Un prénom exotique et un nom de famille bien de chez nous (surtout si vous venez de Bretagne), Yosi Goasdoue est né en Ethiopie, il y a 25 ans, mais a grandi en France, près de Nantes (c’est presque la Bretagne) où il est venu à l’âge de deux ans chez ses parents adoptifs. C’est donc, sans surprise (j’avais quand même vu sa photo) un jeune homme au physique évoquant les coureurs des hauts-plateaux qui se présente à moi dans le café parisien où nous avons rendez-vous.
La conversation s’engage facilement: Yosi semble affable et le débit de paroles est fluide. De sa prime enfance éthiopienne, il n’a pas gardé de vrais souvenirs. C’est bien en France qu’il a appris à courir. Comme beaucoup, c’est par l’UNSS qu’il découvre les joies de la course à pied, des cross d’abords, et qu’il s’y découvre un certain talent.
Un junior prometteur
Il intègre ensuite le club d’athlétisme local, de la Chapelle-sur-Erdre, et progresse vite, sans tomber dans un excès d’entraînement. Les premiers résultats significatifs arrivent en cadet, où le jeune Yosi atteint les finales des championnats de France sur 3000 mètres. Mais c’est en junior qu’il se signale vraiment : le 5000 mètres lui convient bien et il y décroche, sous les couleurs de l’ASPTT Nantes, une première sélection internationale. Il terminera 13ème des championnats d’Europe disputés en Serbie et réalise cette année là 14mn37s sur la distance.
Il découvre là l’ambiance des courses internationales mais c’est peut-être surtout son goût pour le voyage, et moins à ce moment son engagement compétitif, qui se voit titiller: l’année suivante, Yosi se consacre à des voyages humanitaires qui lui font découvrir le monde sous un autre angle.
La course, alors, est un peu mise de côté mais l’athlète nantais, devenu étudiant en relations internationales trouve juste après un cadre parfait pour concilier ses soifs de savoir, de découverte et de course à pied : il part à l’aube de ses 20 ans étudier aux Etats-Unis, un pays où sport de haut-niveau et études supérieurs font très bon ménage.
Là-bas, dans son université de Boston puis dans le Kentucky, il découvre aussi une méthode d’entraînement différente : un volume bien plus important que ce à quoi il était habitué jusqu’à lors, et moins de séances de qualité. Il aligne les semaines à près de 140 kilomètres. Sa progression est rapide. “J’avais la caisse et les chronos sont vite descendus. Sur 5000 m, puis sur 10 000 m, où je réalise 29mn40s et me qualifie pour les championnats d’Europe Espoirs” raconte-il.
Mais ce changement de volume d’entraînement n’est pas sans conséquences plus néfastes : Yosi se blesse au genou juste avant les “Europes”, où il se contentera “au grand dam de la fédération qui avait payé mon billet”, précise-t-il, de visiter l’ancienne cité minière d’Ostrava, sans fouler la piste où Emile Zatopek, le légendaire tchèque, et plus près de nous Haile Gebreselassie, l’idôle de Yosi, ont établi des records du monde.
Grands voyages et purgatoire athlétique
Yosi ne se remettra pas si vite de ce forfait et cette blessure. Rentré au Kentucky, il doit passer de longues heures, pénibles, à s’entraîner dans la piscine: “Depuis, je déteste l’acqua-jogging, même si cette méthode permet de conserver un bon niveau de forme!” s’amuse t il. Heureusement, il n’y a pas que la course à pied dans la vie de l’étudiant américain et le nantais expatrié profite de ces derniers mois aux US pour faire de beaux voyages : la Jamaïque, pays des rastafaris, l’intéresse particulièrement. Il décroche aussi un master en relations internationales et un bachelor en sciences politiques. En 2013, il se relance tout de même sur le plan athlétique et établi son record personnel sur 5 000 m, en 14mn10s.
De retour en France, en juin 2013, Yosi Goasdoue entend donc se consacrer davantage à l’athlétisme et décide d’intégrer à Lille le groupe d’entraînement dirigé par Alain Lignier. Mais la sauce ne prend pas: “La discipline était un peu militaire, trop stricte pour moi. Nous faisions un gros travail de musculation, certes intéressant à long terme, mais que j’avais du mal à assimiler tout de suite, et le groupe était surtout axé 1500/3000 alors que je suis sans doute davantage un coureur de 5000/10000. Même si ce travail était intéressant et si je considère Alain Lignier comme un des meilleurs entraîneurs français, j’ai préféré repartir vers un nouvel équilibre.”
