Kilian Jornet Summits of my life Cervin

Kilian Jornet, décryptage de sa préparation pour son record sur l’Everest

En 2019 Kilian Jornet et Grégoire Millet ont écrit un article scientifique sur le protocole de « pré-acclimatation » à l’altitude que le coureur à suivi, sous les conseils avisés de ce chercheur de l’université de Lausanne.

Grégoire Millet, ce nom ne vous dit peut-être rien. Pourtant de nombreux sportifs ou équipe nationales font appel à ses connaissances dans le champ des sciences du sport et plus particulièrement sur les thématiques d’altitude et la réponse cardiaque à l’effort.

Non content d’être un grand chercheur en sciences du sport, il est également un très grand sportif. Ancien triathlète de l’équipe de France à la fin des années 80, il se lance dans le trail et participe au célèbre Tor Des Géants. Vous ne connaissez pas ? Cette compétition d’Ultra Trail au départ de Courmayeur, consiste à parcourir 330 km pour 24 000m de dénivelé. Pacotille. Mais il est encore plus marrant de voir apparaitre à la 2ème place du classement en 2012 notre fameux chercheur… Décidément, la tête et les jambes. C’est dire si cette personne a du répondant tant sur le terrain, que dans un laboratoire de recherche.

 

Vous l’aurez compris on a à faire à l’un des plus grands chercheurs de son époque avec une production scientifique très prolifique (plus de 360 articles publiés à son actif) dans des revues de prestiges. Au final deux monstres sacrés dans leurs domaines respectifs se sont rencontrés et ont collaboré à ce projet final du « Summits of my life ».

Pour rappel, « Summits of my life » a débuté en 2012. Ce projet consistait à gravir certains des plus hauts sommets de la planète tels que le Mont Blanc, le Cervin, l’Elbrus, le McKinley, l’Aconcagua et l’Everest, le plus vite possible dans un style Alpin. Le style alpin en alpinisme consiste à gravir un sommet le plus vite possible par ses propres moyens, c’est-à-dire en portant soit même le strict minimum nécessaire. Contrairement aux expéditions, aucun recours à des mules ou des porteurs ou de l’oxygène en bouteille. Tout ce que l’alpiniste prend avec lui, il le porte, et ce n’est vraiment pas la même chose.

 

Revenons-en au professeur Millet et Kilian Jornet. Kilian vit actuellement en bord de mer en Norvège à quelques heures d’Oslo. Qui dit bord de mer, dit faible altitude. Difficile de concilier ce lieu de vie, avec une tentative de record d’ascension de l’Everest vous en conviendrez.

Connu pour ses travaux sur le principe du Live High Train Low (traduisez vie en altitude entraînement en vallée), le docteur Millet a tenté avec Kilian Jornet une nouvelle stratégie afin que l’ascension de l’Everest soit une réussite. Toujours basée sur des nuitées passées en altitude simulée, les entraînements furent effectués en basse et haute altitude (LHTLH : Live high train low and high). Lorsque l’on parle d’entraînement en altitude, il faut savoir que l’on peut se retrouver en environnement hypoxique hypobarique ou hypoxique normobarique.

 

Le premier cas n’est ni plus ni moins qu’un entraînement dans des conditions réelles de pressions atmosphériques que l’on retrouve en altitude. Cette pression atmosphérique diminue à mesure que l’on grimpe en altitude. Au niveau de la mer elle est d’environ 760 millimètre de mercure (mmHg) contre moins de 400 mmHg en très haute altitude.

Ne croyez donc pas qu’il y ait moins d’oxygène en altitude, c’est totalement faux. La composition de l’air reste la même que l’on soit à 500 m ou 6000 m, par contre le jeu des pressions partielles en oxygène est totalement différent. De ce fait, en altitude et encore plus en haute altitude notre capacité à capter cet oxygène de l’air est plus difficile mais nous retrouverons toujours les 78% diazote (N2), 21% dioxygène (O2) et les 1% restants de gaz rares tels que l’argon, le néon, l’hélium …

 

Un environnement hypoxique normobarique correspond à la simulation de l’altitude par une diminution de la fraction de dioxygène dans l’air inspiré (inférieure à 20,93%). C’est précisément une partie du protocole de « pré-acclimatation » qu’a choisi de mettre en place Grégoire Millet. Attention toutefois car les adaptations physiologiques ne sont pas les mêmes et n’aboutissent pas à la même réussite. Les conditions normobariques étant généralement moins efficaces. Il n’en demeure pas moins que l’entraînement en altitude même simulée et notamment l’entraînement à haute intensité (supérieure au seuil anaérobie) a un impact non négligeable sur l’amélioration des capacités d’endurance, d’autant plus marqué qu’il est associé à des nuits passées en tente hypoxique (normobarique).

