Dans une série de 3 articles nous allons analyser, décrypter les interactions entre la fréquence cardiaque (FC) et l’entraînement cycliste.
Tout d’abord le premier volet est l’occasion d’examiner ensemble l’utilisation de la FC avec l’évaluation des données de repos et l’intérêt de réaliser un suivi de cette valeur afin d’objectiver un état de forme ou éviter un potentiel surentraînement.
Loin des années 60 et du premier système d’enregistrement continu et mobile de la fréquence cardiaque (FC) de Normal J. Holter. Le cardiofréquencemètre (CFM) est aujourd’hui un outil utilisé en cyclisme, accompagné du GPS, des capteurs de vitesse, cadence, puissance…
Un grand nombre d’appareils et de marques jouent le jeu de la donnée de FC, tels que Garmin, Polar, Suunto, Coros, Wahoo…. Cela permet à tout un chacun de connaitre l’effort cardiovasculaire réalisé au cours de sa sortie d’entraînement ou de sa compétition.
Néanmoins, il n’est pas rare de constater, qu’à partir du moment ou un cycliste achète un capteur de puissance, ils n’utilisent plus la FC…. Et l’on entend souvent nos athlètes dire lorsque l’on est entraîneur : « Maintenant que j’ai un capteur de puissance je n’ai pas besoin de ma FC ».
La réalité n’est peut-être pas aussi simple qu’elle n’y parait. En tant qu’entraineur, j’accorde un intérêt particulier à cet indicateur des capacités de récupération, de l’état de forme, du niveau de performance et de la progression…
Comprendre les valeurs de FC, c’est être en mesure d’adapter son entraînement et sa planification et de réguler l’effort au cours de la séance. Penchons-nous à présent en détail sur cette FC, ce qu’elle nous apporte comme informations, ainsi que les limites de son utilisation.
L’évaluation initiale
J’entends déjà certains me dire : « le CFM, moi pas besoin, je roule à la sensation… » Vous aurez certainement raison d’évoquer les choses de cette façon, croyant également à la capacité de ressentir son effort. Malgré tout, dans une logique de progression et de structuration de son entraînement, il est préférable d’associer à votre ressenti des valeurs de FC.
Le premier indicateur qui selon moi est fondamental, est la FC de repos, celle que vous pouvez évaluer avec votre CFM, le matin au réveil.
Cette FC de repos (FCrep), est un premier indicateur de votre état de santé ou de forme. En effet, les personnes sédentaires se situent généralement aux environs de 80 battements par minute (Bpm), quand les sportifs seront 15 à 20 Bpm plus bas et les spécialistes d’endurance jusqu’à 30 voire 40 Bpm en dessous.
Dans des prises en charge d’athlètes que j’ai eu, j’ai vu des valeurs de FCrep au réveil, pour une position allongée en état d’éveil, aux environs de 32 Bpm. Certains sportifs d’endurance de renom en vtt xco, ski de fond, ou cyclisme sur route font état de valeurs inférieures à 30 Bpm.
Si vous souhaitez évaluer votre FCrep, le protocole est assez simple finalement (cf. Figure 1). Après votre réveil, vous vous levez pour uriner, vous prenez un verre d’eau, installez votre capteur de FC sur votre torse (s’il vous plait, pas de FC au poignet) et vous vous allongez.
Lancez votre mesure en essayant de vous détendre au maximum (sans modifiez votre manière de respirer) et sans vous endormir. Ensuite au bout de 3 à 5 min arrêtez votre enregistrement. Conservez la valeur la plus basse mesurée. Vous obtenez ainsi votre FCrep.
Le suivi de la FC de repos
Une fois que vous connaissez votre FCrep et au-delà de votre état de santé, vous pouvez suivre votre forme physique de manière très simple et anticiper d’éventuelles déconvenues.
Vous savez dès à présent comment évaluer votre FCrep, vous allez maintenant réaliser cette mesure à minima une fois par semaine et consigner vos valeurs par écrit ou dans un fichier Excel par exemple.
Pour un suivi plus rigoureux et une meilleure sensibilité, quant au suivi de votre charge d’entraînement, je vous invite à réaliser ces mesures à minima tous les 2 à 3 jours.
Plus vous aurez de données, plus facilement vous pourrez avoir des tendances de FC qui émergeront et vous verrez l’impact de vos séances d’entraînement sur votre FCrep.
