Patrick Bohard, vainqueur entre autres du Tor des Géants 2015 (330 km et 24000m d+) l’a bien compris. Pas de course réussie sans une assistance performante, ou comment transformer une pratique individuelle et égocentrique en une aventure collective qui mobilise tous les siens. Et si Patrick est le maître sur les chemins, c’est sa femme Virginie qui tient les rênes de l’assistance.
Anticipation-préparation
Première règle : une assistance ne s’improvise pas ni ne se prépare la veille. Elle commence quelques semaines, voire plusieurs mois avant l’échéance, par la lecture des cartes et du profil. Car il y a bien 2 cartes : celle du parcours (pour l’athlète) et celle de l’assistance ; les 2 devant se rejoindre sur les zones de ravitaillement et parfois pour quelques passages accessibles. Plus l’épreuve est longue et plus le travail de repérage est fastidieux. Car ce que l’athlète ne réalise pas souvent, c’est que le parcours de son assistance est bien plus long que le sien. Certes, il s’effectue en voiture, mais souvent en montagne, ce qui justifie parfois des arrivées in extremis sur les zones. Tous ceux qui ont assisté sur des courses comme l’UTMB, le GRR ou le Tor connaissent le problème. L’assistance doit donc être sûre de la route à prendre le jour J, en tenant compte des éventuelles fermetures comme c’est le cas à l’UTMB ou aux Templiers. De même, une fourchette horaire doit être établie pour chaque zone afin de précéder l’athlète avec une marge minimale d’une demi-heure.
Deuxième règle : la check-list
Une fois que la route est préparée, il faut se préoccuper du matériel, et ce n’est pas une mince affaire. Sur des trails courts, il s’agit le plus souvent de changer de sac ou de donner bidons et produits énergétiques. Pour les premiers, l’assistance dure quelques secondes, l’athlète ne s’arrêtant quasiment pas.
Pour les autres, ou sur des distances plus longues, il faut se ménager un espace dans la zone d’assistance. Et là, tout doit être disposé en accord avec le coureur : boisson, alimentation, serviette, habits de rechanges, matériel de rechange au cas où (bâtons, chaussures …). Normalement, le coureur doit savoir dans quel ordre procéder mais il se peut que la fatigue ou la précipitation le poussent à la faute. Dans ce cas, il faut le guider, avec calme mais fermeté. Dans le cas du Tor, sur les bases de vie, le rituel de Patrick était le même : arrivée guidée par un membre de l’assistance, changement éventuel d’habits, hydratation, alimentation (pendant ce moment agréable, l’athlète se renseigne sur les écarts, sur la suite du parcours, la météo, le prochain point de rencontre …), puis habits chauds, un loup pour être dans l’obscurité, un casque de chantier pour faire abstraction des bruits extérieurs, et une micro-sieste chronométrée
Pendant la sieste, l’équipe prépare le sac avec la liste préétablie ainsi que le matériel. Vient rapidement l’heure du réveil, Patrick s’hydrate à nouveau, prend son matériel, se fait guider jusqu’à la fin de zone et c’est parti jusqu’au prochain point.
Ce temps de pause est court. Sur l’ensemble de la course remportée par Patrick en 80 heures, seules 2h04 ont été consacrées au sommeil, c’est très peu. Mais après chaque arrêt, l’athlète prend un nouveau départ. De la qualité de l’assistance va donc dépendre la qualité de la progression qui va suivre. Le temps d’assistance n’est donc pas du temps perdu mais plutôt du temps investi dans la capacité de performance.
Troisième règle : avoir la caisse
L’athlète s’en va mais l’assistance continue. Il faut ranger avec soin le matériel qui va être réutilisé et mettre de côté les affaires sales. Il faut aussi faire sa petite vaisselle et parfois un peu de lessive (sur une course de 3 à 6 jours courue dans des conditions défavorables, c’est souvent une obligation). Pour tout cela, il est conseillé de disposer de grandes caisses plastiques et non de sacs. Avant de repartir, il peut être utile de préparer le prochain ravitaillement au moyen de la check-list.
Bien entendu, certains ultra traileurs n’ont pas d’assistance, d’autres ont une personne, mais sur des courses longues, il est préférable d’être au moins deux. Au Tor des Géants, il faut idéalement disposer d’une équipe. C’est cas de Patrick qui est au minimum assisté de sa femme Virginie et de son ami Lionel, 2 véritables professionnels de l’assistance. Enfants et amis se joignent parfois à l’équipe pour renforcer la dynamique, et assister l’assistance !
Quatrième règle : Prendre soin de soi
Le but de l’assistance est de mettre son athlète dans les meilleures conditions de course. Mais charité bien ordonnée commence par soi-même. L’athlète a besoin d’une assistance dynamique, réconfortante, disponible. Pour cela, il faut prendre soin de soi, se ménager des temps de repos, s’hydrater et s’alimenter correctement. Cela permet de garder les idées claires, d’être disponible pour son athlète, de bien gérer les taches et éventuellement de prendre les bonnes décisions en cas d’imprévu.
. Si les assistances sur des 160 kms courus dans les massifs montagneux sont compliquées et souvent épuisantes, imaginez le suivi sur le Tor des géants qui imposent au minimum 3 jours et 3 nuits à parcourir les routes sinueuses du Val d’Aoste. Il faut savoir se ménager, se relayer au volant, se distraire, et bien entendu prendre du plaisir à faire ce que l’on fait. Les temps d’attente entre deux zones sont parfois très longs, 7 heures, 8 heures, et plus de 10 heures pour le peloton.
Cinquième règle : pour le meilleur et pour le pire
Quand tout se déroule comme prévu, c’est un plaisir et même une fierté d’assister son coureur. Mais c’est à sa capacité à surmonter ensemble les moments difficiles que l’on reconnaît la valeur d’une assistance. Cela peut être une erreur de parcours (et Dieu sait que Patrick Bohard, alias Itinéraire bis en a connu), une chute, un abandon entre 2 zones … Quand l’assistance est mise en face du fait accompli, il faut rester présent pour son coureur en faisant abstraction de sa propre déception (que l’on pourra exprimer plus tard). Il n’est pas simple de trouver les mots et le silence est parfois préférable dans les premiers instants. Puis il faudra aider à relativiser, à transformer l’échec en expérience. Parfois, l’assistance joue un rôle clé dans la décision de l’athlète à poursuivre ou à s’arrêter.
Il faut alors bien connaître la personnalité du coureur et distinguer la fatigue physique accentuée du coup de barre qui touche autant le physique que le mental. Dans ce dernier cas, il faut savoir le re-booster en le remettant en perspective, en évoquant toute la préparation effectuée par lui et par son équipe, en restant positif sur l’issue de l’épreuve.
Pour autant, n’oublions pas que le sport est une activité de loisir, que personne ne doit jouer avec sa vie sur une épreuve, aussi dure soit-elle, et que le plaisir doit rester premier pour tous.
Le trail, sport d’équipe ?
A présent, vous regarderez qui se cache derrière chaque athlète : François d’Haene, Ludo Pommeret, Julien Chorier, Nathalie Mauclair, Erik Clavery, Fabien Antolinos … car il n’y a pas de victoire sans une assistance efficace, parfois autoritaire mais toujours bienveillante. Pour cela, l’assistance est un facteur stratégique qui peut mener à la réussite mais parfois aussi à l’échec quand elle est mal préparée. Cet article se veut un hommage à toutes les personnes de l’ombre qui transforment les rêves de leurs athlètes conjoints ou amis en réalité tangible. Pour que la tentative individuelle devienne réussite collective.