Lepape-info : Un titre européen, deux records du monde (sur 20 km et 50 km) mais aussi une blessure qui a compromis votre participation aux Championnats du monde, quel bilan tirez-vous de 2014-2015 ?
Yohann Diniz : Les records sont bien sur une grande satisfaction, même si je ne cours pas avec les temps en tête au départ de mes courses. La forme était au rendez-vous et les chronos ont suivi.
Concernant les blessures, il y a vraiment eu une poisse généralisée sur l’équipe de France d’athlétisme… Les championnats du monde ont été compromis mais bon, il valait mieux que ça arrive maintenant que pendant l’année olympique qui arrive.
Personnellement, mon corps a dit stop et il a fallu que je me fasse opérer. C’est une blessure que j’avais déjà connue en 2006 et j’avais réussi à marcher avec et à être champion d’Europe puis vice-champion du monde à Osaka (Japon, 2007) après mon opération.
Cette année je n’arrivais plus du tout à marcher et j’ai préféré faire le choix de me faire opérer en raison d’une douleur persistante au niveau du ligament inguinal (zone du pubis) pour pouvoir lancer ma préparation olympique dans la foulée.
Lepape-info : Comment expliquer cette avalanche de blessures qui a frappé l’équipe de France ?
Y.D : On avait vraiment un très bon niveau de forme aux Championnats d’Europe, comme en témoigne nos résultats, mais on savait aussi qu’il fallait encore élever ce niveau pour les Championnats du monde. La différence de niveau est quand même assez flagrante sur de nombreuses disciplines par rapport au niveau européen donc il faut pousser les entraînements plus loin. On est sans doute restés sur l’euphorie de Zurich (Suisse) et on n’a pas assez décroché entre ces deux échéances. Pour ma part, j’étais sur un nuage après mon record du monde et j’ai repris l’entrainement avec des chronos très élevés d’entrée de jeu. Quand je bats le record du monde des 20 km je ne m’y attends pas du tout mais ça marche alors je continu. Je ne m’écoute pas trop, tout va bien et puis le corps dit stop et « boum », la blessure arrive…
Lepape-info : Pour de nombreux observateurs, vous faisiez office de favori pour les Championnats du monde (Août 2015 à Pékin, Chine). La frustration de cette non-participation est-elle digérée ?
Y.D : J’avais déjà 2016 et les Jeux de Rio (Brésil) en ligne de mire et ces championnats du monde devaient constituer une « étape » sur cette route. Je pense vraiment que le titre de champion du monde me tendait les bras donc je suis forcément déçu de ne pas avoir pu participer. J’avais déjà battu à Zurich le russe Matej Toth, qui gagne la course à et l’adversité n’était pas très importante donc forcément on se dit qu’on aurait pu jouer le titre… Après c’était un choix à faire pour mieux rebondir et repartir plus frais. L’objectif principal c’est vraiment les Jeux Olympiques.
Lepape-info : Votre préparation est donc déjà totalement tournée vers cette échéance ?
Y.D : J’essaye vraiment de m’entraîner de la façon la plus complète. Je fais beaucoup de vélo, de natation, de musculation et bien sûr un peu de marche quand même ! J’ai l’avantage d’être déjà qualifié pour Rio sur le 50 km et j’irais chercher ma qualification sur le 20 km aux Championnats de France en mars 2016 à Saint-Laurent sur Loire. Les minimas sont largement accessibles pour moi et ça me permet de me préparer sans trop de pression. Je n’ai pas besoin de m’imposer de trop grosses charges de travail d’ici là et je rentrerais dans une phase de préparation un peu plus intense après les Championnats de France.
Lepape-info : Le monde de l’athlétisme est touché par de nombreux scandales de dopage depuis quelques mois (fédération russe entre autres). Quel regard porte-t-on sur ces affaires en temps qu’athlète de haut niveau ?
Y.D : Personnellement, c’est une demi-surprise concernant les russes. Ce qui est plus surprenant, c’est tout ce qu’on a découvert derrière concernant les dirigeants comme Lamine Diak par exemple, qui montre un vrai problème de fond dans notre sport. Concernant la Russie c’est vraiment complexe comme système, on est sur un dopage quasi étatique. Il faut se mettre à la place des athlètes et bien sûr ils doivent être suspendus mais c’est vraiment les dirigeants qui doivent être le plus durement sanctionnés. J’en veux plus à leurs entraîneurs qui mettent ça en place dès le plus jeune âge des athlètes. Et je pense aussi que certains athlètes russes comme Sergeï Shubenkov (110 m haies) ou Anna Chicherova (saut en hauteur) n’ont rien à se reprocher et qu’ils sont mis dans le même panier que les autres et ça n’est pas normal.
Mais c’est vraiment une bonne chose de mettre un coup de pied dans la fourmilière. J’espère que ça va permettre de remettre les choses à plat et de repartir sur de bonnes bases. Après, il ne faut pas non plus se leurrer, pour moi la majorité des athlètes sont « propres ». Je ne peux pas parler pour tous les pays mais en France, avec le laboratoire de Chatenay-Malabry, on est en avance dans ce domaine et je pense vraiment que la lutte est efficace.
Lepape-info : Les déclarations d’intentions sont nombreuses mais lorsque l’on voit des athlètes suspendus revenir dans les stades et faire refaire des performances, on peut se demander si tout cela n’est pas vain…
Y.D : Quand tu triches tu dois être suspendu. C’est aussi simple que ça à mes yeux. Il n’y a pas de passe-droit ou de demi-mesure et tous les tricheurs doivent être exclus de la même façon. Le dopage c’est forcément quelque chose de volontaire, le bras tu le tends pour la piqûre, tu ne peux pas dire que tu ne savais pas ! Après ça n’est pas à moi de décider si les sanctions doivent être à vie ou temporaires mais les athlètes dopés ne devraient plus avoir le droit de porter les couleurs de leur pays dans des compétions internationales, ça c’est sûr. Il n’y a pas de seconde chance ! La triche pour moi c’est inadmissible et je veux pouvoir me regarder en face dans une glace quand je raccrocherais mes chaussures. Même quand je joue avec mes enfants et qu’ils essayent de tricher ça me met hors de moi !
Interview réalisée dans le cadre d’un entrainement organisée par Etixx, partenaire de Yohann Diniz.