Quels sont les apports du travail en groupe dans les sports individuels ? Que peut-on gagner et que risque-t-on d’y perdre ? Comment adapter ses contraintes personnelles (temps, niveau) aux exigences du groupe et y puiser les ressources pour progresser ? Voici, quelques éléments de réponse.

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Addis Abeba, capitale éthiopienne, perchée entre 2 300 et 2 600m d’altitude dans la corne de l’Afrique, berceau de l’humanité et des maîtres de la course à pied.

D’Abebe Bikila (l’homme qui courait pieds nus, double champion olympique du marathon à Rome en 1960 et Tokyo en 1964) à Kenenisa Bekele (multiple champion du monde et olympique) en passant par Haïlé Gebreselassié, l’Ethiopie a fourni au monde les meilleurs coureurs de fond hommes et femmes. Autour du stade, une équipe de football semble s’entraîner, répétant harmonieusement les mêmes gestes, les mêmes éducatifs, accélérant au même instant dans une fluidité remarquable, sous la houlette d’un entraîneur écouté et respecté.

 

Dans ce pays, pas ou peu d’individualisme ; la réussite ne peut se concevoir que par et dans le groupe, en suivant la voie tracée par les prestigieux aînés. Ce sens de la discipline et de l’abnégation est un fondamental. Ce partage des espérances, des joies et des peines, est un fait rare dans la course à pied de haut niveau où l’individualisme et la peur de se confronter à l’autre sont de mises. La rencontre avec ses pairs se fait uniquement le jour de la compétition. Pourtant, de nombreux athlètes européens ont franchi le pas et sont partis en camp d’entraînement au Kenya, en Ethiopie ou au Maroc. Ils témoignent tous d’une expérience forte et enrichissante sur le plan sportif et avant tout sur le plan humain.

Le trail semble pour l’instant échapper à cette fâcheuse règle. Le partage des bonheurs comme des douleurs est une réalité et il est réjouissant de voir le peloton des traileurs, du premier au dernier, se respecter et s’encourager. Face à des épreuves qui le dépassent, qui frôlent l’irrationnel jusqu’à l’épouser, l’homme retrouve un instinct grégaire. Reconnaître l’autre qui accomplit ou tente d’accomplir le même exploit que soi, c’est se reconnaître soi-même, légitimer son action et trouver la force de la réaliser. Face à la douleur, les barrières intimes s’effondrent et on va vers l’autre. Preuve en est également sur la piste au départ de l’ultime et terrible épreuve du décathlon : le 1 500m. Les coureurs s’embrassent, se congratulent, et chacun trouve dans ce groupe uni par la même destinée la force de se dépasser une dernière fois.

Se mettre en mouvement

Tentons d’éclaircir à présent les apports du groupe à chacun de ses membres. Le premier élément rapporté par les coureurs s’entraînant en groupe est la motivation. Motivation pour sortir de chez soi et aller s’entraîner, motivation pour se dépasser. La motivation, du latin « movere » signifie « se mettre en mouvement ». C’est le facteur qui pousse quelqu’un à accomplir quelque chose.

On distingue 3 éléments dans la motivation : l’orientation vers un objet déterminé, l’intensité de l’effort fourni et la persistance dans l’effort malgré les obstacles rencontrés. Le coureur motivé est donc celui qui s’oriente fortement et continuellement vers la réussite de son (ou ses) objectif(s) et qui ne se décourage pas devant les difficultés. La motivation est un processus projectif et en aucun cas une qualité individuelle, un trait de personnalité.

2 types de motivation sont à différencier : l’intrinsèque et l’extrinsèque. La première est liée à l’histoire individuelle, au moteur personnel de l’individu, à ce qui le pousse vers telle ou telle activité. La deuxième relève des incitations extérieures qui peuvent amener l’individu à se motiver : une prime, une récompense au sens général, une reconnaissance sociale. Dans le cas des éthiopiens ou kenyans cités plus haut, la reconnaissance sociale et l’accession à un niveau de vie décent sont des sources de motivation infinies.

