En 2012, il se classe deuxième du Tor des Géants après avoir dominé une partie de la course. Au terme de 330 km et 24 000 m de dénivelé positif, il est devancé par Oscar Perez tandis que Christophe Le Saux ne parviendra pas à le suivre. Professeur et directeur de l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne et coordinateur de l’équipe suisse de la Recherche scientifique du Tor Des Géants, il a bouclé son parcours en 78h50mn03s.
Ancien triathlète professionnel, entraîneur national de l’Equipe de France puis de Grande-Bretagne de triathlon (il en fut le team manager lors des JO de Sydney), il est aujourd’hui physiologiste de l’exercice et spécialisé dans les réponses métaboliques à l’entraînement sportif. Titulaire d’un doctorat sur les déterminants physiologiques de la performance aérobie, il est nommé Maître de conférences en 2000, il obtient son « Habilitation à diriger des recherches » en 2002, suivie deux ans plus tard d’un diplôme sur le « Dopage : de l’analyse à la prévention » de l’Université de Montpellier. Après quatre années passées au Qatar, il a rejoint l’Institut des sciences du sport (ISSUL) de l’Université de Lausanne en 2008 en qualité de Maître d’enseignement et de recherche suppléant, avant d’y être nommé professeur associé et directeur adjoint en août 2010.
Ses recherches sont orientées sur l’analyse des mécanismes physiologiques de la performance sportive et s’articulent autour de trois thèmes : le couplage énergie – mécanique des différentes locomotions sportives, les réponses hémodynamiques, cardiovasculaires et musculaires en hypoxie, ainsi que les déterminants de la fatigue neuromusculaire. L’efficience motrice est au cœur de ses travaux qui visent à prescrire des modalités d’entraînement individualisées chez le sportif. De nombreuses structures font appel à lui et ses recherches sont attendues tant les facteurs de progressions semblent encore nombreux.
En 2010, lorsque son frère Guillaume, chercheur lui aussi et professeur de physiologie de l’exercice et sportif, s’inscrit sur la première édition du Tor des Géants. Grégoire se déplace sur la course, applaudit la troisième place de son frère (87h17mn37s de course) et y voit un challenge scientifique et personnel. En 2011, il est au départ mais connaît des problèmes de genoux. Il termine 21e. Cette année là, les deux frères collectent aussi des données sur la course en fonction d’une vingtaine de paramètres afin d’étudier les traumatismes engendrés par ce type d’effort et en 2012, il reprend le départ. « Pour moi ce genre de course dépend essentiellement de trois paramètres : l’économie de course, la vitesse ascensionnelle et la prévention des blessures durant la préparation et en course« . Le chercheur qui n’avait « rien fait au niveau de l’entraînement depuis 20 ans avant de se plonger dans l’aventure du Tor des Géants…. » décide de se préparer sur 4 mois. Avec son emploi de temps de ministre, il ne dispose guère de temps et tente donc de gérer au mieux. « J’ai d’abord fait du ski de fond afin de protéger mon genou puis j’ai repris la course à pied en mai. Là, je me suis entraîné environ 9 heures par semaine. Le lundi : rien; les mardi, mercredi et jeudi : 45 mn sur plat lors de ma pause déjeuner. Le reste était concentré sur le week-end avec deux sorties de 3 à 4 heures avec du dénivelé. Sur ces entraînements, je ne me concentrais pas sur ma vitesse de course mais sur le pourcentage de dénivelé en allant très, très doucement. J’ai aussi perdu un peu de poids… que j’ai repris depuis d’ailleurs… » Il terminera deuxième…
Depuis, l’étude réalisée en 2011 a été publiée cette année, le 26 juin 2013 dans la revue Plos One. « C’est la première fois que nous avons pu étudier une épreuve aussi longue, se disputant en montagne avec des aspects physiologiques typiques de la course de très longue distance avec la privation de sommeil et l’accumulation de dénivelé ». En parallèle, Guillaume mène aussi des recherches sur l’UTMB. Cette étude a démontré que le Tor des Géants est moins traumatisant que l’UTMB (160 km et 9600 de dénivelé) au niveau musculaire et articulaire. Le Tor des Géants fait certes 330 km et 24 000 m de dénivelé positif mais il doit se courir en moins de 150 heures ce qui permet aux coureurs de gérer leur sommeil et leur effort. Sur l’UTMB, la distance et moins longue mais l’effort plus intense avec plus de traumatismes musculaires et inflammatoires. Sur les deux courses, des échantillons de sang et de muscles ont été prélevés, bien évidemment sur des coureurs du peloton et non sur l’élite « car il est difficile de leur prélever du muscle avant une course ce qui est, somme toute, logique. » La gestion de l’effort explique en grande partie les résultats. Les participants économisent leurs forces et protègent l’intégrité de leur corps afin de pouvoir aller plus loin, plus longtemps ce qui explique aussi le pourcentage d’abandon supérieur parmi les coureurs élites qui prennent plus de risques et les coureurs de fin de peloton qui ont, peut-être, présumé de leurs capacités. « Le Tor des Géants est quelque chose d’étonnant où les participants viennent se mettre dans un état de fatigue tel que c’est à peine imaginable pour quelqu’un qui ne connaît pas le milieu. Il y a la fatigue physique mais aussi cérébrale car vous devez toujours vous auto gérer, dialoguer avec votre corps, être à l’écoute de vos sensations, des signaux d’alerte. Cette auto gestion impose la prudence et de ce fait moins de traumatismes musculaires. Un constat logique mais que nous voulions démontrer avec cette étude. »
Est-ce que cette étude vous a aussi permis de déterminer le profil idéal de l’ultra-trail ?
