A première vue, la pratique du tapis roulant à des fins d’entraînement structuré est éloignée des préoccupations des coureurs de trail. Pourtant, il existe 3 cas dans lesquels cette pratique peut s’avérer judicieuse : lors d’hivers rigoureux pour des athlètes isolés n’ayant pas accès à des installations sportives en journée ; pour les coureurs de plaine souhaitant travailler régulièrement en pente ; et enfin dans le cas de confinement que nous vivons actuellement.
Bien entendu, tous les tapis ne permettent pas tous les types d’entraînement. Tout dépend de la puissance du moteur (et donc de la vitesse maximale), des programmes proposés, de la longueur et de la largeur de la bande, et de l’inclinaison du tapis. Pour les coureurs expérimentés, un tapis capable d’atteindre les 20 km/h est préférable, tout en sachant que l’on peut jouer ensuite sur l’inclinaison. En salle, les meilleurs tapis (également les plus chers) atteignent les 25 km/h et parfois les 30% de pente, de quoi pratiquer sans limite.
Avant d’expliquer les modalités de l’entraînement sur tapis, faisons le point sur les avantages et les inconvénients d’une telle pratique.
Les inconvénients
- Sol assez dur et uniforme pouvant entraîner des pathologies de répétition.
- Pas de résistance de l’air et donc pas d’évacuation de la chaleur produite.
- Température ambiante souvent élevée
- Pratique monotone et donc rébarbative.
- Difficulté, voire impossibilité à pratiquer certaines formes d’entraînement : vitesse, fractionné …
- Biomécanique de la foulée différente du terrain.
Les avantages
Il est avantageux de s’entraîner sur tapis si :
- Vos lieux d’entraînement (campagne, montagne) sont sans éclairage nocturne et vos horaires de travail sont non compatibles avec une pratique de jour
- Les températures externes sont extrêmes, ou les terrains impraticables
- Vous êtes angoissé(e) à l’idée de vous entraîner seul(e) en certains lieux.
- Vous pouvez disposer d’un tapis professionnel avec des programmes variés (salle de sport)
- Vous voulez respecter facilement des allures de course
- Vous voulez travailler des allures spécifiques pour le marathon, ou des intensités spécifiques en plages de fréquences cardiaques.
De plus, vous avez la possibilité de :
- Travailler en côte comme en descente ! (voir plus loin)
- Croiser l’entraînement (vélo, stepper, circuit renforcement) si vous êtes en salle de sport.
En période de confinement, la question se pose en d’autres termes : comment utiliser intelligemment le tapis pour limiter le désentraînement et ne pas se blesser ?
Rappelons aussi que la grande majorité des études de recherche en physiologie se déroulent sur tapis, le lien est donc réel entre le travail sur tapis et la réalité de terrain. Rappelons quelques règles à respecter dans les circonstances actuelles :
– Fréquence des séances : maximum 3 séances par semaine
– Durée des séances : < 45min, échauffement et récupération compris.
– Intensité des exercices : inférieur au seuil ventilatoire 2 (dit seuil d’inadaptation ventilatoire) et même par précaution < 80% de l’intensité maximale.
– Pratiquer dans une pièce ventilée pour évacuer la transpiration et permettre le refroidissement corporel.
– Tenue vestimentaire la plus légère possible
– Hydratation régulière, voire aspersion sur les temps de récupération.
Le tapis roulant, l’outil préféré des physiologistes de l’exercice. Ici Vincent Pialoux, chercheur à Lyon1. Photo V. Govignon
Et bien entendu, chez soi comme à l’extérieur, l’échauffement est nécessaire en préambule de toute séance. En extérieur, même sans s’en rendre compte, les 10-15 premières minutes sont courues plus lentement. Sur le tapis, il faut donc débuter à une vitesse inférieure à celle de la séance qui va suivre, même si la séance prévue est un simple footing à allure constante. Par exemple, pour réaliser 45 min à 12 km/h, on commence par 5/10 min à 10 km/h, puis 5 min à 11 km/h avant de passer à la vitesse supérieure.
Même si la température intérieure excède les 20 degrés et favorise l’augmentation de la température interne, les différentes parties du corps (muscles, tendons, articulations, système neuromusculaire) présentent des inerties différentes de mise en chauffe. Par exemple, les muscles et les tendons sont en période de repos à la température de 36 °. Or, on sait que leur rendement est maximum à la température de 39° car cette température amène une baisse de la viscosité des muscles, des augmentations de l’élasticité des tendons, de la souplesse musculaire et du débit d’oxygène sanguin. Le système nerveux a aussi un fonctionnement optimum entre 38° et 39°, et une amélioration des transmissions nerveuses entraîne une accélération de la vitesse de contraction musculaire de 20%. Pour ces 2 raisons, un individu échauffé à 38°-39° peut travailler physiquement avec moins de fatigue, moins de traumatismes articulaires et avec une précision supérieure à celle d’un individu non échauffé.
