Dans une série de 3 articles nous avons décidé d’analyser, décrypter les interactions entre la fréquence cardiaque (FC) et l’entraînement cycliste.
Dans les deux premiers articles dédiés à l’utilisation de la fréquence cardiaque (FC), nous avons vu qu’il serait plutôt judicieux de conserver cet indicateur afin de suivre son état de forme notamment par une mesure de la FC de repos (FCrep), le matin au réveil, ou de suivre post effort la cinétique de récupération cardiaque.
De plus, réaliser un test de capacité physique et enregistrer la FC, afin d’évaluer votre FC maximale (FCmax), vous permettra la détermination de zones d’entraînement et ainsi une programmation d’effort individualisée.
Maintenant, allons voir ce qu’il se passe au cours des séances d’entraînement, une fois que l’on connait les différents paramètres exposés ci-dessus. La FC est-elle toujours aussi intéressante ou peut-elle être prise à défaut ? Allons le découvrir.
La météo de la forme
Au cours de l’exercice l’utilisation de la FC est multiple, tant pour voir si les intensités prescrites sont bien respectées, si notre perception de l’effort est cohérente vis à vis de la FC, ou encore valider un état de forme ou une transition entre des périodes d’entraînement.
En tant qu’entraîneur, il est intéressant de suivre l’évolution de FC au cours de la séance, pour voir comment ce paramètre évolue en fonction du ressenti et de la puissance (Figure 1).

Par exemple, si sur vos séances d’endurance et idéalement sur un même parcours, vous observez une FC moyenne (FCmoy ) qui diminue au fil des sorties et que le ressenti de la difficulté (RPE) et la puissance sont stables, cela signifie la plupart du temps que votre état de forme s’améliore. Si votre FCmoy est stable sur votre sortie d’endurance et que votre RPE augmente.
Si votre puissance moyenne reste à l’identique, cela pourrait être dû à une mauvaise gestion de l’effort, une mauvaise alimentation, ou encore un besoin de repos à planifier dans les jours à venir.
Autre cas de figure, si votre FCmoy est stable mais que votre puissance diminue et que le RPE augmente, il est très probable que vous soyez en état de fatigue.
Si maintenant, la FCmoy et le RPEaugmentent et que la puissance moyenne de votre sortie diminue, il est peut-être temps de se poser les bonnes questions sur votre état de forme et d’envisager à minima une coupure dans votre entraînement.
C’est ensuite dans la discussion avec l’athlète que l’on trouve les éléments de réponse et les solutions à mettre en œuvre pour comprendre précisément la situation et la planification.
FC et puissance en séance
Maintenant penchons-nous sur la relation entre la FC et notre puissance. Ces deux paramètres associés sont très intéressants, puisqu’ils mettent en avant le reflet du travail cardiovasculaire et mécanique

Si l’on regarde les ouvrages de Joe Friel, entraîneur américain très connu dans les sports d’endurance, on retrouvera deux notions intéressantes. Le « facteur d’efficacité » et le « decoupling », permettant d’évaluer votre endurance aérobie.
Le premier paramètre, consiste à observer les valeurs de FC en Zone 1 et d’y associer les valeurs de puissance sur ce même intervalle. Si votre endurance aérobie s’améliore au fil de votre entraînement, vous observerez que pour une même FC, votre puissance augmentera ou que pour une puissance égale la FC diminue.
Cela signifie que désormais, pour un coup de pédale donné, l’impact cardiovasculaire est moindre, votre corps est devenu plus économe. Pour suivre ces améliorations, vous allez à la fin de vos sorties d’endurance (intensité inférieure au seuil aérobie) prendre la puissance normalisée (Pnorm) et la diviser par la FCmoy de la zone 1.
La Pnorm est un indicateur que l’on retrouve sur toutes les plateformes actuelles comme Garmin, Zwift, Strava, Trainingpeaks et bien d’autres, cet indicateur peut différer de la puissance moyenne (Pmoy) de la sortie notamment si vous avez du mal à gérer votre effort et faites beaucoup d’accélérations et de décélérations. Dans ce cas la Pnorm sera supérieure à la Pmoy.
En revanche, si vous maintenez bien votre effort en zone 1 sans accélérer ou décélérer en permanence, il est probable que la Pnorm et la Pmoy soient égales.
La deuxième notion, vous permettra de voir au cours de la séance et non sur plusieurs séances, si votre endurance aérobie s’améliore (cf. Tableau 1).
Friel nomme cela le « decoupling ». Sur TrainingPeaks, la métrique spécifique est écrite « Pw :HR ».

