Dans le cadre de l’endurance, on parle beaucoup de la VO2, qui représente le débit auquel nos muscles réussissent à extraire, puis utiliser, l’oxygène du sang. Pour information, la VO2 est mesurée en millilitres d’O2 consommés par le corps pour chaque kilogramme du poids de la personne et sur 1 minute (ml.kg-1.min-1).
Chez une personne, plus ce débit maximum (VO2max) est grand, plus un exercice physique lui est facile à réaliser (pour tout un tas de raisons, métaboliques notamment). Or, dans le cadre de missions spatiales, la microgravité génère une désadaptation progressive du corps à utiliser l’oxygène…
Le phénomène de « déconditionnement spatial » touche chacune des étapes de transport et d’utilisation de l’oxygène par le corps, de telle sorte que plus on passe de temps en situation de microgravité, plus l’effet physiologique de ce déconditionnement est important. Alors que des valeurs normales de VO2max sont de l’ordre de 35 à 45 ml.kg-1.min-1, une perte de >30% de ces valeurs ne sont pas rares sur des voyages dans l’espace de plusieurs semaines.
Dans ce contexte, on perçoit bien le problème : des tâches sollicitant à peine 50% des valeurs normales de VO2max sur Terre peuvent, après quelque temps dans l’espace, s’avérer difficiles.
- Par exemple, en combinaison pressurisée, marcher aussi lentement que <3km.h déclenche des VO2 de ~17 ml.kg-1.min-1 (sur la Lune) et ~28 ml.kg-1.min-1 (sur Mars) – et cela sans considérer les aléas liés au terrain, à la topographie, etc. capables d’accroître encore la demande de ~10 ml.kg-1.min-1.
- De même, 28 tâches extravéhiculaires en conditions réelles ont révélé des VO2 moyennes certes plutôt basses (de 10-14 ml.kg-1.min-1), mais surtout des temps forts avec le besoin ponctuel du corps de monter à >20 ml.kg-1.min-1pendant >20 minutes.
Aujourd’hui, pour sécuriser tant la santé des astronautes que le bon accomplissement de leurs tâches, la NASA a établi un seuil minimal de condition physique. Cependant, avec une limite minimale de VO2max avant le départ en mission spatiale fixée à 32.9 ml.kg-1.min-1, le défi physique pendant la mission reste entier.
Une étude a ainsi récemment souhaité challenger ces « minimas » physio/physiques propres aux missions spatiales, recrutant 45 participants non-fumeurs et sans problèmes cardiaques, pulmonaires ni métaboliques. Tandis que chacun des participants allait être soumis à un test « grandeur nature », tous étaient d’abord invités à réaliser des efforts maximaux sur home-trainer + rameur afin de déterminer leur VO2max, puissance maximale, seuil respiratoire (l’intensité qui entraîne une accélération de la ventilation) et puissance critique (l’intensité maximale qu’on est capable de tenir durant ~60’). Voici leurs caractéristiques :
Comme on le voit, tous niveaux de forme étaient confondus dans cette population, du sédentaire (VO2max de ~15 ml.kg-1.min-1 sur le test vélo) jusqu’à la personne entraînée (VO2max de ~55 ml.kg-1.min-1).
Suite à ce bilan initial, les participants rentraient dans le vif du sujet, dans leur « mission » à remplir :
– Étape 1 : traverser une piste de 1500m recouverte de roches / cailloux synthétiques (3cm3, typique de Mars) à une vitesse de 3km.h puis transporter 30 sacs de 10kg, un à un, à une distance de 10m (pour simuler un approvisionnement ou chargement) ;
– Étape 2 : marcher 1000m sur un tapis dont l’inclinaison varie de 0% à 8% (soit un D+ de 40m) à une vitesse de 3 à 5 km.h, avec une barre lourde de 5,5kg et longue de 1,2m (pour simuler l’installation d’une antenne de communication).