Avec mes athlètes, je réalise systématiquement ce suivi, lorsque ces derniers sont en accord, afin de réaliser les mesures. La figure 2, vient compléter mon propos vous montrant 27 mesures réalisées, ce qui représente les 14 premières semaines de suivi pour un athlète cycliste sur route, de 1ère catégorie, âgé de 21 ans. J’ai demandé à ce sportif de prendre sa FC 2 fois par semaine dès la reprise de son entraînement.
Vous pouvez l’observer par vous-même, la FC au fil des jours et des semaines d’entraînement n’est pas linéaire. La FCrep moyenne est proche de 41 Bpm et on voit une alternance de valeurs plus hautes lors la reprise (46 Bpm) ou plus basses aux environs de la 12ème semaine, avec 36 Bpm.
Il est toutefois intéressant de noter la droite verte avec son équation présente sur le graphique, qui nous indique au fil des relevés une tendance à la diminution de FCrep, signe d’adaptations cardiaques grâce à l’entraînement proposé (La FC diminue en moyenne de 0,0733 Bpm par mesure).
Ok, comme moi vous constatez la baisse de FC, certainement signe d’adaptation cardiaque et probablement d’amélioration de la capacité physique, mais que faire de plus avec ces valeurs ?
Il faut maintenant se pencher sur les lignes pointillées rouge et grises, elles sont mes gardes fous. En effet, vous l’avez certainement déjà compris, la ligne rouge correspond à la moyenne des valeurs. Vous connaissez mon penchant pour les chiffres et leur suivi. La distance verticale séparant la ligne rouge et les lignes supérieures et inférieures grises, se nomme l’écart type.
De manière globale en statistique, la distribution des données suit ce que l’on nomme la loi normale ou courbe de Gauss, mathématicien qui explique que 68 % de nos données (ici pour notre FCrep) devraient se situer dans cet intervalle (entre les deux lignes pointillées grises).
On observe que cela est le cas la plupart du temps mais pour la valeur 10, 15, 16, 18, 20, 22, 24 et 25 on sort de cet écart type.
Comment interpréter ces phénomènes ?
Il faut bien entendu être prudent, il n’y aura aucunes certitudes mais des tendances qui viendront se croiser avec d’autres indicateurs de suivi de la charge de travail ainsi que (et j’y accorde une grande importance) les sensations de l’athlètes.
Prenons l’exemple de la 10ème valeur de FC relevée à 44 Bpm, elle est au-dessus de l’écart type et l’on observe que les deux relevés précédents étaient en augmentation avec des valeurs respectives de 41,5 et 43 Bpm. Deux semaines auparavant, la FC se stabilisait aux environs de 40 Bpm et à cette période lorsque je regarde ma planification d’entraînement, je suis en semaine de décharge.
L’augmentation de FC est concomitante à l’augmentation de la charge d’entraînement, faisant augmenter FCrep à 41,5 puis 43 et enfin 44 Bpm. Au regard de cette évolution et suite à un échange avec mon athlète, que j’ai appelé immédiatement suite à la dernière valeur de FC, j’ai décidé de lui proposer 1 jour complet de repos et de reprendre ensuite mon entraînement tel que prévu initialement.
La suite des valeurs nous montre une forme de régularité sur des données proche de la moyenne. Vous voyez donc ici une adaptation concrète de l’entraînement proposé à un sportif suite à un suivi de FCrep.
Penchons-nous maintenant sur ce qu’il s’est produit entre la 20ème et la 22ème mesure. Vous observez un pic de FC à 44 Bpm, puis une grosse chute en 22ème mesure à 36 Bpm. Ici, nous sommes dans un cas assez typique que l’on retrouve avec les cyclistes.
L’athlète était sur la fin d’un cycle de travail aboutissant au 20ème relevé, je lui ai laissé ensuite une semaine de décharge et il est partir en stage d’une semaine avec son équipe.
Ne vous méprenez pas, cette FCrep à 36 Bpm ne veut absolument pas dire que l’athlète était en super forme après son stage et c’est même tout le contraire.
Ici on dépasse un écart type, mais plus encore, on en dépasse 2 et selon la loi de Gauss, toujours elle, 95% des valeurs devraient être dans cet intervalle. Or ce n’est pas le cas, mon athlète est dans les 5 % restant, plus exactement dans les 2,5% inférieurs restant, ce qui est une anomalie « statistique ».