Cela consiste à évaluer votre efficacité sur deux temps de séance et d’appliquer le calcul suivant : efficacité sur la première moitié de séance, moins l’efficacité sur la deuxième partie de séance, le tout divisé par l’efficacité sur la première moitié de séance.
Au final on obtient un score qui augmente ou diminue en fonction de la dérive cardiaque au cours de l’effort. Si cette efficacité diminue sur la deuxième partie de séance, cela signifie que votre endurance aérobie doit encore être améliorée, ou que votre effort est mal géré, ou que des facteurs environnementaux sont venus vous impacter.
Joe Friel propose un cut arbitraire de 5%. Si vous êtes sous cette valeur et qu’elle diminue au fil de vos séances, c’est que votre endurance aérobie s’améliore, jusqu’au moment où elle atteindra un palier qui n’évoluera plus beaucoup.
Si votre valeur est supérieure à 5%, cela signifie que votre état de fatigue en seconde partie de séance augmente, matérialisé par une FC en augmentation ou une baisse de puissance.
Cette notion de decoupling va être intéressante pour avoir une idée de l’état d’adaptation du cycliste quant au travail aérobie. Vous allez voir au fil des séances d’endurance, que cette valeur basculera progressivement sous les 5%, pour une durée d’effort et qu’ensuite en allongeant les distances le même phénomène se produit.
À vous de savoir, si un decoupling inférieur à 5% sur 3h d’effort, est suffisant pour votre activité préférée. Si l’on est dans le cas du vtt-xco, je vous dirais que oui largement, une évaluation sur 2h devrait suffire. Si on pratique le cyclotourisme par exemple, il faudra peut-être prolonger les durées d’effort et s’évaluer sur un temps proche ou égal à celui de la compétition.
Nous avons ici vu l’intérêt d’utiliser la FC, associée à la puissance développée, pour avoir un regard sur les capacités d’endurance de l’athlète. Finalement, qu’en est-il de l’utilisation de ce marqueur cardiovasculaire lors de séances d’entraînement par intervalle (EPI).
FC et EPI, une histoire d’amour ?
Il y a un exemple de séance, donnée à un athlète, que j’entraînais (Figure 2), que j’aime à présenter, pour mieux comprendre la limite de l’utilisation de la FC au cours des séances.

L’objectif de l’EPI à PMA, est de maximiser le temps passé à VO2max. Ainsi la FC devrait en théorie, être maximale lors de chaque répétition d’exercice avec des valeurs de 196 Bpm dans ce cas précis.
La Figure 3, montre les FC retrouvées, lors de chacune des répétitions réalisées lors de la séance. A aucun moment, elles ne se situent entre 96 et 100% FCmax comme cela serait espéré.
Au premier abord, on pourrait se dire que la séance est loupée, puisque les FC demandées ne sont pas atteintes. Mais curieux de nature, je suis allé voir le ressenti d’effort que l’athlète donnait à 8/10, soit une séance très difficile à réaliser.
La FC n’a pas évolué comme je le souhaitais, peut-être à cause des durées de récupération trop longues et donc une accumulation de fatigue non suffisante pour que la FC augmente dans les valeurs espérées lors des efforts.
Cela pourrait aussi être dû à une accumulation de fatigue les séances précédentes et donc une FC qui reste basse lors de l’effort. J’ai ensuite regardé les puissances au cours des intervalles de travail et là, surprise, les intensités d’effort et de récupération sont exactement au watt près, aux valeurs de référence demandées.
Résultat des courses, le problème venait de la durée des récupérations qui était trop longue et permettait à mon athlète de récupérer bien plus que ce que je souhaitais.
Vous le comprenez désormais, dans certaines circonstances notamment pour les intensités d’effort au seuil anaérobie et au-delà, la FC seule, n’est pas le meilleur indicateur du stress physiologique et mécanique global.
Il faut être vigilant sur l’utilisation unique de la FC et cela est encore plus marqué pour les intensités de la filière anaérobie car généralement on observe de plus gros décalages encore entre puissance et FC.
Que se passe-t-il généralement si vous ne connaissez pas ce phénomène, ou ne l’avez pas expliqué à votre athlète, ou encore s’il ne possède qu’un capteur de FC ?
Naturellement, il va accélérer sur son vélo, pour faire monter plus rapidement sa FC. Erreur classique car la puissance, elle, va forcément dépasser la PMA et le travail se réalisera uniquement sur la filière anaérobie, or les temps de récupération ne sont pas adaptés pour ce genre d’effort et l’objectif de séance souhaité ne sera pas atteint ou partiellement seulement. Le cycliste ne devrait pas réussir à finir sa séance.
Conclusion
Maintenant que vous avez achevé la lecture de ce triptyque sur la FC et son utilisation, vous êtes à même de vous forger un avis sur son utilité dans votre entraînement. Je ne peux que vous recommander de conserver cette mesure, si vous souhaitez individualiser vos contenus d’entraînement et suivre votre état de forme.
Malgré tout, soyez vigilant sur plusieurs aspects :
Le premier est que dès que l’on effectue une intensité supérieure au seuil anaérobie (SV2 ou LT2 ou 2nd seuil lactique, on va dire que tout est semblable pour faciliter la compréhension), d’autant plus sur un effort intermittent, il y a de fortes chances que les valeurs de FC, ne soient pas des indicateurs suffisants pour suivre l’intensité de l’effort de manière fiable.
Deuxième élément et non des moindres, la FC est sensible aux facteurs environnementaux, votre état de santé, de sommeil, d’anxiété, d’hydratation… Ainsi, faire une séance par 10°C ou 30°C, va impacter la valeur de FC pour une puissance identique. Vous vous sentez nerveux ou êtes stressé par votre travail, il est fort à parier que votre FC ne sera pas la même qu’habituellement. Soyez donc vigilant avec ces aspects.
Enfin dernier élément à considérer, je ne peux que vous recommander d’utiliser des ceintures de FC thoraciques, associées à votre montre ou votre GPS. Les mesures directes au poignet ne sont toujours pas fiables et de grosses erreurs de valeurs peuvent apparaitre avec des écarts parfois supérieurs à 20 Bpm.
Vous êtes maintenant incollable sur la FC et son utilisation, alors profitez en bien et roulez monitoré.