Le pacing : Gérer l’intensité de son effort en trail

Chacun l’a expérimenté en compétition : un départ trop rapide, une montée avalée trop rapidement, un groupe qu’on a voulu suivre présomptueusement…sont des attitudes qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses sur la performance finale. Au mieux, vous finissez l’épreuve au ralenti, au pire vous abandonnez victime d’épuisement. Pourquoi ? Parce que vous avez mal géré votre potentiel physique et énergétique. La gestion de ce potentiel dépend de facteurs physiologiques individuels, eux-mêmes dépendants du niveau d’entraînement, mais aussi de facteurs environnementaux liés à la course. On ne gère pas de la même manière, c’est-à-dire avec la même intensité, un trail court et un ultra trail, un trail en pleine chaleur et un trail hivernal. Sur le terrain, le seul outil dont nous disposons pour quantifier l’intensité de la performance aérobie est le cardiofréquencemètre. Ce n’est pas un outil parfait dans le sens où les variations intra et inter-individuelles sont importantes, mais c’est un outil utile qu’il faut apprendre à utiliser en instantané et en différé.

  • Relation FC/puissance ou vitesse

A l’effort, les fréquences cardiaques (FC) augmentent avec l’élévation de la puissance de l’exercice ou de la vitesse, dans des limites assez bien définies.

pacing 1
Test de laboratoire

 

Entre 50 et 90% de FCmax, un pourcentage de FC correspond donc sensiblement au même pourcentage de consommation d’oxygène (VO2), d’où l’intérêt de l’utilisation des FC dans la quantification de la performance aérobie.

  • La FC max

Il est important de déterminer avec précision la FC max et cela ne peut se faire que sur un test d’effort maximal, si possible sur le terrain. La formule d’Astrand (FC max = 220-âge) est valable à l’échelle d’une population mais pas pour un individu. On n’obtient pas FC max sur des efforts maximaux courts en raison de l’inertie des mécanismes aérobies. Le délai est de 1mn pour les experts à 2-3 mn pour des sujets entraînés et échauffés.

  • La FC de repos : Son évaluation est également importante pour quantifier l’intensité de l’exercice aérobie. Elle se fait uniquement au cardiofréquencemètre, le matin avant le lever. On prend plusieurs mesures à quelques jours d’intervalle et on réalise une moyenne. En cas de fatigue ou de reprise, on porte attention à la valeur de FC repos qui est utile pour les calculs qui vont suivre mais aussi de manière isolée.

Rester sur la réserve

Pour utiliser à bon escient les plages de fréquences cardiaques, on ne doit pas se contenter de la FC max comme on le voit encore trop souvent, mais calculer les fréquences cardiaques de réserve (méthode Karvonen), sous peine de surestimer l’intensité réelle de l’effort.. Le pourcentage de la FC de réserve (FC max – FC Repos) correspond assez fidèlement au pourcentage de VO2max, d’où son intérêt dans la détermination d’une intensité cible.

Ainsi, on ne compare jamais 2 fréquences cardiaques d’athlètes différents, mais 2 pourcentages de FC de réserve.

Exemple : un premier athlète a 200 de FC max et 60 de repos ; un deuxième athlète a 200 de FC max mais 40 de FC repos. Si ces 2 athlètes veulent faire une sortie à 60% de VO2max (ou FC Réserve), le premier devra évoluer autour de 60% (200-60) + 60 = 144. Le deuxième courra vers 60% (200-40) + 40 = 136. Avec FC max, les 2 devraient courir à 60% de 200, soit 120 bpm, donc en sous-régime.

Donnons maintenant quelques repères d’entraînement : on estime que pour commencer à développer VO2max, il faut s’entraîner au-delà de 60% FC Réserve. En deçà, on parle de récupération ou de maintien. Cette première limite correspond au seuil ventilatoire que l’on peut déterminer en laboratoire et qui se situe selon les sujets (non entraînés à entraînés) de 55 et 70% du VO2max. A ce niveau, l’organisme dégrade une part importante de lipides même si la glycolyse aérobie (utilisation des glucides) est déjà bien engagée. Dans l’optique de courses en endurance, plus ce seuil est élevé et plus le potentiel aérobie de l’athlète est grand.

Le deuxième seuil, appelé seuil anaérobie ou seuil d’inadaptation ventilatoire, se situe selon les athlètes de 80 à 92% de VO2max. Ce seuil marque la dégradation quasi exclusive des glucides comme substrat énergétique, et donc la limitation de l’effort dans le temps. Là encore, la connaissance de ce seuil est fondamentale pour paramétrer les entraînements mais aussi et surtout pour connaître les limites à ne pas dépasser en course.

