes que les taux d’abandon de l’étude ont été les plus élevés.

 

La méthode basée sur le ressenti a été, dans ce protocole, la plus adaptée pour des exercices de renforcement musculaire chez des personnes âgées. Pourquoi « adaptée » ? Car certes elle a eu l’avantage d’induire des gains de performance comparable aux autres groupes, mais elle s’est surtout accompagnée de scores de satisfaction (6.62 /7), de tolérance à l’entraînement (6.74 /7) et d’abandon les meilleurs de toute l’étude. Lorsque l’on sait que la dimension agréable de l’activité physique (le « plaisir ») est le 1er facteur à conditionner la pérennité de l’engagement d’une personne dans la pratique, on comprend vite pourquoi la méthode RPE peut être celle à prioriser pour une population âgée.

 

En termes d’explications, les avantages de cette méthode relèvent essentiellement de la possibilité de réguler in-situ les charges de travail. Une douleur persistante aux lombaires ? Des courbatures résiduelles aux pectoraux ? Un regain soudain de tonus dans les jambes ? Pas de problème ! Les charges peuvent être redéfinies le jour même, au coup par coup, ce qui n’est pas le cas lorsque la charge de travail est pré-établie. Ainsi peuvent être évitées les surcharges sur certains muscles et articulations, de même que la démotivation d’un entraînement où l’on n’a pas son mot à dire. La personne avance à son rythme.

 

En favorisant ainsi l’implication de la personne (par l’écoute de son corps, le choix des poids…) sans pour autant perdre en bénéfices musculaires, l’intérêt de la méthode RPE semble évident. Néanmoins, il convient de poser une limite à ces résultats puisque la population recrutée n’était pas coutumière d’exercices de musculation. Ainsi, il n’est pas certain qu’avec une population âgée déjà familière du renforcement musculaire les autres méthodes, plus exigeantes par nature, n’aient pas entraîné de meilleurs résultats.

 

Tableau des variations de performance par groupe :

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