Il faut bien l’avouer, le 100 km est une épreuve à part dans le monde de l’athlétisme. Ni vraiment populaire, ni discipline olympique, elle représente un défi particulier en lien avec le nombre 100 qui représente une limite plus mentale que physiologique. Comme pour toute course d’ultra-endurance se pose la question des charges d’entraînement. L’esprit perd ses repères dès lors qu’il est impossible de réaliser à l’entraînement la distance cible de la compétition. Encore une fois, et comme pour toute discipline de l’athlétisme, il faut passer par une analyse de la tâche sportive en termes de filières bioénergétiques sollicitées, de répertoire et de fréquence des gestuelles ; cela afin de définir les contenus d’entrainement pour préparer au mieux cette épreuve.

Cette analyse permet de ne pas se lancer dans une débauche de kilomètres avec des risques associés importants de blessures (tendinopathies, fractures de fatigue), de lassitude, voire de burnout. Le raisonnement par analogie ne fonctionne pas. Je ne fais pas deux fois plus de kilomètres quand je prépare un marathon par rapport à un semi. Cette évidence n’est pourtant pas une réalité pour tous.

 

“Le secret du bonheur, c’est de trouver une monotonie sympathique.”*

Pour les spécialistes, le 100 km a un parfum particulier qui procure un plaisir durable, certainement dû à l’état d’équilibre qui s’instaure sur une longue durée. Il s’agit en effet d’être le plus régulier possible en vitesse (mais pas en intensité) avec un geste qui devra se répéter de longues heures avec le moins de dégradation possible.

Revenons sur ces notions de vitesse et d’intensité. Imaginons un bon spécialiste qui vise 8 heures 20 minutes, soit une vitesse moyenne de 12 km/h. Sur la première partie de l’épreuve (au moins le premier tiers), cette vitesse sera aisée à tenir et donc l’intensité de course sera modérée et sous contrôle. Avec la fatigue, l’augmentation de la température interne, la déplétion des réserves énergétiques… le maintien de cette vitesse va devenir de plus en plus difficile, et va nécessiter une élévation de l’intensité de course. Cela pourrait se mesurer précisément par la mesure de la consommation d’oxygène, de manière moins fiable par l’élévation temporaire des fréquences cardiaques, mais également de manière plus simple par le ressenti d’effort qui va augmenter.

C’est là l’un des premiers écueils de cette discipline. Puisqu’il va falloir tenir longtemps, voire très longtemps à une même vitesse, il est normal d’être très facile sur la première partie de course, à une allure finalement peu commune à l’entraînement. Sagesse et humilité sont donc des vertus essentielles pour performer. Sur 100 km, la tortue a souvent raison du lièvre.

Sur le plan biomécanique, et par opposition au trail où les paramètres de la foulée changent constamment, celle du coureur de 100 km est terriblement régulière, si le parcours est plat bien entendu. Or la répétition d’un même geste (fréquence-amplitude-angles articulaires et segmentaires) n’est pas sans difficulté. Au fil des kilomètres, la foulée devient moins souple, la capacité de force diminue, le temps de contact augmente (par réduction entre autres de la stiffness), les déchets métaboliques s’accumulent, l’inflammation augmente… et l’on comprend alors pourquoi il faut augmenter l’intensité de son effort pour espérer conserver la même vitesse.

D’un point de vue énergétique, nous sommes bien entendu sur la filière aérobie qui s’enclenche dès les premières minutes de course et qui sera sollicitée jusqu’à la fin. Le 100 km nécessite une bonne capacité aérobie tout comme un indice d’endurance le plus élevé possible. Revenons sur ces 2 notions liées mais souvent confondues. Prenons l’image d’un réservoir de carburant. La capacité totale du réservoir (i.e. son volume) correspond à la capacité aérobie du sujet. Plus le volume est grand et plus la capacité à aller loin (donc à durer) est importante. Sur ce réservoir, il y a un robinet. L’ouverture à fond de ce robinet (le débit maximal) correspond à la puissance aérobie (VO2max – VMA sur le terrain) du sujet. Enfin, l’endurance correspond au temps d’épuisement du réservoir à un débit donné. Le plus endurant sur 100 km est celui qui tiendra le plus haut pourcentage de sa VMA sur la distance.

L’entraînement va donc se focaliser sur l’ensemble de ces aspects afin de les optimiser par ordre d’importance. Par exemple, même si la puissance aérobie reste un facteur de performance sur 100 km, je dois consacrer plus de temps à améliorer mon indice d’endurance qu’à élever ma VMA (voir tableau plus loin).

