Dans une série de 3 articles nous avons décidé d’analyser, décrypter les interactions entre la fréquence cardiaque (FC) et l’entraînement cycliste.
Dans la première partie, nous examinions ensemble, l’utilisation de la FC avec l’évaluation des données de repos et l’intérêt de réaliser un suivi de cette valeur afin d’objectiver un état de forme ou éviter un potentiel surentraînement.
Passons maintenant à la pratique et le premier intérêt que revêt la fréquence cardiaque à savoir prescrire l’entraînement à partir de ce marqueur. Voyons ce qu’il en est pour basculer d’un entraînement libre à une approche plus structurée ou l’effort est définit par la FC.
L’évaluation à l’effort
Au-delà de la FCrep, la réalisation d’un test de capacité physique avec un entraîneur formé ou un sport scientist qui interprètera vos données dans un but d’entraînement, parait à minima opportun.
En revanche, si vous n’avez jamais réalisé ce type de test, ou avez plus de 40 ans, je ne peux que vous recommander de prendre d’abord rendez-vous auprès du corps médical et plus particulièrement un cardiologue.
Est proposé dans les sports d’endurance, ce que l’on nomme classiquement un test VO2max. Il consiste à augmenter l’intensité de 20 à 50 W, toutes les 1 à 3 min, selon les protocoles et se termine quand vous n’êtes plus en mesure de maintenir l’effort demandé.
Au terme de ce test dit « incrémental », résumé assez simplement ici, vous devriez obtenir entre autres paramètres, votre FC maximale (ou FCmax), votre VO2max et votre puissance maximale aérobie (PMA).
Loin des calculs théoriques de FC ou des estimations que vos montres connectées vous proposent, vous obtiendrez ici, votre valeur réelle et individualisée de FCmax, dans la mesure ou vous êtes allé au bout de vos capacités.
Ce test incrémental peut tout à fait être réalisé chez vous sur home trainer, si vous avez des penchants pour l’analyse de la performance ou sur route.
Connectez-vous à Zwift, Rouvy ou tout autre logiciel d’entraînement, créez votre test incrémental, branchez votre smart trainer et c’est parti !
Maintenant, si l’idée même de faire du vélo en intérieur vous est insupportable, ce que je peux tout à fait comprendre, une autre solution existe. Réaliser un test contre la montre de 4 à 5 min dans une montée régulière d’environ 5% de pente. Ce type de test en extérieur, vous permettra d’obtenir à minima FCmax et si vous possédez un capteur de puissance votre PMA.
Attention toutefois car les tests de ce type, nécessitent une bonne gestion de votre effort et quand l’on débute, nous faisons tous la même erreur… On part trop vite, à des puissances trop élevées. Conséquence, votre PMA sera mal évaluée, généralement sous-estimée. La FC, elle, si vous vous êtes donné à fond sera bien votre FCmax.
Si par contre vous ne souhaitez pas réaliser ce genre d’effort assez intense, alors il faudra en revenir aux formules de calcul, que la science nous propose.
Elles sont nombreuses dans la littérature scientifique et une étude de 2001, publiée dans le journal du collège de cardiologie américain, nous apporte des éléments de réponse.
Pour ce faire Hirofumi TANAKA et ses collègues, ont réalisé une méta-analyse permettant de récupérer et grouper tous les résultats scientifiques (351 expériences analysées, pour plus de 18000 « cobayes ») et ont également mener une expérimentation sur 514 personnes afin d’observer les différences avec les ouvrages scientifiques.
Ils montrèrent certes que la FCmax est inversement corrélée à l’âge, donc plus on est jeune plus elle est élevée et qu’indépendamment du genre ou de l’état d’entraînement la formule FCmax = 208 – 0,7 x âge, semble le mieux correspondre à tout type de population.
Si toutefois, cette équation vous parait difficile à retenir, vous pouvez toujours vous référer à celle de Fox et Haskell découverte en 1970, FCmax = 220 – Âge. Attention toutefois, elle semble valide si vous avez entre 30 et 40 ans mais mal appropriée pour les plus de 45 ans.
Par pitié ne me dites pas maintenant : « A quoi bon… », je vous explique la suite. Une fois les FCrep et FCmax connues, vous allez pouvoir suivre ces indicateurs au fil de votre entraînement.