Les effets bénéfiques de l’échauffement sont donc : adaptation cardio-vasculaire, mise en condition du muscle, mise en condition nerveuse, mise en condition articulaire (plus grande fluidité de la synovie qui lubrifie nos articulations), amélioration de l’attitude mentale et effet protecteur sur le cœur prouvé par diverses études.
Autre chose, courir sur tapis nécessite un apprentissage. Les sensations sur tapis roulant sont trompeuses et la vitesse paraît toujours plus élevée que la vitesse réelle, au moins dans le temps d’apprentissage.
Quelles séances pratiquer ?
Voici des exemples de séances, avec des allures à faire varier selon l’expertise. Chaque séance n’excède pas 45min.
La récupération finale peut se faire sur :
Séances en Endurance Fondamentale :
Séance 1 : 40 mn en continu avec paliers à 10 et 30 mn. (40mn, c’est très long sur tapis !)
(10 mn échauffement à 10 km/h puis 20 mn à 11 km/h et 10 mn à 12 km/h), ou 10 mn à 55% VMA, 20 mn à 60% et 10mn à 65% de VMA.).
Séance 2 : 20 min+ 25 mn
(10 mn échauffement à 10 km/h puis 10 mn à 11 km/h – 5mn pause avec hydratation – 10 mn à 11 km/h, 10 mn à 12 km/h et 5 mn à 12,5 km/h)
Repères : de 60 à 70% VMA
Séance en endurance active
10 mn à 65 % VMA + 30 mn à 75% VMA. Par exemple, pour une VMA à 16 km/h, 10mn à 10.5 km/h puis 30mn à 12 km/h
Fractionné
10 mn échauffement à 55% VMA + 3 x 8 mn à 80% VMA avec 2mn récupération à 50% VMA + 5-10 mn à 50% VMA. Soit pour une VMA de 16 km/h : 10mn à 9 km/h, puis 3 x 8 mn à 13.5 km/h avec 2 mn récup à 8 km/h, puis 5-10 mn retour au calme à 8-9 km/h.
Du dénivelé à la maison
Enfin, le travail de côtes est possible sur tapis, et il peut même s’avérer très judicieux pour les coureurs de plaine, encore faut-il le pratiquer avec certains repères. En côte, le coût énergétique de la foulée augmente, ce qui réduit la vitesse pour une même intensité de course. Les vitesses données dans le tableau ci-dessous sont issues de recherches réalisées avec le LIBM Lyon 1 sur les facteurs de performance en trail. Ce tableau nous indique par exemple que courir à 20 km/h à plat revient à courir à 10.5 km/h dans une côte à 20%. Bien entendu, à l’extérieur, compte tenu de la technicité du terrain, cette vitesse serait encore réduite. De plus, les données sont variables d’un individu à l’autre. Par exemple, on observe qu’en moyenne, courir à 15% de pente est 2 fois plus coûteux que courir à plat. Mais cela peut aller de 1.8 fois à 2.2 fois, ce qui modifie complètement les vitesses associées. A chacun d’affiner pour trouver les bonnes correspondances.
Vitesse à plat | Vitesse à 3% | Vitesse à 5% | Vitesse à 10% | Vitesse à 15% | Vitesse à 20% |
10 | 8.7 | 7.9 | 6.4 | 5.2 | 4.4 |
11 | 9.6 | 8.7 | 7.0 | 5.8 | 4.8 |
12 | 10.4 | 9.5 | 7.6 | 6.3 | 5.2 |
13 | 11.3 | 10.3 | 8.3 | 6.8 | 5.7 |
14 | 12.2 | 11.1 | 8.9 | 7.3 | 6.1 |
15 | 13.0 | 11.9 | 9.6 | 7.9 | 6.6 |
16 | 13.9 | 12.7 | 10.2 | 8.4 | 7.0 |
Correspondance vitesse à plat/vitesses en côtes. P. Balducci – LIBM Lyon 1
Les mêmes formules basées sur les coûts énergétiques (rappel : Vitesse = VO2/coût énergétique), permettent de calculer les vitesses en descente pour les rares cas où les tapis peuvent s’incliner dans ce sens. Si en montée le coût énergétique augmente quasi-proportionnellement avec la pente, le lien coût – course en descente est plus complexe. En effet, le coût diminue jusqu’à atteindre un minimum à 10% de pente, puis il augmente en raison de l’énergie dépensée pour freiner le corps engagé dans la pente. Ainsi il est plus coûteux de courir en descente à 15% qu’à 10% !
Bien entendu, le travail en descente est limité par les capacités d’inclinaison du tapis et par les vitesses atteintes. De même, seule la dimension musculaire (travail en excentrique) est possible, les dimensions technique et psychologique (l’engagement) étant absentes. Cela signifie que rien ne remplace un entraînement en nature, mais pour cela, il faudra attendre encore un peu.
A l’aide du tableau, vous pouvez composer vos propres séances sur tapis et ainsi travailler sur de longues côtes en continu, en faisant varier la pente et la vitesse, ou fractionner sur de plus courtes durées.
A la lumière de toutes ces indications, il ne vous reste plus qu’à prendre le tapis en marche, ou plutôt en course, et attendre sagement que le confinement soit levé pour retrouver les chemins.