Lepape-info : Yann, comment avez-vous vécu de l’intérieur cette finale du 10 000 m à Munich ?
Yann Schrub : Ma première émotion fut quand je suis rentré dans le stade olympique, c’était assez grandiose il y avait 55 000 spectateurs. Quand on a l’habitude de courir dans des petits stades ce n’est pas la même chose, je le savais et j’avais essayé toute la semaine avant la finale d’aller régulièrement au stade pour m’imprégner de l’ambiance et d’aller au bord de la piste pour me rendre compte de tout cela d’en bas.
J’ai préparé mentalement seul dans ma chambre cet aspect de la course, faire abstraction de l’atmosphère. Quand vous n’êtes pas prêt vous pouvez vite perdre pied et cela est arrivé à plein d’athlètes, je ne voulais absolument pas passer à côté de ma finale à cause de cela. Courir dans un stade comme celui de Munich c’est mythique et aussi historique avec le souvenir des Jeux olympiques 1972. C’était le dernier jour de compétition, le dimanche soir à 20h, je savais que tous les ingrédients étaient réunis pour qu’il y ait du monde dans le stade mais aussi devant la télévision.
Yann Schrub : « J’ai savouré le tour d’honneur au point de me faire engueuler par les organisateurs parce que je prenais trop mon temps, c’était extraordinaire mes proches étaient placés à 3 endroits différents, je me suis arrêté à chaque fois pour les serrer dans mes bras. Jusqu’à présent pour moi les tours d’honneurs avec le drapeau sur les épaules c’était seulement à la télévision que cela se passait et là c’était moi ! »
Lepape-info : La course en elle-même fut intense et particulière avec ce beau dénouement pour vous
Y.S : Pendant la course j’ai eu de la chance parce qu’avec 25 tours de piste vous avez le temps de savourer les choses même si vous êtes focus sur votre objectif, vous avez plus de souvenirs que si vous faites un 800 m. Je visais un TOP 8, on s’était dit avec mes coaches que tant qu’il y’en avait 7 qui partent devant, il fallait que je suive peu importe l’allure. À chaque fois qu’il y avait des attaques j’essayais de tamponner en étant derrière le peloton pour essayer de garder une allure la plus constante possible. La finale du 10 000 m de Munich était la course de l’année préparée depuis des mois. Les jambes étaient présentes, j’étais en forme, je le savais, mes dernières séances d’entraînement étaient pleinement réussies mais faire mieux que TOP 8 ou TOP 6 c’était inespéré. Au fur et à mesure de la course j’ai grapillé les places, dès qu’il y avait une attaque, je répondais à chaque fois. À deux tours de l’arrivée, nous étions 5 avec entre autre Jimmy Gressier et le Norvégien Mezngi qui part tout seul. Je regarde l’écran et je me dis alors que le TOP 8 est déjà acquis et que si je termine 5ème c’est top. J’ai encore les jambes pour répondre puis vient la dernière attaque de l’Italien Crippa à 300 m de l’arrivée, je réponds peut-être un peu tard et c’est je pense l’erreur qui me coute la médaille d’argent. Je me suis trop focalisé sur Jimmy qui était pour moi l’homme fort de la course. À la fin quand je lance mon attaque heureusement pour moi que Jimmy ne m’a pas suivi, c’est ce qui me permet d’obtenir la médaille de bronze.
Lepape-info : Une fois la ligne d’arrivée franchie, vous êtes médaillé de bronze européen, que ressentez-vous ?