 

JORNET 1

 

Quelle méthodologie d’entraînement fut mise en place ?

Grégoire Millet proposa durant la phase de « Pré-acclimatation », un protocole LHTLH (Live high, train low and high) consistant à passer les nuitées en tente hypoxique et s’entraîner en extérieur dans des conditions environnementales classiques ou en intérieur en étant soumis à des conditions d’hypoxie normobarique.

Les séances d’entraînement effectuées en extérieur, le furent à une intensité comprise entre 65 et 70% VO2max, sur des durées variables allant 2 à 10 h  (http://www.movescount.com/members/member1018-kilianjornet)

Associé à cela, il lui fut proposé une deuxième séance de course à pied, sur tapis roulant cette fois, effectuée en hypoxie normobarique (via un masque positionné sur son visage). Ces séances d’entraînement à basse intensité se composaient d’un effort d’1h à une altitude simulée de 4000m. Au fil des séances, l’altitude fut progressivement augmentée jusqu’à 6000 m avec une augmentation concomitante de l’intensité de l’exercice. En définitive, Kilian a passé environ 90 h d’entraînement à des altitudes comprises entre 4000 et 6000 m et 30 h au-delà de 6000 m.

 

Des séances à plus haute intensité sur tapis roulant étaient également au programme. Elles consistaient en 10 min d’échauffement à 10 km.h-1, suivi de 4 x 5 min à 15 km.h-1 avec 5 min à 10 km.h-1 puis 5 min à 10 km.h-1 sur une pente simulée de 15% et enfin 5 min de récupération entre 75 et 85 % VO2max selon les estimations de Kilian. Je ne sais pas vous, mais moi je suis éreinté à l’écriture de ces chiffres !

Enfin, il manque le « LH » de la formule LHTLH. Kilian Jornet n’a pas échappé aux nuits en tente hypoxique. À partir du 25 février 2017 et durant un mois, il a dormi 2 à 3 fois par semaine sous tente, pour passer ensuite l’ensemble de ses nuits dans cette condition (jusqu’à mi-avril). Cela représente un total de 260 h passées à des altitudes comprises entre 4000 et 5000 m soit 46 nuitées.

Entre le 17 et le 24 avril 2017, Kilian fit le choix d’aller en altitude, dans les Alpes en s’acclimatant naturellement (conditions d’hypoxie hypobarique), dormant et faisant du ski de rando au-dessus de 4200 m d’altitude, soit un total d’exposition de 100 h. Il prendra ensuite les airs pour arriver au camp de base de l’Everest à 5100 m le 27 avril 2017.

 

Kilian Jornet

 

 

Everest nous voilà, enfin je veux dire « le voilà ! »

Durant les dernières 4 semaines, Kilian vivait en altitude et chaque jour s’exposait un peu plus à la haute altitude. En 5 jours à peine, il était déjà capable d’évoluer à une altitude de 7500 m et atteignit le plateau du Cho You (8200 m) le 7 mai, soit moins de 10 jours.

J’oubliais, toutes ses marches d’acclimatation ou courses furent effectuées sans cordes préinstallées, ni apport complémentaire d’oxygène. Cela oblige à une complète maitrise technique et une grande lucidité. On parlait de l’Ultraterrestre on va pouvoir le nommer aussi l’Altiterrestre ou le Tropoterrestre.

Au 18ème jour dans l’Hymalaya, il dépassa les 8000 m pour la 2ème fois avec des ascensions de l’ordre de 350m/h sur 6 h d’effort entre 6300 et 8400m d’altitude. Comme on ne parle jamais mieux de soi que soit même, lors de mon ascension de l’Aconcagua en 2014 (en même temps que le record de la montée de Kilian Jornet), je faisais environ du 200m/h à 6500m d’altitude soit la vitesse à laquelle Kilian grimpe entre 8000 et 8400 m d’altitude. Même si les allures sont à peine éloignées, les altitudes et la pression atmosphérique associée n’ont rien à voir.

