S’entraîner mais régresser : comprendre le surmenage – Partie 2

Découvrez le deuxième et dernier extrait du chapitre rédigé par Cyril Schmit consacré au surmenage qui entrave l'entraînement, extrait du livre "Objectif Marathon" de notre coach Jean Claude Vollmer.

À force de données d’entraînement – tous sports confondus –, les recommandations empiriques ont commencé à se multiplier pour fournir des repères dans ce calcul de la charge d’entraînement. Des repères censés refléter une mise en danger effective de l’organisme, et donc une exposition avérée aux risques liés à la surcharge. Aujourd’hui, ces repères ne sont pas encore spécifiques à une discipline (ils sont en passe de l’être). Néanmoins, à partir d’un croisement des recommandations de la littérature scientifique et de notre expérience de recherche appliquée, il est possible de proposer un étalonnage des seuils de risque propres aux sports d’endurance.

 

Actuellement, une recommandation des sciences du sport consiste à comparer la charge d’entraînement (telle que calculée ci-dessus) de la dernière semaine d’entraînement du sportif à la moyenne des charges d’entraînement de ses quatre semaines précédentes. Sur la base de ce ratio 4:1, on obtient ainsi des comparaisons qui peuvent rassembler des scores proches comme 3250:3330 unités (soit +2%), ou à des scores plus éloignés comme 4000:3100 unités (soit -22%). L’important pour nous, c’est alors de pouvoir interpréter la variation entre ces scores. Pourquoi ?

 

Logiquement, on comprend d’abord que la moyenne des quatre semaines d’entraînement fournit une information sur la charge habituelle encaissée par l’organisme. Celle-ci aiguille en quelque sorte sur le niveau de condition physique du sportif : s’entraîne-t-il beaucoup ? Réagit-il de la même façon à deux semaines d’entraînement identiques ? Pour sa part, la dernière semaine d’entraînement apporte des informations sur la charge récente appliquée à l’organisme. On y estime donc plutôt le niveau de fatigue du sportif. En établissant le ratio du second par rapport au premier (« charge aigüe » par rapport à « charge chronique ») tel que présenté plus haut, on parvient alors à dégager des scénarios potentiels :

  • Score inférieur à -20% : risque de désentraînement si cette période se poursuit au-delà d’une simple phase d’affûtage.
  • De -20% à -8% : abaissement de la charge, qui peut être utile si elle reste ponctuelle.
  • De -8% à +8% : stabilité de la charge, souvent synonyme de sécurité pour l’organisme.
  • De +8% à +15% : hausse légère de la charge, utile si bien assimilée.
  • De +15% à +30% : forte charge, prudence car risque de fatigue.
  • Score supérieur à +30% : charge très élevée, risque de blessure.

 

Derrière ces interprétations, on le voit, il est question d’intégrité au sens large : celle des tissus musculaires soumis à l’entraînement, celle immunitaire, celle psychologique liée à l’épuisement des ressources mentales… À défaut de fournir des indications précises sur chacune de ces composantes, ces statistiques ont le mérite d’orienter le futur programme du sportif pour limiter les variations trop importantes de charge d’entraînement (exemple : revoir à la baisse sa future semaine d’entraînement).

Par ailleurs, elles laissent aussi en suspend une part de questionnement personnel. Par exemple, si la hausse de la charge est liée à une hausse du ressenti d’effort plutôt qu’à une hausse du volume d’entraînement, il est fort à parier que les facteurs extra-sportifs y jouent un rôle important. Ce type d’analyse permet donc d’affiner l’interprétation, d’orienter les stratégies d’entraînement ainsi que celles de récupération vers une dimension plutôt mentale (sieste, massage, repos, loisir…) ou plutôt physique (nutrition, cryothérapie, étirements…).

 

Ce modèle de « ratio 4:1 » est aujourd’hui un des plus utilisés sur le terrain. La raison : sa simplicité. Mais ne nous méprenons pas ! Même s’il est relativement fiable, certaines limites se posent à son application – le modèle parfait n’existant pas encore. Ainsi un athlète qui ne s’entraînerait pas / peu de façon volontaire durant une semaine viendrait affecter sa charge chronique (celle des 4 semaines). Conséquence : son ratio 4:1 s’en trouverait biaisé pour plusieurs semaines. Ce type de statistiques suggère donc un minimum d’assiduité pour devenir pertinentes.

Plus important encore comme limite, une analyse comme celle-ci est réalisée a posteriori de la semaine d’entraînement. Si l’on peut en effet calculer les risques existants pour les semaines à venir, on ne peut toutefois pas détecter un syndrome de fatigue naissant au sein-même de cette dernière semaine. Pour cause, il suffit seulement de trois jours de surcharge (physique et/ou mentale) pour voir se manifester les premiers symptômes de fatigue chronique. Dès lors, attendre toute une semaine pour en prendre conscience changerait radicalement les actions à entreprendre à son issue. Comment alors pourrait-il être possible d’outrepasser cette limite de l’échéancier hebdomadaire pour réussir à réaliser un monitoring efficace « au jour le jour » ?

