Un fil est tendu au-dessus de la tête du conducteur et des deux fauteuils passagers. Des épingles à linge y sont accrochées. « Mais ce n’est pas pour étendre le linge », prévient Benoît Cori, au volant de sa camionnette rouge. « C’est pour pouvoir boucher la lumière et se retrouver vraiment dans le noir ». A l’arrière : un frigo et deux espaces de couchage. De quoi faire la sieste – parfois – entre midi et deux. Et aussi de quoi les loger, lui, sa femme et leurs deux enfants de trois et cinq ans, pendant leurs escapades.
Ce Jumper qu’il se félicite d’avoir acheté, il le conduira jusqu’à Annecy-le-Vieux à la fin du mois de mai 2015. Le Basque d’adoption a prévenu la dizaine de proches qui seront là pour l’encourager sur les championnats du monde de trail : il ne voyagera pas à vide. Il a déjà fait un « bon stock de bières ». Le vainqueur des Templiers 2014 et de la SaintéLyon 2013 ne s’en cache pas : il a déjà « hâte d’être à la fête du samedi soir ». Benoît Cori, bientôt 33 ans, est comme ça : déconneur, fêtard, bon vivant.
Avant de rejoindre le Pays Basque où son père a refait sa vie, il a grandi avec sa mère dans le Nord Pas de Calais. Les Corons, région défavorisée. Des grands parents mineurs. Une famille modeste. A la maison, pas de superflus, pas de pains au chocolat, pas de Nutella. « Alors je crois que quand j’ai pu y avoir accès, je me suis rattrapé ». S’engager dans l’armée lui a permis d’avoir « une situation ». Dès sa première paie, il s’est fait plaisir en chocolat. Depuis, c’est quasiment une drogue. « Presque maladif ». Son petit-déjeuner d’après Gruissan Phoebus Trail, début 2015, illustre sa démesure : « J’ai dû manger six chocolatines, deux éclairs au chocolat, et deux pains aux raisins ». Le soir avant se coucher, il est capable « d’entamer un paquet de gâteaux… et de le finir ». Jusqu’à s’en faire « exploser le ventre ». Son poids de forme ? « 79 kilos. Mais c’est juste pour la compétition. Sinon, je tourne autour de 82/83. Et je peux atteindre 87/88… ».
Pourtant, ce mardi-là à l’heure de l’apéro, à la terrasse d’un café du centre de Bayonne, il a commandé un Perrier. Et précisé : « J’ai arrêté la bière depuis dimanche. D’habitude, je fais ça quinze jours avant une compétition. Mais là… ce sont les Mondiaux ! ».
Benoît Cori n’est pas qu’un gourmand. C’est aussi un boulimique d’effort. « Jamais dans la demi-mesure ». Pas plus quand il s’entraîne que quand il fait les courses. C’était déjà le cas quand il passait « six à huit heures par jour à jouer à la pelote », ou « dix heures sur les courts de tennis ». « Quand je commence quelque chose, je me mets à fond dedans », analyse celui qui a débuté la course à pied après avoir gagné son premier cross militaire.
« Cette sélection, c’est extraordinaire. Jamais je n’aurais cru ça »
Depuis fin 2014, il a demandé – et obtenu – de ne plus partir en mission à l’étranger. Seulement en France. L’emploi du temps n’est pas toujours facile à gérer, mais il l’avoue : « Si je n’avais pas ce boulot, je n’aurais pas pu faire tout ça ». Il se planifie lui-même ses vingt heures d’entraînement hebdomadaire « en moyenne ». Avec trois fois par semaine, trois séances dans la même journée. Mais pas uniquement en course à pied : une heure de vélo elliptique le matin, un footing le midi, et du vélo le soir. Il a tiré les leçons de son syndrome de l’essuie-glace combiné à une fissure du cartilage du genou début 2014. Extrémiste, mais pas borné.
Sa maison est à dix-sept kilomètres du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Bayonne. « J’y vais en voiture le lundi matin. Et je ne la reprends que le vendredi soir. Le reste du temps, je fais les trajets soit en courant, soit à vélo ». Manière de caser ses séances sans trop empiéter sur la vie de famille.
Car Benoît Cori est aussi un papa et mari sensible à ses absences. « Je culpabilise un peu. De ne pas être là au petit-déjeuner le dimanche matin par exemple ». Mais il faut bien s’entraîner. D’autant que le grand gaillard est un lève-tôt qui « adore partir courir et voir le jour se lever ». « Mais après les compétitions, je relâche. Le dimanche matin, je vais chercher les chocolatines. On reçoit des amis le soir, etc… ». Il tire avec pudeur un grand « chapeau » à sa femme Nathalie pour « supporter ça ». « Si on inversait les rôles, je ne sais pas comment je réagirais. Je crois que ça me saoulerait ».
Porter le maillot tricolore vaut bien quelques sacrifices. « Cette sélection, c’est extraordinaire. Jamais je n’aurais cru ça ». Il a toujours du mal à analyser sa victoire surprise sur la SaintéLyon 2013. « Pendant la course, je me disais : « tu pourras dire, j’ai été en tête de la SaintéLyon ». Je pensais me faire rattraper. Au fil des kilomètres, j’avais les larmes qui me montaient aux yeux ». Un an et demi plus tard, il s’est donc « régalé » au stage de préparation du collectif France durant ce mois d’avril 2015. Mais confie avec humilité avoir « perdu un œil en voyant le niveau des Français. Surtout à vélo ». Tant mieux, parce qu’il aime aussi « ne pas gagner. Ça te remet en place. T’incite à te remettre au travail, pour progresser ». Il calme d’ailleurs les ardeurs de certains de ses proches qui le « voient déjà champion du monde ». Lui se dit qu’il fera sa course à sa manière « en essayant de partir dans les vingt, pour ne pas se griller ». « Je sais que ce n’est pas mon point fort d’aller très, très vite. Après, selon l’état de forme, je verrai si je peux faire les efforts pour remonter ». Comme lors de sa victoire aux Templiers. Pas question de changer de tactique.
De même, il devrait carburer aux bananes et brownies pendant l’effort. « Je sais que j’y ai droit pendant la course, j’en profite ». D’ici là, ceinture ! Le compte à rebours avant la Maxi-Race du Lac d’Annecy bien présent à son esprit, Benoît Cori rejoint sa camionnette garée le long de la Nive. Des odeurs de cuisine chatouillent les narines. Des premiers clients d’un restaurant sont attablés devant des assiettes appétissantes. « Ca donne envie », sourit-il. Mais pour la dernière ligne droite avant les Mondiaux, Nathalie a accepté de changer le régime alimentaire du couple. De ne plus faire de gâteaux au chocolat, « même si elle adore ça ». D’établir « des menus à l’avance ». « Ce soir, c’est gratin d’aubergines, sourit-il. Avec du fromage et de la béchamel ». Quand même !
Benoît Cori en bref
Né le 5 juillet 1982
Club : Running Club Noyellois
Membre du Team Mizuno
Palmarès principal
Vainqueur de la SaintéLyon 2013
Vainqueur de la Grande Course des Templiers 2014
Vainqueur du Gruissan Phoebus Trail 2015