Ils vont forcément évoluer à mesure que vous progressez et en théorie nous devrions assister à une baisse de ces deux éléments, signe d’adaptations cardiaques (meilleure contractilité et dilatation cardiaque, plus grande capacité à expulser le sang, associé à une meilleure utilisation de l’oxygène présent dans le corps).
Mais par-dessus tout, vous allez pouvoir grâce à ce test, ou à votre calcul de FCmax, commencer à planifier votre entraînement.
Le paramétrage de ses zones d’entraînement
Nous y voilà, votre test VO2 est réalisé, vous connaissez votre VO2max, votre FCmax et très certainement votre PMA. Super, la première étape est validée.
Si la personne qui vous a évalué a de bonnes compétences en physiologie, elle aura peut-être estimé ces fameux seuils lactiques ou ventilatoires (attention ce n’est pas la même chose), plus communément connu sous les noms de seuil aérobie et seuil anaérobie (je n’aime vraiment pas ces appellations confondantes…)
Loin d’être une évidence car leur mode de détermination est sujet à de fortes turpitudes, vous allez ainsi pouvoir déterminer des zones d’intensité, que vous pourrez réutiliser à l’entraînement. Certains chercheurs en proposent 3 et cela peut aller jusqu’à 7 voire davantage. Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à rechercher les travaux de Grappe, Coggan, Friel, Seiler….
Ici, j’opte pour un modèle dit « physiologiste » à trois zones :
- Zone 1 : intensité inférieure à au 1er seuil ventilatoire ou seuil lactique (vert)
- Zone 2 : intensité comprise entre le 1er seuil ventilatoire ou 1er seuil lactique et le 2nd seuil ventilatoire ou seuil lactique.
- Zone 3 : intensité supérieure au 2nd seuil ventilatoire ou seuil lactique.
Petit aparté, certains entraîneurs ou sportif(ve)s préfèreront utiliser la méthode dite de Karvonen, qui va consister à se servir, pour déterminer les zones d’entraînement, des FCrep et FCmax.
Cette méthode basée sur la fréquence cardiaque de réserve (FCres), consiste à pondérer la valeur de FC par la valeur de FCrep. Je m’explique un petit peu, FCres correspond àFCmax – FCrep.
Dans mon cas, ma FCres = 197 Bpm – 52 Bpm soit 145 Bpm. Si je souhaite réaliser un exercice en endurance par exemple, soit à 70% de mes capacités maximales, je ferai le calcul suivant :
FC cible = (FCres x 70 / 100) + FCrep
= (145 x 70 / 100) + 52
= 154 Bpm
Il est intéressant de constater la différence de valeur entre le modèle physiologiste basé sur la détermination des seuils et le modèle de Karvonen.
À 70 % de mes capacités maximales j’obtiens pour l’un une FC de 154 Bpm pour ma sortie d’endurance, là où pour l’autre j’ai 138 Bpm. L’écart est tout de même assez important. À vous de voir quelle méthode vous semble la plus appropriée.
Vous pouvez maintenant planifier votre entraînement en fonction de ces zones d’effort. Si par exemple vous souhaitez développer votre endurance, il faudra réaliser un effort long en zone 1.
Si vous voulez travailler au seuil anaérobie, vous allez pouvoir réaliser l’effort de manière continue par exemple 25 min à 92% FCmax ou par intermittence, en réalisant 2 séries de 3 répétitions de 5 min à 92% FCmax et 2’30 de récupération en zone 1 entre les répétitions et les séries.
Allons un peu plus loin
Ah oui, j’oubliais une chose qui peut être très intéressante, pour qui s’intéresse à son état de forme. Au-delà du suivi de FCrep on peut observer l’évolution de notre fréquence cardiaque en récupération.
C’est exactement ce que je propose suite à un test de capacité physique, aux athlètes que j’évalue ou que j’entraîne. Pour ce faire, je leur demande à la fin de leur test incrémental de s’assoir sur une chaise et de ne plus bouger pendant 3 min.
Oui je sais, ça peut paraitre long, de rester sans rien faire mais croyez-moi, à la fin d’un test incrémental, s’octroyer 3 min de repos est salvateur.