Amis statisticiens, je sais à quel point ces informations et les raccourcis qui en découlent vous font peut-être mal aux oreilles, mais à des fins de compréhension cela a le mérite d’être explicite.
Alors que penser de cela et que faire ?
En tant qu’entraîneur, quand j’ai un doute sur l’assimilation de la charge d’entraînement par mon athlète, mon réflexe est toujours le même, appel de l’athlète et mise au repos. C’est ce que j’ai fait, ensuite j’ai appelé le responsable d’équipe qui a géré le stage, pour avoir plus d’informations sur mon athlète.
J’ai regardé ses données d’entraînement, ainsi que calculé la charge de travail à la fois à partir du ressenti de mon coureur (modèle de Foster) et croisé avec le calcul de charge à partir des modèles de Banister et Coggan.
Lors du stage, des sorties d’endurance ont été réalisées en groupe, avec des durées comprises entre 3 et 7h et un enchainement quotidien avec peu de place à la récupération.
Mon athlète habitué au travail biquotidien et à une demi-journée de récupération tous les jours et demi et un jour complet de récupération par semaine, à eu du mal à assimiler la charge de travail proposée, même si elle respectait les intensités d’effort prévues.
Résultats de courses, un repos complet de 3 jours a été proposé et la reprise fut réalisée avec des séances courtes (rappel de Force maximale sur vélo) et travail d’entraînement par intervalle avec un nombre de séries et de répétitions bien en-deçà de ce qu’il était capable de réaliser.
Ce que je ne vous ai pas dit, c’est qu’en même temps que je suivais sa FC de repos, je mesurai la variabilité de sa fréquence cardiaque qui permet de comprendre comment fonctionne le système nerveux autonome et le type de fatigue qui touche mon athlète (sympathique ou parasympathique). Mais ce point fera l’objet d’un prochain article.
Par ces exercices j’ai « reboosté » son système nerveux autonome et on observe un retour à la normale de la FCrep.
Vous le comprenez mieux maintenant, mesurer la FC de repos peut être un véritable atout dans le suivi de la charge d’entraînement et de l’adaptation de votre athlète. Il ne faut surtout pas ôter ce paramètre de l’équation, sous peine de passer à côté de plein de choses.
Aussi, il est intéressant de signaler que mon athlète avait sa FCrep qui variait de plusieurs battements et sortait des normes, avant des épisodes de maladie et cela de manière systématique, chose que j’ai constaté auparavant pour d’autre sportifs hommes ou femmes.
Chose complémentaire, et vous l’avez vu dans le protocole de mesure proposé, je demande systématiquement à mes athlètes de se peser avant la mesure de FC.
Des tendances apparaissent entre FCrep et poids à jeun, donc aujourd’hui encore je regarde ces deux données en même temps et observe leurs évolutions respectives, pour un meilleur jugement de la situation.
Il me parait au regard de ces informations pertinent de se dire qu’à minima, conserver l’analyse de la FC le matin au réveil, quand on a un doute sur l’état de forme de son coureur peut manifester des tendances de forme ou de méforme.
Pour ceux et celles qui veulent aller plus loin, il faudra se pencher sur l’analyse de la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC en français ou HRV en anglais) qui vous apportera plus de finesse et de profondeur dans l’analyse.
Néanmoins pour faire de la VFC, il faudra multiplier les relevés et je ne peux que vous inciter à faire les mesures à minima 3 fois par semaine et sur des durées de plus de 3 minutes. Les protocoles peuvent aller jusqu’à 15 min, si l’on suit les travaux de Laurent Schmit ou Grégoire Millet, deux chercheurs français à la pointe de cette thématique.
Si vous avez aimé cette première partie sur l’intérêt de la FC dans l’entraînement, je ne peux maintenant que vous conseiller de lire le prochain article sur l’utilisation de la FC afin de déterminer des zones d’entraînement et de voir son analyse au cours de séances pour comprendre si dans ce contexte, la FC est toujours un indicateur utile ou non.
Vous y retrouverez en plus, un de mes secrets d’entraîneur, pour savoir notamment si le travail foncier est suffisant.
Cyril GRANIER
Docteur en sciences du sport