 

L’entraînement de trop, c’est quand ?

L’entraînement de trop, c’est celui que l’on tient habituellement … mais pas aujourd’hui. En tout cas pas dans les conditions de facilité usuelle. Le pire dans cette situation, ce n’est pas ce qui se passe après la séance – digérer l’échec, avoir la sensation d’un besoin de 12h de sommeil ou (erreur !) se dire que l’on n’est pas en forme. Le pire, c’est quand on ne l’a pas vu venir. C’est possible ça ?

C’est possible. Possible quand le rythme quotidien est tellement effréné que la séance est calée – tout juste calée mais calée coûte que coûte – entre deux autres impératifs. Mieux, c’est possible quand on fige son programme d’entraînement et que l’on ne s’interroge pas sur les futurs effets de la séance du jour pour l’ajuster à son réel état de forme. Ou quand « l’autre le fait, alors je peux le faire ». Autrement dit, c’est possible dans la réalité de beaucoup de compétiteurs à l’affût du programme parfait ou de la sensation post-séance : fatigué mais rassuré.

Rassuré… en tout cas une trentaine de minutes. C’est-à-dire le temps que la sensation d’activation s’estompe et laisse place à la réalité post-séance. Celle des tâches familiales, projets professionnels, gestion de soi… Bref, les tâches qui nous monopolisent au quotidien. Après la séance, comme en amont, d’ailleurs. Tâches… ou stress… Termes interchangeables ici car, au final, le résultat est le même : on accumule les efforts, on engrange de la fatigue mais on n’écoute pas ce que nous dit notre corps. À nous le surmenage !

 

L’entraînement de trop, c’est donc celui qui vient nettement déséquilibrer notre balance « charge / récupération ». Nettement, dans le sens où il faudrait deux jours off (sans activité) pour s’en remettre, mais que demain, on a quand même une journée chargée. Nettement, dans le sens où les symptômes que l’on connaît bien par expérience (peiner à rester concentré à 9h du matin, faire preuve d’une mollesse typique des lendemains de fêtes) ne nous ont pas suffi à lever le pied plus tôt. Ne nous suffisent plus. C’est peut-être parce que, justement, on les connaît tellement bien ces symptômes qu’on ne les écoute plus. Fatigue… quand tu nous tiens !

Le pire, c’est quand on ne l’a pas vu venir. « Voir venir ». Autrement dit, percevoir le début d’un décalage par rapport à la norme. Sa propre norme. Soit parce que, faute de ressources mentales/repos, on est juste incapable de prendre du recul sur notre situation, en perte d’objectivité. Soit car on n’est simplement pas sensibilisé aux indices du surmenage. Dans le premier cas, heureusement, notre entourage est présent pour nous renvoyer – parfois en pleine figure – quelques feedbacks rapides et précis du genre : « Qu’est-ce que t’es énervant aujourd’hui ! Arrête un peu de t’irriter pour un rien ! Qu’est-ce que tu as à être aussi négatif ?! » Ici, pas d’excuses, car des retours récurrents comme ceux-là se suffisent à eux-mêmes ; on doit alors admettre qu’on est peut-être un peu moins sociable qu’à l’accoutumé. Ma vie sociale ou le révélateur de mon début d’incapacité à gérer… En revanche, dans le cas d’une méconnaissance des repères objectifs liés au surmenage, pas forcément besoin d’attendre les feedbacks des autres.

 

Une plus grande irritabilité aide au diagnostic, certes. Mais avant d’en arriver là, la première alerte est d’abord de l’ordre du ressenti personnel à l’effort. Et oui, rien de moins compliqué. Quand ? Lors d’une séance familière, déjà répétée à foison, où nos repères (FC + difficulté perçue) sont routinisés à la minute près. Pour la même allure et dans les mêmes conditions (dénivelé, température ambiante), si on en bave bien plus que normalement après avoir passée la moitié de la séance, alors demain on coupe. Repos. Il n’est ici pas question de l’ampoule au pied qui vient malheureusement gêner la séance. Non. Il est question d’un entraînement où notre corps semble totalement fonctionnel. Alors, pour nous aider à identifier un tel décalage, des échelles de cotations de l’effort sont les bienvenues (exemple : de 1 à 10). Simple, non ? (voir le chapitre : Perception de l’effort : influences et implications à l’entraînement)

