Une nouvelle génération de pointes, prolongement du travail réalisé par Nike sur route, comprenant à nouveau mousse et plaque de carbone, bouleverse le livre des records, mais jusqu’à présent, personne en dehors des ingénieurs de Nike ne connait son fonctionnement exact, la marge d’économie acquise et si les entreprises rivales peuvent égaler l’avance de Nike.
Alors que les Vaporfly originels ont été commercialisé sur la base de leur avantage de performance soutenu par la science et même par le marketing (Vaporfly 4%), les nouvelles super pointes n’ont été accompagnées d’aucune affirmation spécifique sur leurs apports. En réalité cela est bien plus complexe que sur marathon.
Sur marathon, les besoins physiologiques généraux sont relativement communs à chaque individu à haut-niveau. Certes chacun aura ses propres spécificités, ne serait-ce que dans sa biomécanique de course plus ou moins avantagées par ses chaussures, mais les principaux facteurs de performance resteront toujours la VO2max, la vitesse au seuil et donc l’économie de course.
Sur piste cela est plus multifactorielle. La part des filières anaérobies sera beaucoup plus importante à fait que diminueront les distances. Viendront alors s’ajouter des dimensions musculaires, de pied et de réserves de vitesse beaucoup plus impactantes sur le résultat terminal.
Mais une nouvelle prépublication (c’est-à-dire un article universitaire qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen par ses pairs), d’un groupe de l’Université du Massachusetts dirigé par Wouter Hoogkamer et Laura Healey, tente d’expliquer comment les super pointes pourraient fonctionner et quels en sont les composants clés.
Les données anecdotiques
Si vous suivez tous les épisodes que nous avons pu écrire sur les chaussures Nike, le nom de Hoogkamer et de ses collègues du groupe de recherche de Rodger Kram à l’Université du Colorado doivent commencés à vous être communs car ils sont les leaders de la recherche sur le sujet.
C’est lui et son équipe qui avaient réalisé l’étude originel montrant que la Vaporfly de Nike était en moyenne 4% plus économique que ses chaussures rivales. Mais les tests qu’il ont pu utiliser pour la Vaporfly ne fonctionnent qu’à des vitesses de course sous-maximales où sera tout simplement mesuré la consommation énergétique à des allures où la filière aérobie reste prédominante.
À partir du moment où l’on sait que les athlètes courront sur 10 000 m légèrement plus vite que le seuil anaérobie et avec plus de changements de rythmes cela devient donc caduque et d’autant plus sur 5 000 m, 3000 m steeple, 1500 m et 800m.
Mais preuve est de constater que leur apparition sur piste en 2019 a eu autant d’impact sur la route avec les records du monde hommes et femmes sur 5 000 et 10 000 mètres, le mile féminin et le 1 500 m en salle, et le mile en salle et 1 500 m pour les hommes.
D’abord réservées à quelques élites triés sur le volet ce qui avait décrié la chronique aux mondiaux de Doha comme 3 ans plus tôt à Rio sur Marathon avec l’impression pour beaucoup d’athlètes de ne plus savoir si c’était leurs adversaires ou les chaussures qui venaient de les battre.
Depuis elles se sont universalisées par le commerce – ce qui conserve l’inégalité pour les quelques athlètes sous contrat d’image – les records personnels sont tombés par dizaine, il suffit d’ouvrir n’importe quel bilan français sur demi-fond hommes ou femmes pour constater le nombre hallucinant de « RP ».
Une nouvelle fois quelle part pour l’athlète et son travail Vs la technologie ? D’autant plus frustrant à l’échelle nationale qu’il s’agit de nombreux jeunes athlètes qui pour beaucoup sont certainement tout simplement en train de progresser.
Il y a bien quelques brèves arguments supplémentaires d’explications. La technologie Wavelight de lièvre lumineux a sans aucun doute facilité le pacing, mais seulement pour quelques tentatives mondiales sur 5 000 m-10 000 m.
C’est évidemment ajouté la pandémie, qui certes a engendré une période compliquée mais a aussi imposé de longues périodes d’entraînement ininterrompu de moins en moins possibles à haut-niveau.
Mais la plupart pour ne pas dire tous les observateurs sont convaincus que les nouvelles pointes offrent un gain de temps significatif. Il est difficile d’imaginer Reebok et Brooks laisser leurs athlètes courir en Nike lors des essais olympiques s’ils n’étaient pas convaincus d’un effet réel.
Quels ingrédients ?
Les super pointes, selon la définition de Hoogkamer, « combinent des mousses légères, amortissantes et renvoyant l’énergie emmagasinée (et des capsules d’air) avec une plaque rigide (nylon/PEBA/fibre de carbone) ».