Y.S : Je me sens très perturbé, je comprenais pas trop ce qui m’arrivait, je ne réalisais pas si c’était moi ou pas le médaillé de bronze. C’était une sensation très spéciale, quand on ne se prépare pas mentalement à un podium international et qu’on le fait c’est bizarre, d’autant qu’en demi-fond il n’y avait que Rénelle Lamote (argent sur 800 m) et moi qui repartaient de Munich avec une médaille. J’étais vraiment dans l’ombre pendant tout le championnat, on ne parlait pas de moi, on parlait de Jimmy Gressier et Yoann Kowal et du coup la surprise fut immense. J’ai savouré le tour d’honneur au point de me faire engueuler par les organisateurs parce que je prenais trop mon temps, c’était extraordinaire mes proches étaient placés à 3 endroits différents, je me suis arrêté à chaque fois pour les serrer dans mes bras. Jusqu’à présent pour moi les tours d’honneurs avec le drapeau sur les épaules c’était seulement à la télévision que cela se passait et là c’était moi ! C’était vraiment agréable. Ensuite il y’a eu toute la médiatisation, une nouvelle expérience j’étais comme un petit enfant, un peu perdu.
Yann Schrub : « C’est peut-être une nouvelle carrière qui va commencer, je vais certainement changer des choses au niveau de mon emploi du temps, je termine mes études dans un an, il y a de grandes chances que le projet JO 2024 se mette en place rapidement et que je puisse me préparer beaucoup mieux que ce que j’ai fait jusqu’à présent. »
Lepape-info : Dans quel état d’esprit êtes-vous quelques jours après votre médaille de bronze ?
Y.S : C’est difficile à gérer je n’ai pas l’habitude, j’ai beaucoup été sollicité, je vis une période extraordinaire de ma vie mais je suis très fatigué, je n’arrive pas à trouver le sommeil, je n’ai pas trop faim, tout mon corps est perturbé par cet évènement c’est très spécial. Tous les souvenirs, les photos, les vidéos me resteront. J’ai pu profiter du moment présent sans prendre de photos car il y avait des journalistes, photographes et proches qui l’ont fait pour moi. Je vais les regarder régulièrement pour ne pas oublier ce moment. Ma médaille était une surprise, maintenant on va m’attendre c’est ce que je vais devoir travailler avec mes coaches pour gérer au mieux cette pression, il faut qu’elle devienne positive et pas me dire à chaque fois que je suis le favori, c’est un nouvel élément à intégrer. Jusqu’à présent je l’ai toujours bien fait on travaille très bien avec mes entraîneurs Dominique Kraemer et Anthony Notebaert, il n’y a pas de raison que cela ne marche pas dans le futur. Avoir cette médaille surprise, c’est le plus beau moment de sport dans ma carrière. Même si je fais d’autres résultats, même si c’est compliqué de faire mieux qu’une médaille de bronze aux championnats d’Europe, à moins que cela soit un titre je ne pense pas vivre d’autres si beaux moments que ceux que j’ai vécu.
Lepape-info : Ce 10 000 m à Munich restera forcément pour vous une course référence
Y.S : C’est clairement un déclic mental parce que j’ai toujours eu ce complexe d’infériorité. Comme je m’entraînais moins, je me disais dans ma tête que j’étais moins fort et je me rends compte que ce n’est pas forcément le cas en athlétisme, il n’y a pas de règle. Bien sur si je m’entraînais plus il y aurait plus de chances que je sois plus fort que maintenant. Actuellement je m’entraîne moins mais je fais énormément de qualité, je joue beaucoup plus sur la récupération et sur l’intensité des séances. Maintenant il faut passer l’étape supérieure au niveau psychologique et me dire de ne pas avoir peur sans pour autant se fixer d’objectifs trop élevés. Il faut rester lucide, avoir confiance en soi, j’ai prouvé que je pouvais le faire mais il va falloir rester raisonnable par rapport aux objectifs. C’est peut-être une nouvelle carrière qui va commencer, je vais certainement changer des choses au niveau de mon emploi du temps, je termine mes études dans un an, il y a de grandes chances que le projet JO 2024 se mette en place rapidement et que je puisse me préparer beaucoup mieux que ce que j’ai fait jusqu’à présent.
Yann Schrub : « Après avoir fait le bilan on fixera le programme mais à priori le prochain rendez-vous devrait être en décembre les Championnats d’Europe de cross à Turin (Italie). On a un titre à défendre avec l’équipe de France. »
Lepape-info : Quelles sont les prochaines échéances, compétitions en prévision ?
