Au début du mois d’avril, deux courses d’un genre nouveau se télescoperont : l’ultra du Salève (la doyenne, ce sera sa 11ème édition en 2020) et le défi de l’Olympe (la dernière-née), sous réserve que ces 2 épreuves clouées au sol par la grippe. Elles se basent sur un même principe : répéter pendant 6 heures une même montée, et descendre par une télécabine. Chaque montée est chronométrée, chaque descente est banalisée, même si le chronomètre continue à tourner pour effectuer le demi-tour d’horloge (i.e 6 heures). Force est de constater que les traileurs et coureurs de montagne sont attirés par ces courses d’un genre nouveau, plus ludiques, et présentant une forte notion de défi et permettant une excellente séance de préparation pour les trails longs ou les ultras à venir.
Essayons d’analyser les performances réalisées. Suffit-il d’aller vite, c’est-à-dire d’être fort sur une montée, ou la gestion n’est-elle pas prépondérante sur la vitesse ? En d’autres termes, les qualités de VO2max, force et endurance de force peuvent-elles se passer de la qualité de pacing (gestion de l’intensité de l’effort) ?
Commençons par la doyenne, l’ultra du Salève, avec les résultats de l’édition 2017 qui présentait un nouveau parcours. La montée à réaliser faisait 5km pour 815m de dénivelé positif. Le chrono s’arrête au sommet du Salève à 1245m. Les coureurs redescendent un kilomètre à pied pour prendre les télécabines qui partent à intervalles réguliers. Le temps de descente en télécabine est de 4mn50 mais le temps d’attente peut atteindre les 5-6mn. Ainsi, le temps de récupération entre 2 montées est variable. La course s’arrête quand le coureur n’a plus le temps nécessaire pour effectuer une dernière montée, cela pouvant se jouer à quelques minutes.
Pour comprendre les données du tableau de résultats ci-dessous, voici quelques informations : nous avons noté le temps en secondes de chaque montée pour les 10 premiers athlètes. Le coureur 7, surligné en violet, est une féminine. Les cases surlignées en jaunes correspondent au meilleur temps de chaque athlète sur l’ensemble des montées.
L’avant-dernière colonne à droite est la moyenne de chaque athlète en minutes/secondes. La dernière colonne correspond au coefficient de variation de la performance. Mathématiquement, il s’agit du rapport entre l’écart-type des performances et la moyenne. Plus cet indice est faible et plus l’athlète a été régulier. Plus il est élevé et plus il y a des écarts entre les différentes montées.
Coureurs/ montées |
1ère montée | 2ème montée | 3ème montée | 4ème montée | 5ème montée | 6ème montée | moy en min | CV |
Coureur 1 | 2546 | 2564 | 2650 | 2727 | 2869 | 2916 | 44’31 | 5,79 |
2 | 2556 | 2575 | 2728 | 3021 | 3163 | 46’07 | 9,55 | |
3 | 2649 | 2761 | 2956 | 2987 | 2962 | 47’43 | 5,24 | |
4 | 2678 | 2712 | 2895 | 3031 | 3137 | 48’11 | 6,87 | |
5 | 2741 | 2805 | 3036 | 3176 | 3302 | 50’12 | 7,92 | |
6 | 2741 | 2715 | 2833 | 3293 | 3526 | 50’22 | 12,12 | |
7 | 2763 | 2863 | 3038 | 3174 | 3347 | 50’37 | 7,73 | |
8 | 2687 | 2789 | 2913 | 3257 | 3578 | 50’45 | 12,07 | |
9 | 2741 | 2780 | 2906 | 3237 | 3589 | 50’51 | 11,76 | |
10 | 2546 | 2586 | 3045 | 3804 | 3577 | 51’52 | 18,30 |
Seul le coureur 1 a réalisé une 6ème montée. Nous ne l’avons pas comptabilisé dans nos calculs.
Gestion > vitesse
Dans l’analyse de la performance, il nous manque de nombreuses données, comme par exemple la consommation maximale d’oxygène des sujets, leur anthropométrie, leur chrono sur une montée sèche…mais nous avons tout de même des données très intéressantes.