L’entraînement en groupe touche à ces 2 types de motivation. Le groupe est une source de motivation extrinsèque qui vient alimenter les fondements de la motivation intrinsèque, encore faut-il que l’individu s’implique dans le groupe et qu’il y soit reconnu comme unité. Pour traduire, la motivation née du collectif apporte l’énergie nécessaire à la poursuite des objectifs personnels en termes de performance et de réussite. L’implication est le degré de participation de l’individu à des événements à caractère collectif. Cette implication est liée à l’image de soi et au rôle joué dans le groupe. Comme dans un système de vases communicants, l’implication est source de motivation et la motivation pousse à l’implication.

Troisième notion liée aux deux précédentes : la satisfaction. La satisfaction est l’accomplissement d’un désir, la réalisation d’attentes conscientes ou inconscientes. Si une personne est satisfaite, il y a toutes les chances qu’elle continue à faire ce qu’il faut pour atteindre ses objectifs. Elle devra même les adapter pour faire face à des besoins en constante évolution.

Pour conclure ce chapitre théorique, on a établi que l’individu qui s’implique dans un groupe y trouve la motivation, la « mise en mouvement » nécessaire pour réaliser ses objectifs et atteindre son but ultime qu’est la satisfaction.

Courir en groupe, pourquoi ?

On court en groupe pour toutes les raisons que l’on vient d’évoquer. Le groupe est un lieu d’échange, de communication, de partage, de plaisir, de passions partagées. Chaque individu n’existe que dans le regard des autres, et le groupe uni par une même passion renvoie une image positive de chacun, valide des choix de vie personnels, intimes.

Mais on court aussi en groupe pour progresser, parce que la confrontation aux autres nous rend meilleurs et nous fait prendre conscience de nos qualités et de nos faiblesses. Le groupe nous aide à nous dépasser en évitant le repli sur soi. Encore faut-il respecter quelques fondamentaux que nous allons évoquer.

Groupe 1
Courir en groupe pour partager des moments forts, vivre une passion commune.

Courir en groupe, comment ?

En course à pied, le groupe pourrait être défini comme un certain nombre de personnes (de 2 à 15 environ) réunis par une même passion et poursuivant les mêmes objectifs. Pour un sport individuel, se retrouver à deux, c’est déjà faire l’expérience du groupe : fixer un horaire de départ, choisir un itinéraire, adapter les allures… Accepter l’autre dans sa différence et faire accepter la sienne.

Voici quelques clefs pour réussir un entraînement en groupe :

  • Séance en nature :

Beaucoup de traileurs, licenciés ou non, forment des groupes conviviaux et se retrouvent tous les dimanches pour une sortie commune. Il est très rare que les niveaux soient identiques au sein du groupe et on ne peut pas à longueur de temps ralentir pour attendre les autres, ou accélérer pour pouvoir suivre l’allure. Ces adaptations extrêmes se font au détriment du plaisir et le groupe va droit à sa dissolution.

Solution simple : on définit un itinéraire connu de tous à l’avance, communiqué par mail les jours précédents au besoin, et on constitue des sous-groupes de niveaux. De plus, on court les 20 ou 30 premières minutes ensemble, ce qui correspond à un échauffement classique. Ensuite, chacun prend son allure naturelle, l’effet stimulateur du groupe – cet ensemble de personnes pratiquant la même activité au même moment – restant présent.

Autre possibilité : les coureurs les plus aguerris peuvent accomplir une boucle supplémentaire pour parvenir au point final au même moment que les autres. Un départ et une arrivée communs sont des actes fédérateurs du groupe. Il peut s’en suivre une séance d’étirements légers ou de gainage guidée par les uns ou les autres.

Groupe 2
Séance de côte en nature, une forte émulation. © Rémi Blomme

 

À éviter : les meilleurs partent devant et attendent régulièrement les autres à des points définis. Les premiers s’entraînent en discontinu et attendent, les derniers se dépêchent pour ne pas trop faire attendre et ne récupèrent jamais !

Il est important que chacun trouve sa place et soit valorisé dans le groupe. Le premier peut se fixer comme objectif de performance d’accomplir quelques kilomètres en plus et de rejoindre ses compagnons. Le dernier peut se fixer comme objectif de ne pas se faire rattraper. Mais les objectifs peuvent se situer à un tout autre niveau : plaisir de l’effort physique, découverte de nouveaux chemins et paysages, partage d’émotions …

Sur une séance de VMA ou de seuil, les coureurs en tête peuvent récupérer en venant chercher les autres afin de rester ensemble sur toute la séance. Enfin, pour les groupes en nombre pair, il est pratique et ludique de réaliser une séance de bike’n run ou VTT pour 2. L’un court et l’autre pédale sur un parcours plat ou vallonné.

