Rien ne passe vraiment inaperçu chez lui. Son physique, longs cheveux blonds bouclés, regard bleu perçant. Son caractère bien trempé, « un peu impulsif ». Son envie de vivre sa vie à pleines dents, lui qui revendique « ne jamais (se) priver de boire une bière ou du vin ». Sa proximité avec les coureurs qui n’ont pas sa notoriété, comme lorsqu’il raconte qu’en allant voir sa fille de 14 ans qui habite en banlieue parisienne, il a pris le temps de discuter dans les transports en commun avec une coureuse qui l’avait reconnu. Parce qu’il aime le « contact » et qu’il n’était « pas à quinze minutes près ».
Christophe Le Saux est un personnage. Singulier. Atypique. Hors norme. La liste des qualificatifs pourrait être aussi longue que son planning de courses pour 2014. Le Vibram Hong Kong 100 (dont il a terminé 15ème), le 50 km du Gruissan Phoebus Trail, la Transgrancanaria, le trail du Ventoux, le Marathon des Sables, l’Ultra Trail Mt Fuji, deux épreuves qu’il organise à la Dominique et au Pérou, le Lavaredo Ultra-trail, l’Ultra Trail di Corsica, l’UTMB, les championnats de France de trail, la Diagonale des Fous, et la Transmartinique. Pour le commun des runners, il y aurait de quoi en avoir les jambes coupées avant d’avoir porté le moindre dossard.
En 2013, le jaguar – comme on le surnomme parfois – a couru entre 2 000 et 2 500 kilomètres… uniquement en compétition. Pour l’entraînement, on en compte plus, mais c’est deux fois par jour. Sans coupure, sauf impératif de déplacement. « Mais si vraiment j’ai mal aux jambes, je fais du vélo, ou je vais à la piscine ».
On se demande comment il fait pour ne pas avoir plus de pépins physiques avec un tel rythme de course. « Je n’ai pas de secrets. Mais par exemple, j’alterne beaucoup les paires de chaussures. Je n’utilise pas les mêmes le matin et le soir ».
Depuis l’école d’athlétisme, Christophe Le Saux se souvient avoir toujours couru. Mais le virage vers l’ultra, il l’a pris à son arrivée en Guyane, en 2003. « J’avais plus de temps pour faire du sport. Et puis, un ami m’a raconté son expérience sur le premier UTMB. Ca m’a fasciné : le nombre de kilomètres, les conditions météorologiques qui étaient catastrophiques cette année-là, et le côté aventure, le fait de pouvoir aller sur des sentiers et chemins tout en ayant une sécurité grâce à l’organisation. J’étais déjà dans cet esprit-là, je partais avec mon sac à dos, etc… Mais là, c’était l’occasion de le faire en plus « light ». J’ai trouvé que c’était une super idée ».
La Guyane, il l’a découverte après une mutation par l’armée, qu’il avait intégrée très jeune. « J’avais 18 ans. C’était un jeu pour moi. On était une bande de copains, des gamins ». Après des missions dans les pays de l’Est, et en Afrique notamment, il a finalement décidé de quitter l’institution. Mais a poursuivi son chemin en Guyane, dans une clinique privée. « Je travaillais douze heures par jour, ou plutôt par nuit. J’étais chez moi vers 7h30, et partais tout de suite faire du sport. Je dormais peu, mais j’aimais bien ce rythme. Il faut juste parvenir à conserver une vie sociale ».
C’est là bas qu’il a vécu sa première expérience d’organisation de course, en 2009. Un type de mission qui lui convient bien et qu’il continue de renouveler régulièrement, même depuis qu’il a rejoint la métropole en 2011, en emmenant des groupes – restreints – sur des circuits au Pérou, aux Caraïbes,… « Mon objectif est simple : leur faire plaisir. Je suis hyper content quand ils sont heureux ». Des séjours sportifs, bien sûr, mais aussi touristiques. « J’étais frustré, quand je faisais des courses, d’être dans le pays uniquement pour courir ». Alors il fait en sorte que les participants puissent repartir avec des images et souvenirs plein les yeux, et que l’événement fasse « travailler des gens sur place ».
Reste que cette activité est chronophage. Il le martèle : « Les gens ne s’imaginent pas tout ce que gèrent les organisateurs. Les dossiers en préfecture, les centaines de mails, les réponses à apporter à n’importe quelle heure de la journée, etc… ».
Aujourd’hui, il n’exerce plus son métier d’infirmier. Mais il vient de rejoindre l’équipe Waa, avec laquelle il travaille au développement du matériel, pour « chercher à proposer des produits compétitifs, pas trop chers, de bonne qualité, et multifonctions ». Et puis, surtout, il court. Beaucoup. Pas vraiment de métier classique, mais celui qui a terminé neuvième et premier Français du Marathon des Sables 2013, insiste : « Tout le monde croit que dans ces moments-là, c’est du pur plaisir. Bien sûr qu’il y a du plaisir, parce que c’est comme ça que je vois les choses pour le travail : il faut y aller avec plaisir. Mais quand même… Je fais 30 heures de sport par semaine ». On ne lui prêtera pas l’envie de se plaindre. Juste celle de vouloir « expliquer » à quoi ressemble son emploi du temps.
Un agenda bien rempli mais essentiel à son « équilibre personnel ». L’an dernier, Christophe Le Saux avait fait l’impasse sur l’UTMB en vue du Tor des Géants (où il a terminé 2ème en 2011 et 3ème en 2012). Au final : un abandon au 160ème km sur blessure, une grosse frustration, et un enseignement : « Je ne ferai plus autant de sacrifices pour tout miser sur une course ». Pourtant la question se pose : et s’il sélectionnait davantage ses épreuves ? S’il allégeait son programme pour être plus performant ? « Ce n’est pas moi, tranche-t-il. Et puis, de toute façon, je n’ai pas le potentiel pour rivaliser avec les premiers, les jeunes. Peut-être sur un Tor des Géants, mais pas sur un 160 km ».
Il n’a peut-être pas les jambes pour monter en haut des podiums, mais il reste « un compétiteur » avec une « grande force mentale », qui ne se « prend pas la tête », parce que « le stress fait perdre énormément d’énergie ». Fort de son expérience, il sait que sur des épreuves aussi longues que celles auxquelles il participe, « il y a des hauts et des bas. Il faut savoir s’arrêter, se reposer, manger. Et dans les moments d’euphorie, ne pas y aller trop fort ». Il avoue aussi avoir « vécu des expériences incroyables sur des ultras, des hallucinations, comme si j’avais pris de la drogue. De belles rencontres, aussi ». Et de se souvenir d’un bout de chemin partagé avec un chien sur le Tor des Géants, alors qu’il titubait et luttait pour ne pas sombrer avant le prochain ravitaillement. Il raconte aussi avoir eu peur, parfois, justement sur le Tor. Mais il se nourrit de cette adrénaline, et a encore les yeux qui s’illuminent quand il parle de sa passion. Parce que celui qui songe pour l’avenir à la Western States, au Leadville Trail 100 Run, au Comrades Marathon ou encore au Spartathlon, a gardé un peu de son âme d’enfant. Cet enfant qui, ses parents n’ont cessé de le lui dire, « ne tenait pas en place ». On l’aurait parié.
1 réaction à cet article
cabigliera
Très bel article qui résume bien ce grand petit bonhomme au cœur énorme…