Chassez le gaspi !

Sur un trail court, la capacité à utiliser un haut pourcentage de FC réserve (et donc de VO2max) est un critère déterminant de la performance. Il y a en fait 3 paramètres essentiels à prendre en compte : les capacités cardio-vasculaires (le VO2max), le pourcentage moyen de ce VO2max sur la durée de l’épreuve, et la régularité de la gestion de l’effort : le pacing.

Exemple de pacing parfait. L’athlète est même capable d’élever l’intensité de son effort en fin de course.
Exemple de pacing parfait. L’athlète est même capable d’élever l’intensité de son effort en fin de course.

 

Pour bien comprendre le pacing, on peut comparer le coureur à une voiture. Si le conducteur passe son temps à accélérer et à freiner, la consommation de carburant sera nettement plus élevée que s’il conduit à vitesse stable et raisonnable. Lipides et glucides sont les carburants du coureur. Les changements de rythme favorisent l’utilisation des glucides aux dépens des lipides et nuisent à la performance finale des épreuves d’endurance.

Toujours sur trail court, 33 km, voici les courbes d’un athlète régional. Là aussi, très bon pacing tout au long de l’épreuve, avec élévation des FC sur le final, et des FC indépendantes du dénivelé. Avec 162 de FC moyenne, cet athlète a couru à 82% de FC Réserve pendant plus de 2h40.

FC en orange, dénivelé en blanc
FC en orange, dénivelé en blanc

 

Avec ce type de courbe, il devient aisé de comparer 2 coureurs entre eux (en termes de pacing et de pourcentage d’activité aérobie) mais aussi de voir l’évolution d’un athlète sur une même durée d’effort, ou sur un même parcours.

Après avoir montré 2 exemples à suivre, voici le cas d’un troisième trailer dont la gestion (le pacing) s’est révélée moins fructueuse. Ici, après 2h15 de course, on note un effondrement des FC corrélé à une baisse importante de la performance. Plusieurs explications possibles : un départ trop rapide et irrégulier, une fraction de VO2max trop élevée pendant les deux premières heures, un entraînement inadéquat … On retrouve fréquemment ce type de courbes sur les courses de début de saison. Ici, les 45 dernières minutes deviennent un calvaire, l’athlète est éteint, il subit la course, incapable d’accélérer.

Mauvais pacing – effondrement des FC
Mauvais pacing – effondrement des FC

 

Sur trail long, et davantage sur ultra-trail, le pacing est difficile à mettre en œuvre et nécessite de l’expérience et de la sagesse. C’est pourtant la clé de la performance. Les départs de masse se font majoritairement en survitesse (effets cumulés du stress, de l’engouement du public, de l’événement, et de la nécessité de se placer pour certains). La baisse des FC peut survenir brutalement, ou par phases successives en lien avec les événements externes (nuit, passage technique) et/ou internes (baisse de moral, déception de la place ou des temps de passage, douleurs, mauvaise alimentation…).

Le pourcentage de FC réserve se situe pour un ultra trail autour des 50%. L’exemple ci-dessous montre l’évolution des FC pour un athlète élite réputé très bon gestionnaire. Pourtant, les FC décroissent régulièrement et chutent même au bout de 8h de course (ici le lever du jour) avant de remonter un peu.

Sur un ultra, le pacing est essentiel. Sur cette courbe, 14 h à 64 % de FCR.
Sur un ultra, le pacing est essentiel. Sur cette courbe, 14 h à 64 % de FCR.

 

La lutte en tête impose souvent aux coureurs du top ten à prendre des risques. Le nombre d’abandons parmi les favoris sur l’ensemble des grandes épreuves laisse à penser que le pacing est bien un élément clé. Au lieu de se concentrer sur sa propre gestion de course (habileté mentale), beaucoup sont influencés par la progression des autres et commettent des erreurs rédhibitoires de gestion.

Avec un cardiofréquencemètre, il est facile d’évaluer l’intensité et la régularité de son effort et de la comparer ensuite avec d’autres coureurs ou avec soi-même. Ainsi, on apprend à mieux se connaître, à réguler efficacement la dégradation des substrats énergétiques et à terminer ses courses dans de bien meilleures conditions physiques et mentales, la performance finale en étant améliorée. Pour les athlètes en quête de connaissance de soi, plus d’hésitation, place au cardio pour faire du pacing un atout majeur de sa performance.