Cette étude mais aussi toutes nos observations par ailleurs. Kilian Jornet est le plus parfait exemple du profil type. Pour moi, un ultra-traileur performant, doit mesurer entre 1m60 et 1m70 et peser entre 50 kg et 60 kg. Mais il doit aussi avoir un gros moteur (de grosses capacités cardiaques et pulmonaires), avoir auparavant fait des sports de neiges type ski de fond et ski d’alpinisme et être peu musculeux. Le profil de Kilian Jornet en fait ! (Kilian Jornet fait 1m71 pour 56kg, a grandi dans un refuge et cumule trail et ski d’alpinisme, ndlr). Pour être un bon ultra-traileur, il faut avoir un gros VO2max (volume maximal d’oxygène consommé par l’organisme lors d’un exercice dynamique aérobie maximal), ne pas avoir peur en descente et avoir une grande habilité technique. En fait, il n’y a aucune raison pour que les athlètes les plus performants aient 40 ans. Si c’est encore le cas, c’est parce que le trail n’en est qu’à ses débuts. Les athlètes vont devenir de plus en plus performants et s’approcher de plus en plus de ce profil idéal, cela ira de plus en plus vite. Il n’est pas non plus logique que les courses soient gagnées par des athlètes « neufs » c’est à dire qui viennent d’autres sports et en ayant peu de références en trail et en ultra-trail, cela illustre le fait que ce sport n’est pas encore à maturité. Nous allons, chaque année, être étonnés par les performances car elles vont logiquement grandement s’améliorer et nous aurons de plus en plus d’athlètes en mesure de courir vite sur ce type de parcours. Ils seront mieux préparés, mieux « profilés », et ce ne sera pas en raison de produits illicites mais plus parce qu’ils seront plus en adéquation avec les exigences de la discipline. Il y a notamment quelques coureurs du peloton élite qui devraient énormément progresser dans les années à venir car ils sont encore très frais et ne sont pas loin du profil idéal.
Kilian Jornet pourra donc être battu ?
Bien sûr, mais il faut trouver un athlète qui a grandi comme lui dans un cadre idéal, qui a toujours fait des sports de neige et qui a les mêmes capacités physiologiques.
Quels sont selon vous les critères de performance en trail en dehors des capacités physiques ?
Trois facteurs sont déterminants :
1. la vitesse ascensionnelle car je pense qu’un trail se gagne en montée et se perd en descente
2. l’économie de course impliquant de très bonnes qualités techniques avec une grande économie énergétique
3.une très bonne habilité technique en descente
C’est ce qui me laisse penser que les Africains, s’ils sont pour moi imbattables sur route aujourd’hui de par leurs qualités naturelles, ne seront pas forcément les plus forts s’ils viennent sur le trail en montagne. En effet, s’ils ont une grande capacité à restituer l’énergie cela n’est valable qu’avec des pente de moins de 20%. Au-delà de ce pourcentage seule la capacité ascensionnelle compte et ce n’est pas forcément leur point fort.
De plus en plus de coureurs se lancent sur le trail en montagne, il y a un vrai phénomène. Avant de se lancer dans de telles aventures quels sont pour vous les acquis nécessaires ?
Avoir fait au moins des 40 km avec 2000 m de dénivelé. Il faut non seulement les avoir terminés mais aussi les avoir bien gérés avant, pendant et après la course. C’est le minimum requis. Ensuite, c’est essentiellement un sport d’endurance sans standard, sans chrono, un des facteurs de son succès mais aussi ce qui permet à beaucoup de coureurs de se lancer dans l’aventure. Pourtant, je préconiserais d’ajouter une donnée que beaucoup oublient ou veulent oublier : la vitesse ascensionnelle. J’en parle beaucoup car pour moi c’est une donnée essentielle. Il est très facile de se tester et ainsi d’évaluer ses progrès. Sur une pente standard, de préférence en montagne vous mesurez votre distance parcourue sur 6 mn et vous évaluez vos progrès. C’est aussi une très bonne séance d’entraînement.