 

Une préparation de marathonien croisé

Puisque marathon et 100 kms sont 2 distances qui sollicitent quasi-exclusivement la filière aérobie, les préparations sont assez proches, à cela près que les sorties spécifiques sont différentes et que l’endurance fondamentale peut avantageusement se préparer via une activité croisée. En effet, pour un même athlète, le temps sur 100 km est au minimum de 3 fois celui sur marathon ! C’est un rapport non négligeable. Pour autant, il ne faut pas délaisser le travail qualitatif pour des raisons autant physiologiques que biomécaniques. La préparation peut se dérouler en 2 phases : une phase de préparation physique générale et une phase de préparation physique spécifique, avec les contenus suivants :

 

Préparation physique générale Préparation physique spécifique

– Développement Vitesse Maximale Aérobie

– Renforcement musculaire, voire musculation (force-endurance de force-stiffness)

– Recul du seuil d’accumulation des lactates pour augmenter l’indice d’endurance

– Capacité aérobie en course et en activité croisée

– Maintien VMA et seuil

– Allures – intensités spécifiques

– Epreuve de préparation (semi et marathon)

– Optimisation de l’indice d’endurance, essentiellement par la course

 

Entre ces 2 périodes et la course-objectif, ne pas oublier la période d’affûtage (10 à 15 jours) pendant laquelle les charges diminuent de 50% tout en conservant de la qualité et une bonne fréquence des exercices.

Concernant la sortie longue, nous conseillons de ne pas dépasser 2h30 (et grand maximum 3h) à l’entraînement. Pour faire plus, il faut doubler avec du vélo, un footing à jeun, du home trainer … Sur la course de préparation, en l’occurrence le marathon, il faut courir à allure cible, surtout si cette course est placée 3 semaines avant le 100 km. On s’appliquera sur la gestion de l’allure, du matériel, de la nutrition-hydratation et sur l’économie de course.

Encore une fois, il est très complexe de proposer un plan d’entrainement qui doit être individualisé et avec un minimum de 3-4 séances par semaine. Cela étant, on ne peut établir ses allures cibles qu’à partir de l’estimation de sa performance chronométrique, elle-même dépendante de nombreux facteurs : VMA, indice d’endurance, expertise, état de forme du jour, facteurs mentaux … Voici un tableau statistique, pour coureurs entraînés régulièrement et expérimentés, qui permet d’établir une première estimation.

 

VMA en km/h 14 15 16 17 18 19 20
10 km 47’40 44’30 41’40 39’15 37’ 35’05 33’20
Semi- 1h46 1h39 1h33 1h28 1h23 1h18 1h14
Marathon 3h45 3h30 3h17 3h05 2h55 2h43 2h38
100 km 11h53 10h45 9h48 8h55 8h11 7h38 7h08
Temps/km 7’08 6’27 5’53 5’21 4’55 4’35 4’17
Allure en km/h 8.4 9.3 10.2 11.2 12.2 13.1 14

Quelques repères de la VMA au 100 km

 

Sur ce tableau, l’indice d’endurance, c’est-à-dire le rapport entre l’allure sur 100 km et la VMA, varie de 60 à 70%. Ce choix est relativement arbitraire car tous les cas de figure sont possibles selon le profil de l’athlète et la typologie de son entraînement.

 

La réussite sur une telle épreuve dépend de sa préparation physique mais aussi de la stratégie adoptée (pacing avec l’aide du vélo suiveur fortement conseillé – nutrition) et de sa capacité à se faire confiance et à respecter le plan établi. L’effort étant monotone, l’appréciation de la durée est fort différente de celle d’un effort en nature. Des stratégies mentales tour à tour associatives (concentration sur la foulée, la respiration, les allures, le chrono) et dissociatives (mise volontaire en état d’hypnose) sont efficaces si elles sont anticipées.

Alors que vous soyez marathonien ou traileur, et si vous n’aimez pas courir sans réfléchir, alors tentez l’aventure particulière du 100 km qui demeure un magnifique défi à l’endurance humaine. De nombreux traileurs s’y essaient à Millau ou ailleurs. Fabien Chartoire et Jérémy Pignard, 2 piliers actuels de l’équipe de France du 100 km, ont une longue carrière de traileur derrière eux.

La semaine prochaine, nous reviendrons sur les 100 km de Steenwerck qui ont lieu le 30 mai en examinant la préparation d’Erik Clavery, champion du monde de trail 2011 et champion de France de 24h 2018.

* Victor Sawdon Pritchett

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Erik Clavery en bleu blanc rouge aussi sur 100 km après le trail et le 24h ?