L’entraînement de trop, c’est celui que l’on tient habituellement. Habituellement… Pas aujourd’hui. En tout cas pas dans les conditions de facilité usuelle. Le pire dans cette situation, ce n’est pas ce qui se passe après – digérer l’échec, avoir la sensation d’un besoin de 12h de sommeil ou (erreur !) se dire qu’on n’est pas en forme ! Le pire, c’est quand on ne l’a pas vu venir. C’est possible ça ?
Gros comme une maison
C’est possible. Possible quand l’on est tellement dans le speed que la séance est calée – tout juste calée mais calée coûte que coûte – entre deux autres impératifs. Mieux, c’est possible quand on fige son programme d’entraînement et que l’on ne s’interroge pas sur les futurs effets de la séance du jour pour l’ajuster à son réel état de forme. Ou quand « l’autre le fait, alors je peux le faire ». Autrement dit, c’est possible dans la réalité de beaucoup de compétiteurs à l’affût du programme parfait ou de la sensation post-séance : fatigué mais rassuré.
Rassuré… en tout cas une trentaine de minutes. C’est-à-dire le temps que la sensation d’activation s’estompe et laisse place à la réalité post-séance. Celle des tâches familiales, projets professionnels, gestion de soi… Bref, les voiles qui nous monopolisent au quotidien. Après la séance, comme en amont, d’ailleurs. Voiles… ou stresses… Termes interchangeables dans ce genre de situation car, au final, le résultat est le même : j’accumule les efforts, j’engrange de la fatigue mais je n’écoute pas ce que me dit mon corps. À moi le surmenage !
La sortie, c’est par où svp ?
L’entraînement de trop, c’est celui qui vient donc nettement déséquilibrer ma balance « charge / récupération ». Nettement, dans le sens où il me faudrait 2 jours off pour m’en remettre, mais que demain j’ai quand même une journée chargée au boulot. Nettement, dans le sens où les symptômes que je connais bien par expérience (peiner à rester concentré à 9h du mat’, faire preuve d’une mollesse typique des lendemains de fêtes) ne m’ont pas suffi à lever le pied plus tôt. Ne me suffisent plus. C’est peut-être parce que, justement, je les connais tellement bien ces symptômes que je ne les écoute plus. Fatigue… quand tu me tiens !
Le pire, c’est quand on ne l’a pas vu venir. Voir venir. Autrement dit, percevoir le début d’un décalage par rapport à la norme. Sa norme. Soit parce que, faute de ressources mentales/repos, on est juste incapable de prendre du recul sur notre situation. En perte d’objectivité. Soit car on n’est simplement pas sensibilisé aux indices du surmenage. Dans le premier cas, heureusement, notre entourage est présent pour nous renvoyer – parfois en pleine figure – quelques feedbacks rapides et précis du genre : « Qu’est-ce que t’es énervant aujourd’hui ! Arrête un peu de t’irriter pour un rien ! Qu’est-ce que tu as à être aussi négatif ?! » Ici, pas d’excuses, car des retours récurrents comme ceux-là se suffisent à eux-mêmes ; on doit alors admettre qu’on est peut-être un peu moins sociable qu’à l’accoutumé. Ma vie sociale ou le révélateur de mon début d’incapacité à gérer. En revanche, dans le cas d’une méconnaissance des repères objectifs liés au surmenage, pas forcément besoin d’attendre les feedbacks des autres. Voyons donc un peu…
… Quelles cordes puis-je ajouter à mon arc ?
Une plus grande irritabilité aide au diagnostic, certes. Mais avant d’en arriver là, la première alerte est d’abord de l’ordre du ressenti personnel à l’effort. Et oui, rien de moins compliqué. Quand ? Lors d’une séance familière, déjà répétée à foison, où mes repères (FC + difficulté perçue) sont routinisés à la minute près. Pour la même allure, si j’en bave bien plus que normalement, alors demain je coupe. Repos. Je ne parle pas de l’ampoule au pied qui vient malheureusement gêner ma séance. Non. Je parle d’un entraînement où mon corps semble totalement fonctionnel. Ici alors, pour m’aider à identifier un tel décalage, des échelles de cotations de l’effort sont les bienvenues (ex : de 1 à 10). Simple, non ?