Après une saison 2014 tout de même décevante, Yosi le voyageur pose ses valises entre Paris, où il travaille d’abord dans un théâtre puis désormais à l’organisation de conférences dans un institut international, et Tours, où il est maintenant licencié au dynamique club de Free Run. La capitale, même si il sait que le bois de Vincennes va bientot lui paraître trop petit, lui convient bien. L’athlète cosmopolite qu’il est s’y sent en tous cas très bien et il a aussi trouvé en Olivier Gaillard un entraîneur compréhensif: « Il a bien compris mon rythme de vie, le cadre d’entraînement est moins rigide mais me motive davantage. J’étais blessé au genou, à nouveau, à la fin 2014 et j’ai repris en mars après une opération au genou. Mais je suis bien revenu. En août, nous sommes partis à Font Romeu et les bonnes séances se sont enchaînés. J’ai adoré l’endroit, l’ambiance, le fait que les athlètes présents soient ouverts à la rencontre et à l’échange, contrairement à d’autres endroits où j’avais pu m’entraîner, où règne un climat de suspicions généralisées et une grande méfiance entre les athlètes… “ ajoute le jeune homme, que l’on sent tout de même échaudé par certains comportements de la part d’athlètes et d’entraîneurs en vue. L’ombre du dopage plane un instant sur notre conversation.
Mais c’est vers ses propres performances (que l’on sent propres, justement!) que Yosi veut se concentrer: après cette session d’entraînement concluante, il se sent à l’automne pousser des ailes. Un premier semi-marathon couru à Lille, en compagnie de Yohan Durand, où il claque un convaincant 1h05mn. Quelques semaines plus tard, dans la chaleur et les bosses du parcours de Fort de France, il décroche donc son premier titre national sur une distance qu’il a donc vite appréciée. “J’aime les longues distances, les allures d’entraînement autour de 3 minutes au kilomètre. Je pense bien entendu, pour le futur, à monter sur marathon. C’est une distance qui devrait me convenir” déclare Yosi avec une flamme d’espoir et de passion dans les yeux.
Nouvelle motivation
Désormais, l’athlète compte faire de sa pratique sportive sa priorité. Quitte à mettre un peu de côté ses ambitions professionnelles pour quelques années: “J’ai compris qu’on peut difficilement concilier totalement les deux. Pour l’instant, mon contrat de 20 h à l’institut et ma jeune entreprise d’entraînement m’offrent du temps pour m’entraîner. Vivre totalement de la course, c’est difficile, presque impossible à l’heure actuelle en France, même en étant champion de France. Je pense donc me tourner vers un poste à mi-temps pour les années à venir, peut-être un contrat avec la ville de Tours, où je suis licencié…”
Car Yosi rêve de sélections internationales sur marathon, avec les championnats d’Europe 2018 et les Jeux de 2020 en ligne de mire, mais veut d’abord se donner encore un peu de temps pour franchir le pas du marathon: “Ma première expérience sera sans doute pour 2017. Cette année, je veux baisser mes chronos du 5000 m (moins de 14mn espéré) au semi (moins d’1h04mn) pour être plus solide pour aborder le marathon. Mon prochain rendez-vous sera le championnat de France du 10 000 m, le 27 avril 2016 à Charléty, où je vise une médaille” explique l’athlète, qui semble regretter tout de même le manque d’intérêt médiatique et la difficulté de trouver des sponsors quand on pratique la course sur route à son niveau, même si il est soutenu par son club, Free Run, Punch Power et par Garmin : “Je ne critique pas le trail, mais l’écart de traitement entre les traileurs et nous est flagrant. Les marques ne sponsorisent bientôt plus que les traileurs, je trouve ça assez injuste. Mais j’espère qu’avec la nouvelle génération d’athlètes français qui arrivent sur marathon, cela va un peu changer!”
Avec des talents et des personalités comme celles de Yosi, on peut l’espérer avec lui. Car le jeune homme sait s’exprimer, aussi bien sur la route qu’en dehors. De quoi sans doute mener à bien ses ambitions pour briller sur les 42,195 km qui lui tiennent à cœur, “c’est la distance des éthiopiens et je sens que je suis fait pour ça !” conclut il plein d’espoir.
Le palmarès de Yosi Goasdoué
2015
Victoire aux 10 km du Château de Vincennes
1er au Semi-Marathon de Lille (Record en 1h05mn54s)
Champion de France et Victorieux au Semi-Marathon de Fort de France (Martinique)
1er Français aux 10 km de Tours
Victoire au Cross International Carrington Louviers
Victoire au Cross de la Chantrerie (Nantes)
Records
1 500m : 3mn51s23
3 000m : 8mn17s
5 000m : 14mn10s
10 000 m : 29mn40s
10 km : 30mn27s en 2009
Semi-Marathon : 1h05mn54s