Exemple de séance en Bike’n Run : échauffement 2 x 15 mn (le premier court 15 mn puis pédale 15 mn et inversement) puis 8 x 3mn course à 90 % de la Vitesse Maximale Aérobie avec récupération 8 x 3mn sur le vélo. Finir par 2 x 5 mn en endurance fondamentale.

Rappel : la VMA est la vitesse moyenne que l’on peut soutenir pendant 6 à 7 mn. On peut l’approcher simplement par un test à allure régulière sur 1500 ou 2000 m selon son niveau.

  • Séance sur piste :

Sur piste, il est apparemment plus facile de s’accommoder au niveau – et du niveau – des autres. Visuellement, qu’ils soient devant ou derrière, on ne les perd jamais. Les adaptations sont plus simples qu’en nature. Tout commence par un échauffement en commun, couru à allure lente. Les meilleurs peuvent aller un peu plus lentement et les moins bons un peu plus vite sans que cela nuise à la qualité de l’échauffement.

Ce qui se passe bien souvent dans la réalité, c’est que de petits groupes se forment naturellement au bout d’une dizaine de minutes et que chacun va à son rythme. À l’échauffement, on peut parler ; je dirais même : on doit parler ! Entre 50 et 70 % de la VMA, la ventilation (le rythme respiratoire) n’impose pas le silence, alors profitez-en !

L’échauffement peut se poursuivre par une séance d’éducatifs réalisés en commun. Il existe ensuite plusieurs solutions pour le corps de la séance. Prenons l’exemple simple de 3 coureurs devant réaliser 10 x 400m en 1’20, 1’24 et 1’28.

Premier cas : chacun réalise la même séance en termes de volume, d’intensité et de récupération. Cela implique une dispersion des coureurs selon leur niveau dès la première fraction. Le risque pour le coureur en 1’28 est de se mettre en sur-régime au premier 400m pour suivre les meilleurs et d’exploser. Pour mener à bien une telle séance, il est important que chacun se connaisse bien et regarde ses temps de passage tous les 100 m.

Deuxième cas : on adapte les volumes et/ou les intensités pour pouvoir courir ensemble. Par exemple, le coureur en 1’20 va courir en 1’24 mais réaliser 15 fractions, et le coureur en 1’28 va courir en 1’24 en effectuant 2 séries de 4 fois 400m. Autre possibilité, le meilleur coureur réalise des 500m, le second des 400m et le troisième des 300m. Ainsi, chacun court à la même allure. Dans ce cas, le plus judicieux, le plus motivant et le plus valorisant par expérience, chacun peut mener à son tour et servir de ‘lièvre’ aux autres. Il y a alors une vraie communion dans l’effort et une solidarité qui se créée, la réussite de la séance de chaque coureur étant liée à celle des autres. Dans l’histoire de l’athlétisme, on a vu ainsi de nombreux ‘lièvres’ devenir des coureurs de premier plan à force de se mettre au service des autres.

Bien entendu, deux coureurs en 30 et 50 mn aux 10 kms auront du mal à s’entraîner ensemble (si ce n’est le début de l’échauffement et la récupération) mais il est fort rare de rencontrer de tels écarts dans un groupe naturellement constitué.

Pour conclure, on peut dire que l’objectif de tout coureur, quelles que soient ses motivations intrinsèques, est la satisfaction de ses désirs. Désirs de communiquer et de partager – donner et prendre-, désirs de progresser, de gagner, de repousser ses limites, de battre ses records. Pour y parvenir, le groupe semble être le lieu et le moyen idéal. Se motiver et motiver les autres, grandir ensemble, s’impliquer pour entretenir le foyer commun de la passion. Encore faut-il que chacun soit reconnu en mettant en place les adaptations nécessaires aux différents niveaux. Ainsi, des « coureurs du dimanche » au team de compétition, le groupe se soude et tisse des liens solides, ou quand l’intérêt de tous rejoint l’intérêt de chacun.

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