Mais bon, c’est vrai, il nous en faut – à tort ! – souvent plus pour lever le pied. Alors, dans notre décadence de perfectionnistes, le cardio va ensuite s’avérer très précieux. Comment ? En restant bridé à des valeurs de FC inférieures à celles normalement atteintes à une intensité d’entraînement. Mais… Mais… Exact, tout juste à l’identique d’un bon état de forme ! Ici, en revanche, la subtilité reste que cette FC basse est associée à la plus grande pénibilité ressentie à l’effort. L’un ne va pas sans l’autre pour détecter un bon surmené ! En fait, mon corps ne parvient plus à se mettre en marche, il s’épuise d’avoir (à nouveau) à se relancer, ce qui impact entre autre le cerveau et le coeur. Question d’excitabilité du système nerveux autonome.
Sceptique ? Pas encore certain d’être surmené ?? Bien… Alors confortez-vous en remarquant que i) votre FC max n’est aussi plus atteinte sur les séances de qualité, ii) la pente ascendante de votre FC est plus lente au démarrage de l’effort, et iii) la pente descendante (« FC de récupération ») est plus rapide à l’arrêt – pour ces deux paramètres, des repères pris sur 1 minute dès l’amorce/l’arrêt de l’exercice peuvent aisément vous renseigner ; iv) vous avez une libido dans les chaussettes, un sommeil peu réparateur, une alimentation « plaisir » et peu saine. Heureusement, avant d’en arriver là, il faut déjà avoir franchement appuyé sur le champignon (pas qu’en sport !). Et j’espère que votre ressenti vous aura d’abord amené à lâcher du lest. Car à ce stade, il est déjà un peu tard : un seul jour de repos n’est généralement pas suffisant pour retrouver un bon état de forme.
Surmenage : travailler moins pour gagner plus
Être attentif à ce genre de détails, c’est ainsi faire de « l’entraînement de trop » un « entraînement opportun ». Pourquoi ? Car lever le pied, ce n’est pas nécessairement dire Stop, c’est dire Prudence… C’est envisager la possibilité de rectifier une séance dès son entame, pour s’auto-annoncer « Vu comment je ressens ce début de séance, peut-être vaut-il mieux que je fasse aujourd’hui un peu de technique/travail sous SV1/étirements/ que je rentre ! » (cf. Entraînement : STOP à la monotonie)
Rectifier. Pourquoi ? D’abord, étonnamment, parce que la recherche démontre que ces deux indicateurs (pénibilité perçue + FC) suffisent à diagnostiquer un état avéré de surmenage. L’ensemble des mesures plus complexes (altérations des marqueurs biomécaniques, biochimiques, cognitifs) corrèle en effet avec ces outils, bien plus accessibles à tout un chacun. Ensuite – par conséquence et/ou expérience – parce que les coaches de haut niveau eux-mêmes fonctionnent sur cette composante simple avec leurs athlètes. « As-tu réussi à remplir ta séance ? » « Non ?! Alors demain repos ou séance cool / Oui ?! Alors à quel point as-tu perçu cette séance comme pénible ? ». Et l’on retombe ainsi sur une analyse du ressenti de l’athlète telle qu’énoncée ci-dessus. Enfin car, à défaut de rectification, la chronologie énoncée (symptômes perceptifs dégradés, puis cognitifs, puis physiologiques) pourrait sinon se sublimer en état de surentrainement. Et là, ce n’est pas d’une seule semaine de récupération dont vous aurez besoin…
En somme, l’entraînement de trop n’existe que si et seulement si l’on reste inflexible. Comme pour la sélection des espèces, seules celles qui s’adaptent au stress survivent et progressent. Rester rigide face à un stress donné, c’est donc faire un pas en avant vers le grand plongeon. Alors, à quand la lucidité ?
Cyril Schmit