Y.S : Après une grande compétition comme celle-ci on peut se dire allez on profite de ma forme pour faire un chrono et faire de gros meetings. Le seul soucis c’est que psychologiquement quand on vit des choses comme cela on est plus du tout dans la course à pied, on est sur son petit nuage. Le fait de refaire des courses derrière vous fait redescendre trop vite de votre nuage. En même temps il faut redescendre rapidement, une médaille ce n’est pas une finalité en soi, il ne faut pas avoir la grosse tête, dans une carrière on a des hauts et des bas et parfois on peut redescendre encore plus bas qu’on l’imagine. Je n’ai pas de compétition de prévue, on va refaire le point avec mes coaches d’ici une à deux semaines, plus au calme. Ils ont beaucoup donné pour mener tout au mieux. Ce n’est pas facile de gérer mes séances avec mes études de médecine, de caler des entraînements de qualité. Parfois je suis fatigué, j’ai un peu mal, je veux les laisser souffler aussi un peu. Après avoir fait le bilan on fixera le programme mais à priori le prochain rendez-vous devrait être en décembre les Championnats d’Europe de cross à Turin (Italie). On a un titre à défendre avec l’équipe de France.
Lepape-info : Le cross vous tient particulièrement à cœur
Y.S : Pour moi le cross n’est pas bien médiatisé mais est très important, c’est l’école de la vie. C’est plus important que la piste, c’est par là que tous les jeunes en UNSS sont passés. Quand on parle de cross à des gamins, tout le monde sait ce que cela représente, c’est la course en nature, des combats d’homme à homme, on ne regarde pas les chronos c’est le sport par excellence, pour toutes ces raisons je pense refaire les Europe de cross, on verra avec mes coaches.
Yann Schrub : « C’était l’une des plus belles semaines de ma vie sur un plan sportif et au niveau de l’expérience humaine. »
Lepape-info : Cette année, vous avez réalisé un véritable tour de force entre vos études en 8ème année de médecine et votre saison d’athlète avec cette médaille européenne.
Y.S : Certains disent que ma médaille est la plus belle des 9 médailles de l’équipe de France, je dirais plutôt que c’est la plus inattendue. Cela fait plaisir, elle arrive le dernier jour quasiment en clôture des championnats. J’en discutais avec Pascal Martinot-Lagarde (vice champion d’Europe du 110 m haies) qui me disait qu’il avait rarement vu autant de convivialité au sein de l’équipe de France. Nous avons été ensemble pendant 9 jours, on a pu créer des liens entre les athlètes. C’est un tout avec l’ambiance qui a fait aussi que je suis allé chercher une médaille mais il ne fait pas en faire trop, cela reste une médaille de bronze, cela reste un championnat. L’important est que je puisse confirmer l’année prochaine et ce ne sera pas facile. Je pense que si je reste celui que j’étais avant cette médaille, cela se passera bien.
Lepape-info : Que retenez-vous de cette expérience aux championnats d’Europe ?
Y.S : C’était l’une des plus belles semaines de ma vie sur un plan sportif et au niveau de l’expérience humaine. À Munich c’était des mini JO, pendant la semaine j’ai pris ma trottinette et je suis allé voir les autres sports, j’allais soutenir les sportifs Français que je ne connaissais pas mais que j’avais plaisir à regarder, à encourager que ce soit au volley, à l’escalade, au triathlon, au VTT. J’avais mon copain avec le fameux drapeau Sarreguemines que l’on voit partout dans les stades ou ailleurs avec qui je suis allé voir des évènements, le fait de profiter de tout cela m’a permis de me mettre dans ma course que le vendredi soit 48h avant la finale, j’ai pu profiter pleinement pendant plusieurs jours du reste avant de ces Championnats vraiment festifs. Les Allemands ont très bien organisé l’évènement, il y avait du monde partout, beaucoup d’animations. J’en garde un très très bon souvenir, j’espère revivre cela un jour, les Allemands ont placé la barre tellement haut que cela sera dur de faire mieux.