– chaque coureur, hormis le 6, a réalisé son meilleur chrono sur la première montée. Nous verrons que c’est un peu différent pour la deuxième épreuve. La fraîcheur semble ici prépondérante, mais également les conditions de course. En effet, le départ étant en ligne, les coureurs se retrouvent immédiatement en situation de compétition et de stimulation, ce qui aide à la réalisation d’une première montée plus rapide (entre 42 et 46mn pour les 10 premiers au final). Dès la 2ème montée, la fatigue semble se faire sentir, chacun cherchant à trouver son propre rythme.
– A quelques exceptions près, le temps augmente à chaque montée, ce qui semble logique avec l’accumulation de la fatigue. Pourtant, en examinant bien le tableau pour chaque coureur (et ce serait vrai pour un plus grand nombre), on peut observer des points de rupture. Et ces points de rupture n’arrivent pas au même moment ni avec la même intensité. Pour le vainqueur, la dérive est lente et régulière, 5mn séparant la dernière de la première montée. Pour le second, la rupture se fait à la 3ème (4mn) puis à la 4ème montée (5mn). Pour le 10ème concurrent, après 2 montées de haut vol, il perd plus de 7mn à la 3ème montée et près de 13mn supplémentaires à la 4ème montée. 2 explications majeures : un départ trop rapide ou une préparation inadaptée, ou certainement les deux à la fois. Il est par ailleurs intéressant de constater que l’on retrouve ici le même schéma qu’en ultra trail, ou après un premier tiers de course à intensité élevée, le reste semble être une lutte contre la déperdition de vitesse. Nous y reviendrons plus tard.
La question qui se pose à présent est la suivante : pour performer sur ce type d’épreuves, faut-il être rapide, bon gestionnaire, ou les deux à la fois ? Encore une fois, les statistiques apportent des éléments de réponse. Le meilleur temps de montée et le coefficient de variation des temps de montées sont corrélés significativement à la performance. En clair, pour performer sur cette course de 6h, il faut être rapide et il faut être bon gestionnaire. Mais quel est le paramètre le plus important ? Pour cela, il faut établir un modèle de régression linéaire. Ce modèle nous donne l’équation suivante :
Performance moyenne = 28.42 x CV + 1.17 x MT -432.3 (R² = 0.88)
Avec CV = coefficient de variation, et MT = meilleur temps sur l’épreuve
Ainsi, on peut évaluer le temps moyen de la course à partir du meilleur chrono et du coefficient de variation. Si on examine les probabilités afférentes à ce modèle, on constate que le coefficient de variation est la donnée la plus importante, le meilleur chrono étant secondaire. Pour le vainqueur, la question ne se pose pas puisqu’il est le plus rapide et qu’il a très bien géré.
Défi de l’Olympe, différent mais au final semblable.
S’il s’agit également de répéter les montées pendant 6 heures, les conditions de course sont différentes. En effet, la montée ne fait que 3.5 km et 520m d+. Le temps de descente en cabine est de 9mn, et globalement le temps de récupération entre 2 montées est d’une dizaine de minutes. Ainsi, le temps de course moyen du premier est de 29 mn (contre 45 mn au Salève). Le tableau analyse la performance des 14 premiers. La meilleure performance (en jaune) intervient préférentiellement à la première montée, mais pour 21% des coureurs à la 2ème montée et pour 14% à la 3ème montée. Notons que le vainqueur réalise son meilleur chrono à la 3ème répétition, et ses cinq premières montées avec un très faible écart de temps (seulement 44s !) ; Notons également que ce vainqueur n’a réalisé que le 11ème meilleur temps, soulignant encore une fois la nécessité d’une bonne gestion.
Là aussi, les points de rupture interviennent à différents moments selon les athlètes. Comme pour le Salève, on peut mettre en relation le coefficient de variation avec le degré de préparation des athlètes mais aussi avec leur spécialité, un ultra traileur expérimenté (coureur 3) ayant à priori une meilleure expérience de la gestion de course.