Ces deux ingrédients – la mousse et la plaque – sont également les caractéristiques principales des chaussures de marathon Vaporfly et comparables, mais il existe quelques différences. Selon les règles actuelles de World Athletics, les semelles des chaussures de route peuvent mesurer jusqu’à 40 millimètres d’épaisseur ; les pointes de piste sur 800 mètres et plus ne peuvent avoir qu’une épaisseur de 25 millimètres.
Lorsque la Vaporfly original a été introduite, l’attention s’est concentrée sur la plaque incurvée en fibre de carbone, dont beaucoup pensaient qu’elle fonctionnait comme un ressort. Mais les recherches ultérieures ont principalement démystifié cette notion.
Une autre étude à venir de Healey et Hoogkamer a testé des coureurs dans des Vaporflys réguliers et des Vaporflys avec six coupes parallèles à travers la plaque de carbone pour éliminer toute connexion entre l’arrière-pied et l’avant-pied. Étonnamment, l’économie de course n’a pratiquement pas été affectée par la découpe de la plaque.
La plaque fait probablement quelque chose, mais la simple image d’une chaussure à ressort ne semble pas expliquer ses performances.
Les chercheurs en biomécanique étudient les plaques en fibre de carbone depuis plusieurs décennies, et ils ont tendance à considérer les plaques comme des leviers ou des dispositifs de renforcement, plutôt que des ressorts. Il existe de solides preuves que, dans les bonnes conditions, une plaque rigide économise surtout une partie de l’énergie que nous perdons en pliant les gros orteils. Mais divers éléments de preuve, y compris les Vaporfly sciés et le fait que les pointes ont toujours eu une plaque rigide, souvent en carbone, suggèrent que la plaque rigide de carbone n’est pas l’ingrédient unique qui les rend si exceptionnelles.
Au lieu de cela, le changement le plus évident entre les anciennes et les nouvelles pointes est l’ajout d’une couche de mousse de rembourrage lorsque depuis 20 ans, chaque modèle visait à être toujours plus rigide et épuré.
Les nouvelles mousses, qui comprennent des matériaux tels que le PEBA (polyéther bloc amide), le TPU (polyuréthane thermoplastique) et divers autres mélanges, diffèrent des matériaux de semelle intercalaire traditionnels de trois manières principales : elles sont plus légères, plus compressibles et plus résistantes, ce qui signifie qu’elles rebondissent après avoir été comprimées, renvoyant une grande partie de l’énergie utilisée à la pause du pied pour les comprimer.
Les anciennes chaussures faisaient déjà la même chose : les nouvelles chaussures le font grandement mieux ! Les semelles intercalaires traditionnelles en EVA rendent moins de 70% de l’énergie emmagasinée, tandis que les meilleures nouvelles mousses en restituent plus de 85%. C’est donc 15 % d’énergie mécanique mieux restituée sans alourdir la chaussure !
Une différence plus subtile dans les super pointes est leur géométrie. En plus d’un talon plus épais, elles ont un rocker très prononcé, ou orteil retroussé. D’autre part nous savons que Nike, comme sur les Vaporfly joue d’un « effet de bascule », dans lequel le fait de dérouler son avant-pied sur la pointe incurvée de la plaque de carbone facilite la propulsion vers l’avant tout en économisant le travail musculaire des pieds et mollets.
Les preuves scientifiques
Les chaussures de route ont été testées sur la base de l’économie de course, qui est donc une mesure de la quantité d’énergie que vous consommez pour courir à une vitesse donnée. Vous pouvez estimer la consommation d’énergie en mesurant la quantité d’oxygène et de dioxyde de carbone qu’un coureur inspire et expire.
Comme nous l’avons vu plus haut, il devient très compliqué de mesurer l’apport d’une chaussure pour la masse, même élites devant l’étendue des facteurs de performances à fait que la vitesse de course augmente du 10 000m vers le 800m, des caractéristiques de chaque sportif, auquel il faudra ajouter des allures de courses moins linéaires que sur marathon.
Il serait possible de les tester à pleine vitesse, mais même le 800 ne se court pas à fond. Ou alors lancer des athlètes dans des séries de contre la montre, mais compliqué à faire en année Olympique avec des élites et évidemment moins fiables que de simplement additionner des allures linaires « faciles » et sur un tapis de course à des marathoniens donc qui demanderaient un nombre important de tests et contre-tests. Aussi, l’effet placebo serait certainement très fort en ne testant que par le chrono et non en couplant avec des mesures physiologiques et psychologiques.
Alors l’utilisation de big data comme l’excellente analyse du New York Times des données Vaporfly sur Strava en 2018 pourrait également amener du grain à moudre, surtout sur une estimation du pourcentage d’augmentation des performances avec les nouvelles technologies.