L’important est d’avoir une bonne progressivité que ce soit dans le nombre d’épreuves choisies, dans le kilométrage et dans l’entraînement. Quelqu’un qui s’est bien préparé sans trop en faire et s’aligne sur la TDS (Sur les traces des Ducs de Savoie, 119 km et 7250 m de D+) prend moins de risques que celui qui court tous les week-ends en montagne sur des distances de plus de 50km. L’erreur commise par beaucoup est de trop en faire. Pour terminer un ultra, il ne faut pas en faire des tonnes mais savoir s’entraîner et cibler ses zones d’entraînement. Par exemple, le travail de vitesse ascensionnel ne se fait pas au-delà de 65% de sa VMA ! Il faut pouvoir monter en chantant ! La montagne permet d’optimiser l’oxydation des graisses ce qui est primordial lors d’un ultra mais il faut apprendre à votre corps à le faire !
Combien de temps doit durer une préparation pour l’UTMB par exemple ?
Un an, à condition bien sûr d’avoir une expérience sur trail en montagne. La préparation doit se faire en douceur avec un cycle terminal sur douze semaines pas plus, de toute façon vous devez vous qualifier et donc faire certaines épreuves clés qui vous permettent de vous tester. Obtenir ses points l’année précédant la préparation me paraît souhaitable afin de ne pas puiser dans ses réserves l’année de la course. Et je vais ajouter qu’il ne faut plus s’entraîner du tout les 15 jours avant la course. Il faut couper complètement avec la course à pied, voire avec le sport. Je sais que certains ne peuvent pas mais je conseille vraiment de ranger les runnings et de ne faire qu’un peu de vélo ou d’elliptique par exemple. J’aime beaucoup cet appareil qui n’est pas traumatisant mais très complet et permet de travailler le haut et le bas du corps. Pour le traileur, c’est l’idéal.
Et que conseillez-vous aux traileurs qui n’habitent pas en montagne ?
Des vacances, des week-ends et des courses en montagne. Les autres séances peuvent se faire, tout comme je l’ai fait, sur le plat. Le but est d’acquérir une expérience dans la gestion de l’altitude et dans la capacité à répéter les montées et les descentes. Ensuite, il y a la solution des escaliers mais attention uniquement en montée pas en descente, car je trouve le traumatisme trop important. On prend donc l’ascenseur pour descendre puis on remonte ! En plus, la phase ascenseur permet de récupérer !
Pourquoi autant de coureurs semblent-ils ne plus avoir envie de courir après l’UTMB ou le Tor des Géants et autres trails de cette envergure ?
Je ne pense pas que cela soit dû à la fatigue, aux blessures ou à une mauvaise gestion de l’effort que ce soit physique ou mentale. Je crois que pour beaucoup, terminer ce genre de course est un Graal, une quête et non un amour profond pour l’ultra-trail. De fait, le Graal atteint, ils ne trouvent plus les ressources pour rechausser leurs runnings sauf à se fixer un challenge toujours plus long, toujours plus dur, toujours plus loin. Pour résumer, il y , selon moi, trois profils d’ultra-traileurs :
1. Le compétiteur. Celui qui veut rentrer dans les 50, dans les 30, dans les 20…. sur le podium… Il n’est pas à la recherche du plaisir. Il veut aller plus vite, grimper dans la hiérarchie. Celui-la veut progresser, il ira toujours plus loin à l’entraînement. Bien structuré, il progressera, mais il peut aussi se blesser s’il n’est pas bien encadré et s’il ne connaît pas les limites de ses capacités.
2. Le traileur. Je veux me confronter à moi-même, courir pour moi, me défier. Celui-là trouvera toujours une motivation pour aller courir et ses lancer sur d’autres courses car il n’est pas en quête de…. mais à la recherche de sensations. Il peut se lancer sur toutes les distances et diversifier ses choix.
3. Le « Je l’ai fait ». C’est celui qui le fait pour terminer, pour dire « je l’ai fait ». Celui-la ne rechaussera pas forcément ses runnings car il aura atteint son objectif et passera à autre chose. Il y en a bien sûr, il ne faut pas le nier mais ce n’est pas la majorité.
En fait, l’augmentation du peloton entraîne obligatoirement ce genre de comportement mais vous retrouvez ce phénomène dans toutes les activités qu’elles soient sportives ou non. L’essentiel est que les organisateurs l’acceptent et fassent en sorte que tout se passe bien. Toutefois, je tiens à rappeler que ces trails se déroulent en montagne ! Les concurrents prennent donc inévitablement des risques, les mêmes que lorsqu’ils s’élancent sur un trek, à l’assaut du GR20, du Mont-Blanc… Les règles de la montagne s’appliquent et la prudence des concurrents s’impose. Tout ne doit pas reposer sur les organisateurs à condition bien sûr qu’ils aient pris la mesure de leur événement.
Sa bibliographie
Grégoire Millet est co-auteur de deux livres consacrés à l’entraînement sportif :
« La préparation physique : Optimisation et limites de la performance sportive » paru aux éditions Masson
« S’entrainer en Altitude » paru aux éditions De Boeck