Mais bon, c’est vrai, il nous en faut – à tort ! – souvent plus pour lever le pied. Alors, dans notre décadence de perfectionnistes, le cardio va ensuite s’avérer très précieux. Comment ? En restant bridé à des valeurs inférieures à celles normalement atteintes à une intensité d’entraînement donnée. Mais… Mais… Exact, tout juste à l’identique d’un bon état de forme où l’on serait finalement en progrès ! Ici, en revanche, la subtilité reste que cette fréquence cardiaque basse est associée à une plus grande pénibilité ressentie à l’effort. L’un ne va pas sans l’autre pour détecter un bon surmené ! En fait, notre corps ne parvient plus à se mettre en marche, il s’épuise d’avoir (à nouveau) à se relancer, ce qui impacte entre autres notre cerveau et notre cœur. Question d’excitabilité du système nerveux.

 

Sceptique ? Pas encore certain d’être surmené ?? Bien… Alors confortez-vous en remarquant que :

1) Votre FC max n’est aussi plus atteinte sur les séances de qualité ;

2) La pente ascendante de votre FC est plus lente au démarrage de l’effort ;

3) La pente descendante (« FC de récupération ») est plus rapide à l’arrêt – pour ces deux paramètres, des repères pris sur 1 minute dès l’amorce/l’arrêt de l’exercice peuvent aisément vous renseigner ;

4) Vous avez une libido dans les chaussettes, un sommeil peu réparateur, une alimentation « plaisir » et peu saine, et une baisse probable de votre variabilité cardiaque (HRV).

 

Heureusement, avant d’en arriver là, il faut déjà avoir franchement appuyé sur le champignon (pas qu’en sport !). Et l’on peut espérer que votre ressenti vous aura préalablement amené à lâcher du lest, car à ce stade il est déjà un peu tard : un seul jour de repos n’est généralement pas suffisant pour retrouver un bon état de forme. Vous aurez déjà basculé vers un état de surmenage non-fonctionnel…

 

Surmenage : le comprendre pour l’éviter

Être attentif à ce genre de détails et à leur coïncidence, c’est ainsi faire de « l’entraînement de trop » un « entraînement opportun ». Pourquoi ? Car lever le pied, ce n’est pas nécessairement dire « Stop », c’est dire « Prudence ». C’est envisager la possibilité de rectifier une séance dès son entame, pour s’auto-annoncer « Vu comment je ressens ce début de séance, peut-être vaut-il mieux que je fasse aujourd’hui un peu de technique / travail à basse intensité / étirements / que je rentre ! ».

Rectifier. Pourquoi ? D’abord, étonnamment, parce que la recherche a montré que ces deux indicateurs (pénibilité perçue + FC) suffisent à diagnostiquer un état avéré de surmenage. L’ensemble des mesures plus complexes (altérations des marqueurs biomécaniques, biochimiques, cognitifs) corrèle en effet avec ces deux repères, bien plus accessibles à tout un chacun. Ensuite – par conséquence et/ou expérience – parce que les entraîneurs de haut niveau eux-mêmes fonctionnent sur cette composante simple avec leurs athlètes : « As-tu réussi à remplir ta séance ? » « Non ?! Alors demain repos ou séance cool / Oui ?! Alors à quel point as-tu perçu cette séance comme pénible ? ». Et l’on retombe ainsi sur une analyse du ressenti de l’athlète telle qu’énoncée ci-dessus. Enfin car, à défaut de rectification, la chronologie présentée (symptômes perceptifs dégradés, puis cognitifs, puis physiologiques) pourrait sinon se sublimer en état de surentraînement. Et là, ce n’est pas d’une seule semaine de récupération dont vous aurez besoin…

 

En somme, l’entraînement de trop n’existe que si et seulement si l’on reste inflexible aux signaux renvoyés par son corps. Comme pour la sélection des espèces, seules celles qui s’adaptent au stress survivent et progressent. Rester rigide face à un stress donné, c’est donc faire un pas en avant vers le grand plongeon. Le mythe du rebond n’est peut-être donc pas tant illusoire que cela. Reste simplement à définir quelles parts de soi laisser dériver, et sur quelles parts rester intransigeant. Alors, à quand la lucidité ?

 

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2 réactions à cet article

  1. Bonjour Mr Vollmer,

    concernant l’évolution de la charge d’entrainement, j’utilise également une formule type temps (min) x RPE (échelle de 1 à 10) mais j’avais lu (je ne retrouve plus la source) qu’il fallait comparer la dernière semaine à la moyenne des 3 précédentes. Et toute surcharge de 50% était alors considérée comme étant un facteur favorisant le risque d’apparition de blessure. Cela vous dit-il qqch?
    PS: dans vos calculs d’illustration, 3250/3300 et 4000/3100 ne donne pas +2% et -22%, ou alors il faut inverser la fraction 🙂

    sportivement,

    kevin

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