Et puisque réaliser cette épreuve une seule fois n’était pas assez représentatif de la diversité des contraintes rencontrées dans l’espace, la mission a été répétée à 2 reprises :
– une fois à basse intensité : les participants étaient alors contrôlés pour maintenir une VO2 comprise en 17 et 20 ml.kg-1.min-1 ;
– une fois à intensité modérée : via l’ajout d’un gilet (13.6 kg) et de plusieurs poids (4 x 2.3kg) sur chevilles et bras, soit +22.8kg au total.
On le devine, tous les participants n’ont pas tenu le coup… Voici les résultats de VO2 finalement obtenus pour chaque tâche et le nombre d’abandons :
Première observation : les sollicitations physiologiques requises par cette mission peuvent engager des VO2 supérieures à 28 ml.kg-1.min-1. Si le candidat n’a pas encore abandonné…
Par ailleurs, les statistiques des tests ont mis en évidence plusieurs corrélations entre les caractéristiques des participants (1er tableau) et leurs performances sur les tests. En particulier, ces performances pouvaient être prédites grâce aux données de VO2max et seuil ventilatoire à vélo, et de VO2max et puissance critique en rameur.
À noter que c’est la première de ces variables (la VO2max à vélo) qui était la donnée la plus fiable/sensible de toutes pour anticiper le niveau d’efficacité des participants.
Pour être plus tangibles encore sur les conclusions à dégager de l’étude, les auteurs ont calculé pour chaque test le seuil physio/physique à partir duquel la probabilité d’échouer devenait supérieure à 20% (soit 1 chance sur 5 d’abandonner). Voici ces seuils :
Seconde observation : en incluant le phénomène de désentraînement induit par la microgravité (soit >30% de VO2max après quelques semaines seulement), un individu avec une VO2max initiale « normale » (~40 ml.kg-1.min-1) se retrouve sous le seuil de condition physique posé par la NASA (32.9 ml.kg-1.min-1), ce qui accroît donc la probabilité d’échec sur certaines missions exigeantes physiquement.
Sur cette base, les auteurs ont exploité toutes leurs données en vue de réajuster les valeurs actuellement utilisées comme références par la NASA. Cette mise à jour, bien qu’encore isolée, a l’avantage de combiner les caractéristiques de la personne et la difficulté de la tâche à réaliser (un facteur préalablement délaissé).
En effet, le fait que certaines tâches puissent imposer des sollicitations de 25-28 ml.kg-1.min-1 de VO2, pose 2 problèmes aux spationautes :
– d’abord, en début de mission, cela signifie qu’un spationaute avec une VO2max égale au standard de la NASA (32.9 ml.kg-1.min-1) travaillerait à 75-85% de son potentiel maximum. Or, si vous avez déjà réalisé des séances d’intervalles en essayant de réciter une poésie ou de manier un stylo, vous vous rendez compte du problème…
– ensuite, en cours de mission, des tâches d’intensité modérée ne pourraient tout simplement pas être effectuées par un spationaute avec une telle VO2max puisqu’exposé longuement à la microgravité, ce dernier n’attendrait pas les valeurs requises par la tâche d’au moins 30 ml.kg-1.min-1.
Sur cette base, de nouvelles valeurs seuils ont été proposées, incluant chacune une « marge physiologique » par rapport aux exigences du terrain, afin de considérer la difficulté des tâches en plus du phénomène de « déconditionnement spatial ». Voici ces seuils :
« La recommandation en matière de condition physique aérobie donnée aux astronautes doit dépendre de l’intensité prévue des tâches qu’ils seront appelés à accomplir »
Sutterfield et al., MSSE 2019
L’intérêt crucial de ces nouvelles valeurs, en plus d’apparaître plus sécuritaires que précédemment tout en restant accessibles (rappelons que des valeurs moyennes de VO2max sont de l’ordre de 35 à 45 ml.kg-1.min-1 pour femmes/hommes), est surtout qu’elles permettent un suivi « en direct » de l’état de forme des astronautes. En effet, il devient possible de mesurer des niveaux de puissance sur vélo/rameur (et non pas des niveaux de VO2) :
– pour décider in situ de l’intervenant lors de tâches potentiellement difficiles physiquement ;
– pour réguler l’entraînement physique de chacun ;
De quoi faire rêver ceux qui, parmi nous, remplissent déjà ces critères physio/physiques…