Nous connaissons la suite, il gravira à deux reprises le mont Everest, la première fois dans la nuit du 21 au 22 mai 2017 en 26,5 h depuis le temple de Rongbuk situé à 5100 m d’altitude et la deuxième fois en partant du camp de base avancé. N’oublions pas que ces ascensions furent réalisées sans apport d’oxygène et sans s’aider de cordes fixes, mais tout de même, on ne lui en tiendra pas rigueur, en utilisant la dernière des trois échelles permettant de franchir un passage difficile.

 

Et vous à quand l’Everest ?

Concrètement un Everest même avec apport d’oxygène, porteur, nuit paisible aux différents camps de base (si cela était seulement possible en vrai) nécessite une véritable préparation. Ne vous fiez pas au Blockbuster américain du même nom, où tout est énormément romancé. Pour plus de crédibilité lisez le fantastique ouvrage sur cette tragédie de l’Everest écrit par Jon Krakauer (qui a également écrit le livre « Into the wild »).

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette préparation spécifique ainsi que ce record sont exceptionnels. Être capable de supporter l’entraînement que Kilian Jornet a mis en place pour réaliser son exploit serait déjà pour n’importe qui un premier exploit, quasi irréalisable. Rendez-vous compte, il a effectué un total de 90h entre 4000m et 6000m dont 30 h passées au-delà de 6000 m sur tapis roulant. Et puis il faut ajouter toutes les séances effectuées en extérieur « à l’air libre ».

Grégoire Millet au cours de son étude nous explique que les clés du succès de Kilian Jornet résident dans un grand volume d’entrainement annuel (1140 h / an), un entraînement polarisé composé de 75% du temps passé à basse intensité, ainsi que d’un important volume d’entraînement effectué entre 1800 et 3500 m. Essayez seulement d’effectuer 1140 h d’entraînement par an, cela représente un peu plus de 3 h tous les jours de l’année.

 

 

Ce protocole de recherche et cette réussite finale, sont le premier exemple de l’utilisation d’une stratégie d’acclimatation utilisant l’hypoxie normobarique et hypobarique, associé à du travail à basse et haute intensité. Visiblement cela a eu l’air de fonctionner. De nouvelles études sur le travail à haute intensité en hypoxie effectuée par des chercheurs proches du professeur Millet sont assez concluantes à ce sujet et sont utilisées dans des sports comme le tennis ou le cyclisme. S’ouvre maintenant une nouvelle voie dans le travail en hypoxie à haute intensité afin de préparer un objectif sportif.

Peut-on généraliser ce protocole ou du moins s’en inspirer à plus grande échelle pour toutes les personnes qui souhaitent prétendre à des sommets de haute altitude ? Peut-être, mais il est clair que l’on est sur un cas unique d’étude et qu’il y a très peu de chances que l’on revoit ce type de recherche mis en place. Après tout, qui sont les personnes sur terre pouvant prétendre reproduire ces exploits scientifiques et physiques ? À mon avis elles ne sont pas nombreuses mais qui sait ce que l’avenir nous réserve.

Si vous souhaitez préparez vos futures ascensions en haute altitude n’hésitez pas à avoir recours à l’hypoxique normobarique en passant certaines de vos nuits sous tente hypoxique et en vous entraîner en extérieur et en altitude. Si vous n’avez pas accès aux montagnes au cours de votre préparation, faites vos séances dans la même tente hypoxique que celle sous laquelle vous dormez. Une chose est sure, afin de réussir votre ascension, cette recherche nous a montré que la dernière partie de votre entraînement devra se réaliser en extérieur, à des altitudes qui augmentent au fil des jours, vous permettant ainsi d’optimiser tout le travail effectué sous tente hypoxique.

 

Pour aller plus loin : Millet GP, Jornet K. On Top to the Top-Acclimatization Strategy for the « Fastest Known Time » to Mount Everest. Int J Sports Physiol Perform. 2019 Oct 10:1-4. doi: 10.1123/ijspp.2018-0931.

 

Cyril GRANIER

Docteur en sciences du sport

Entraîneur Cyclisme, Trail, Triathlon

Bike Fitter, Level 2 IBFI

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