Mais cela n’aurait ici pas beaucoup de sens car avec moins de datas que sur la route, des tactiques de courses influençant plus le chrono que sur route, la pandémie ayant impactée ces 2 dernières saisons et surtout il est certain pour tout ce que demandent la course sur piste que chaque athlète n’en bénéficie pas de la même façon.
Assez logiquement quelqu’un qui aurait déjà beaucoup de pied, ce qui sera un facteur de performance plus fort que sur la route, devrait en tirer moins profit qu’un profil avec moins de qualités athlétiques mais une plus grosse caisse.
Tokyo c’est parti !
Jusqu’à présent, les deux modèles de super pointes de Nike ont dominé les chronos : l’Air Zoom Victory, avec une plaque en fibre de carbone et une mousse PEBA ; et la ZoomX Dragonfly, avec plaque PEBA et mousse PEBA.
Elles ont été aux pieds de la plupart des nouvelles/nouveaux recordwomans/recordmans. La FuelCell MD-X de New Balance, avec une plaque en fibre de carbone et une mousse TPU, a également fait tourner les têtes depuis sa première apparition aux Championnats du monde 2019 et peut-être encore plus fortement lorsque Elinor Purrier St Pierre, Cory McGee et Heather MacLean ont trusté les trois premières places du 1 500 mètres des derniers trials américains avec 3 PB pour chacune en finale.
D’autres sociétés comme Adidas, Asics, Brooks, Hoka, Saucony et Puma ont désormais toutes des modèles comparables sur le marché ou en prototypes. Il est assez difficile de savoir qui porte quelle chaussure et lesquelles sont réellement sur le marché, et encore moins celles qui fonctionnent réellement comme annoncé.
Cela signifie que les chaussures seront un sous-texte inévitable pendant que nous regarderons les courses à Tokyo : nous regarderons l’écran en nous demandant « Qu’est-ce que portait l’athlète en quatrième position ? Aurait-il dû être sur le podium ? Une chance, nous ne devrions pas nous retrouver dans la situation de Doha ou par exemple Alexis Miellet, premier non qualifié à la finale mondiale du 1500m n’avait pas de « super » pointes aux pieds à l’inverse de ses concurrents.
Malgré tout, encore plus que sur route, ne croyez pas que chaque athlète en tira le même avantage et retranchera X temps à ses records « grâce » aux pointes. Déjà sur la route, maintenant que d’autres équipementiers se sont emparés du sujets, les tests sur des élites ont pu montrer que comme pour les modèles classiques que chacun a des chaussures avec lesquelles il est plus ou moins efficace.
D’une part il faut réussir à appréhender le changement biomécanique imposé par les chaussures. Et tout est dit dans la phrase précédente, « l’aide » bioméca aura nécessairement plus d’intérêts à certains profils qu’à d’autres.
Mais elles sont là, World athletics n’a pas légiféré assez vite dans son nouveau monde de spectacle, mais cela aurait pu être pire. Si les Jeux Olympiques avaient eu lieu l’été dernier, comme prévu, le terrain de jeu aurait été considérablement faussé, presque comme une répétition de 2016, mais affectant beaucoup plus de sportives et sportifs encore. L’année de retard a atténué la crise de l’offre et a permis à la plupart des autres entreprises d’entrer dans le jeu. Ceux qui n’ont pas encore rattrapé leur retard laissent généralement leurs athlètes courir dans les chaussures de leurs rivaux.
Assez logiquement tous les protagonistes de Tokyo auront des pointes de nouvelles technologies au pied et c’est normal de vouloir être sur un pied d’égalité avec ses adversaires, d’autant plus sur la compétition la plus importante d’une carrière. Sans doute, Nike ou d’autre réserverons un dernier prototype à leurs athlètes stars, mais la différence si elle existe sera plus ténu qu’à Doha où quelques athlètes avaient droit à la technologie et pas les autres.
World Athletics ne pouvant plus revenir en arrière à l’avenir, il faut maintenant se faire à l’idée que cette technologie est devenue universelle chez les élites et le devient de plus en plus chez les licenciés, bien que leurs prix montrent à nouveau la force du business de Nike : des chaussures haut de gamme très chers pour les compétiteurs et tout le reste du packetage pour les suiveurs qui n’auront vu que du Nike pendant une Olympiade.
A Tokyo, réapprenons à nous concentrer sur les duels de femme à femme et d’homme à homme. Les chronos se calmeront dans quelques années lorsque la technologie n’aura plus le dessus sur « l’ancien temps » et si certains sont battus sans comparaison possible avec ce dernier, il faut simplement oublier que l’athlétisme est universel dans le temps et sur les continents et pour les chronos il faudra parler d’avant ou après Olympiade de Tokyo.