Même si le test est terminé, je n’arrête jamais l’enregistrement de la FC et celle-ci va diminuer progressivement. Il est intéressant de noter qu’en fonction de l’état de forme du cycliste, la FC de récupération (HRR en anglais) va évoluer différemment et cela sera un gage de la qualité de récupération.
Normalement plus vite on revient à des valeurs de FC basses, meilleur est l’état de forme de l’athlète. En jargon « scientifique » on appelle cela la pente de récupération. Mais plus précisément, le cœur est géré par le système nerveux autonome et ses branches sympathiques qui stimulent la contraction cardiaque et parasympathique qui ralenti la FC.
Certains athlètes auront des baisses de 30 pulsations cardiaques, en 30 s passant par exemple de 197 Bpm à 167 Bpm en 30s, là ou d’autres ne baisseront que de 15 pulsations.
Dans l’exemple ci-dessus, l’athlète est passé d’une FCmax de 199 Bpm en fin de test incrémental à une valeur de 127 Bpm au bout de 2 min de récupération. On va ensuite observer les valeurs de la pente de récupération, je vous invite à jeter un œil à l’équation de la droite sur le graphique.
La pente est de -18,6 ; ce qui signifie que la FC de ce sportif baisse en moyenne de 18,6 Bpm toutes les 30s. On peut bien entendu être plus précis en faisant le même graphique et en conservant chaque seconde passant, la baisse de FC.
Attention toutefois, de ne prendre cette pente de récupération de FC, que pour un exercice à FCmax car lors de ce type d’effort, il y a une stimulation importante sur système nerveux sympathique et ce n’est pas sur ce type d’intensité, que la pente de récupération sera la plus importante. Néanmoins cette mesure vous servira de valeur étalon pour la comparer par rapport à d’autres tests ou bien même lors de séances qui vous amènent à FCmax.
Ainsi, si vous faites une séance d’entraînement par intervalle à PMA par exemple, vous pouvez très bien à la fin de la première série (si vous avez atteint FCmax), vous arrêtez sur le bord de la route ou du chemin, vous mettre en position assise et observer la baisse de FC au bout de 30s voire davantage.
Si vous avez atteint FCmax lors de la dernière répétition, vous regardez votre valeur de FC à 30s de récupération et comparez la différence entre FCmax et FC30s par rapport à ce que vous aviez lors de votre test incrémental. Vous aurez ainsi une idée de votre capacité à encaisser la séance ou un indicateur de votre état de forme.
Je ne sais pas si j’ai réussi à vous convaincre de la nécessité d’utiliser le FC dans la définition de vos intensités de travail mais en tout cas, on voit qu’il a de réels intérêts à utiliser cet indicateur, ne serait-ce que pour définir des zones d’entraînement. De plus, la FC peut être un formidable révélateur de l’état de forme, fraicheur… appelez cela comme vous le souhaitez.
Rendez-vous compte, nous n’avons pas encore abordé la séance d’entraînement et son analyse. Mais je suis persuadé qu’à la lecture de ces deux premières parties, vous comprenez mon état d’esprit vis-à-vis de l’utilisation de la FC à l’entraînement.
Nous allons dans la dernière partie dédiée à la FC dans la pratique cycliste, voir ce qu’il en est de l’entraînement et de son analyse pour essayer de comprendre si la FC est l’outil de référence à conserver ou si d’autres paramètres son à prendre en compte. Mais pour cela je vous laisse attendre la publication de notre 3ème volet. D’ici là bon ride à tout le monde.
Cyril GRANIER
Docteur en sciences du sport
Pour aller plus loin :
Borresen J, Lambert MI. Autonomic control of heart rate during and after exercise: measurements and implications for monitoring training status. Sports Med. 2008;38(8):633-46. doi: 10.2165/00007256-200838080-00002. PMID: 18620464.
Fox SM, Haskell WL. The exercise stress test: needs for standardiza- tion. In: Eliakim M, Neufeld HN, editors. Cardiology: Current Topics and Progress. New York: Academic Press, 1970:149–54.
Fox SM, Naughton JP, Haskell WL. Physical activity and the prevention of coronary heart disease. Ann Clin Res 1971;3:404–32.
Tanaka H, Monahan KD, Seals DR. Age-predicted maximal heart rate revisited. J Am Coll Cardiol. 2001 Jan;37(1):153-6. doi: 10.1016/s0735-1097(00)01054-8. PMID: 11153730.