Coureurs/ montées |
Montée 1 | Montée 2 | Montée 3 | Montée 4 | Montée 5 | Montée 6 | Montée 7 | Montée 8 | Montée 9 | moy en min | CV |
1 | 1727 | 1725 | 1716 | 1717 | 1760 | 1838 | 1780 | 1791 | 1849 | 29’17 | 2,5 |
2 | 1582 | 1565 | 1624 | 1703 | 1815 | 2005 | 2020 | 2032 | 29’53 | 11,3 | |
3 | 1704 | 1734 | 1767 | 1833 | 1811 | 1890 | 1924 | 1953 | 30’27 | 4,9 | |
4 | 1703 | 1732 | 1749 | 1779 | 1827 | 1903 | 1982 | 1941 | 30’27 | 5,7 | |
5 | 1581 | 1599 | 1660 | 1740 | 1879 | 2024 | 2138 | 2143 | 30’45 | 12,7 | |
6 | 1699 | 1652 | 1757 | 1821 | 2096 | 2107 | 2052 | 1838 | 31’18 | 9,7 | |
7 | 1618 | 1694 | 1775 | 1885 | 1969 | 2004 | 2019 | 2080 | 31’20 | 8,9 | |
8 | 1600 | 1614 | 1654 | 1756 | 1843 | 2044 | 2572 | 2015 | 31’27 | 17,2 | |
9 | 1706 | 1731 | 1741 | 1790 | 1932 | 2136 | 2288 | 2238 | 32’25 | 12,4 | |
10 | 1748 | 1776 | 1741 | 1746 | 1867 | 2177 | 2286 | 2290 | 32’34 | 12,9 | |
11 | 1697 | 1738 | 1801 | 1917 | 2086 | 2188 | 2182 | 2065 | 32’39 | 10,1 | |
12 | 1764 | 1803 | 1848 | 2061 | 2108 | 2098 | 2191 | 2339 | 33’47 | 10,0 | |
13 | 1772 | 1765 | 1805 | 1887 | 2164 | 2396 | 2430 | 2271 | 34’21 | 13,8 | |
14 | 1727 | 1802 | 1862 | 1993 | 2185 | 2259 | 2379 | 2342 | 34’39 | 12,4 |
= MT (meilleur temps de chaque coureur)
Seul le vainqueur a réalisé une 9ème montée. Nous ne l’avons pas comptabilisé dans nos calculs.
Pour le coureur 3, nous avons pu disposer des données de fréquence cardiaque qui apportent de précieux indices sur la gestion et peuvent expliquer les points de rupture. Ici, la gestion est bonne puisque la fréquence cardiaque moyenne la plus haute est de 155 sur la 2ème montée, et la plus basse est de 150 sur la 7ème montée. Très vite, le coureur atteint sa FC cible et ne montre ensuite que de faibles variations, hormis sur la 7ème montée. A 155 pulsations par minutes, cet athlète est à 80% de sa FC réserve, soit environ 8 pulsations en dessous de sa FC au seuil, celle qu’il tient sur un kilomètre vertical.
Pour le défi de l’Olympe comme pour l’ultra du Salève, la performance est corrélée au meilleur chrono comme au coefficient de variation. Le modèle d’analyse par régression linéaire montre cette fois une prédominance du meilleur temps sur la gestion, même si le vainqueur est l’exemple d’un excellent pacing.
Performance moyenne = 17.43 x CV + 1.08 x MT -95.1 (R² = 0.77)
Avec CV = coefficient de variation, et MT = meilleur temps sur l’épreuve
Un modèle pour l’ultra ?
Au-delà de l’intérêt à comprendre la performance sur ce genre d’épreuves, il nous semble que ce type d’efforts représente un modèle important pour la gestion de l’effort en ultra trail. Pourquoi ? Parce que les ultras se caractérisent souvent par des départs en surintensité, mais aussi par la répétition de côtes longues. Et au final, les meilleurs sont à la fois les plus « rapides » (ou forts) mais aussi les meilleurs gestionnaires. Même si la notion de pacing est encore discutée en trail, principalement pour des raisons méthodologiques, il semble avéré qu’une gestion régulière de son effort conduit à une meilleure performance (épuisement retardé des réserves glycogéniques, moindre fatigue musculaire des membres inférieurs).
Quoi qu’il en soit, la participation à de telles épreuves constitue certainement une bonne préparation à l’ultra trail, dans le sens où les capacités musculaires, cardiovasculaires, stratégiques, techniques et psychologiques sont challengées par la répétition de côtes longues.