Lepape-info : Vincent, que ressentez-vous après ce fabuleux titre paralympique de Charles-Antoine Kouakou ?
Vincent Clarico : C’est extraordinaire, c’est magistral ce que Charles-Antoine a réalisé. Vous vous dites il y’a de la concurrence donc cela ne va pas se passer comme cela. En même temps vous êtes dans un contexte particulier qui ouvre la voie à la performance parce que ce sont les Jeux paralympiques. Et là tout se déroule comme vous pouvez l’écrire dans un scénario idéal avec en plus un record d’Europe. Un exploit et la médaille d’or c’est génial.
Vincent Clarico : « Je retiens la richesse de l’expérience, le chemin qu’il a fallu parcourir, accomplir et les montagnes qu’il a fallu gravir pour que Charles-Antoine intègre progressivement les principes d’entraînement, des intentions, des compréhensions de rythme. Cela arrive le jour J à l’heure H, pour un entraîneur c’est juste extraordinaire. »
Lepape-info : Que retenez-vous de ce moment extraordinaire que vous avez vécu en direct au plus près ?
V.C : Enormément d’émotion, lorsque vous êtes entraîneur et que vous vous occupez d’un athlète en sport adapté comme Charles-Antoine, c’est plus que de l’investissement c’est de l’engagement. Pour travailler avec un athlète quelque soit son talent, vous passez beaucoup de temps avec lui, la compréhension des choses que se fait Charles-Antoine des choses n’est pas forcément évidente. Il faut répéter et répéter, parfois il oublie tout. Vous vous dites ce n’est pas possible, on ne va jamais y arriver, les exercices que vous avez fait la veille, il ne les a pas totalement intégré voire même quasiment oublié. Quand vous arrivez à un moment d’explosion comme celui vécu aujourd’hui où toutes les planètes sont alignées sans oublier l’ensemble des efforts fournis en terme de temps passé beaucoup plus important que pour un athlète ordinaire et qu’il arrive à intégrer un certain nombre de principes qui se coordonnent avec une préparation que l’on a essayé d’organiser le mieux possible et un état de forme optimal c’est d’une puissance extraordinaire.
Lepape-info : Une émotion intense qui récompense de nombreux efforts
V.C : Nous avons réussi à surmonter toutes les difficultés, à infléchir les lignes du temps pour arriver à un faisceau unique et arriver à une performance incroyable. En terme d’intensité surtout dans l’athlétisme je crois que c’est comparable à ce que j’ai vécu avec les relais 4×100, il y’a de la complexité, de l’humain avec en même temps du collectif et il faut gérer la singularité. À un moment donné ce n’est pas un athlète talentueux qui comprend tout, là il faut tout rassembler pour réussir à faire quelque chose qui tienne la route. Je retiens la richesse de l’expérience, le chemin qu’il a fallu parcourir, accomplir et les montagnes qu’il a fallu gravir pour que Charles-Antoine intègre progressivement les principes d’entraînement, des intentions, des compréhensions de rythme. Cela arrive le jour J à l’heure H, pour un entraîneur c’est juste extraordinaire.
Lepape-info : La relation entraîneur / athlète revêt toute son importance dans un moment comme celui que vous avez vécu aujourd’hui
V.C : En ce jour, je ne peux pas m’empêcher d’avoir une pensée pour l’ensemble des entraîneurs que j’ai pu avoir lorsque j’étais athlète notamment Frédéric Aubert avec qui j’ai fait les Jeux olympiques, il a toujours su me préparer au moment où il le fallait, je battais tous mes records en grand championnat. J’ai une pensée aussi pour Stéphane Caristan qui m’a accompagné sur la fin de ma carrière et qui m’a aussi porté même quand j’avais des doutes pour être bon le jour J, je trouve cela génial. C’est bien de faire la performance, beaucoup en sont capables mais en faire le jour J c’est top. C’était aujourd’hui qu’il fallait être bon et c’est aujourd’hui que Charles-Antoine l’a été. Je suis extrêmement fier de lui et qu’il m’ait fait confiance dans toutes les approches de l’entraînement que nous avons eu pour finalement arriver à ce moment exquis de vie pour lui surtout. Le message est fort aussi pour les personnes qui sont en difficulté et qui peuvent douter à un moment donné. Le sport adapté est une formidable école de formation pour l’accompagnement qu’il soit artistique, sportif. Vous êtes obligé de faire preuve de beaucoup de remise en question sur les principes fondamentaux et techniques que vous avez pu apprendre. Cette expérience avec Charles-Antoine m’enrichit énormément sur le plan humain qui a encore plus renforcé ma tolérance.
Vincent Clarico : « Pendant la couse j’ai filmé avec ma caméra, je pense que je ne pourrais pas bien analyser les images parce que j’ai beaucoup tremblé, à la fin submergé par l’émotion c’était un peu brouillon (rires). Je le voyais arriver, je criais sur la caméra comme un fou. »
Lepape-info : Comment avez-vous abordé cette finale avec Charles-Antoine ?
V.C : J’étais confiant parce que je savais qu’il y avait quelques athlètes qui étaient de sérieux prétendants à à la médaille. J’avais la ferme conviction qu’il fallait faire moins de 48″ pour accéder au podium. Sur la base de ce qu’avait réalisé Charles-Antoine ces dernières semaines à l’entraînement et sa capacité d’adaptation ici à Tokyo je me suis dit que cela se présentait plutôt bien. L’objectif avant tout c’était la finale et puis après la médaille peut importe le métal avant de viser l’or aux Jeux 2024 à Paris. Mais en le voyant sur les récentes séances je me suis rendu compte qu’il se passait quelque chose, qu’il avait passé un cap ces dernières semaines.
Lepape-info : Avant et pendant comment avez-vous vécu intérieurement la finale ?
V.C : Dans le bus qui nous menait au stade j’ai beaucoup réfléchi à la course. Je me suis dit que s’il terminait dernier cela ne serait pas réellement une déception et que si cela se trouve il allait améliorer sa performance comme les autres et que la concurrence était au-dessus. Après je me suis imaginé quelle serait ma réaction s’il gagnait, l’émotion m’a alors envahi avant de me raisonner en me disant que c’était une finale de Jeux. Pendant la couse j’ai filmé avec ma caméra, je pense que je ne pourrais pas bien analyser les images parce que j’ai beaucoup tremblé, à la fin submergé par l’émotion c’était un peu brouillon (rires). Je le voyais arriver, je criais sur la caméra comme un fou. Malgré l’immense émotion à la fin, j’ai vécu sereinement cette finale, j’ai l’habitude de ces grands rendez-vous avec le relais 4×100 aux Championnats d’Europe à Barcelone en 2010, aux Mondiaux de Daegu en 2011, aux Jeux olympiques de Londres 2012. Ici aujourd’hui ce n’était pas banal mais je suis familiarisé avec ce type d’émotion ce qui fait que je reste serein. Par contre ce qui vous submerge d’émotion c’est de voir la réalisation de l’exploit. Quand vous voyez l’athlète dans la dernière ligne droite remonter un à un ses adversaires comme Marc Raquil en finale du 400 m des Mondiaux 2003 à Paris vous ne savez plus où vous habitez ! Vous êtes au-dessus, vous êtes en lévitation.
Charles-Antoine Kouakou motivé lors de sa finale par le PSG dont il est supporter
Lepape-info : Charles-Antoine vous a-t-il épaté ?
V.C : C’est un garçon qui a beaucoup de talent mais vous ne vous attendez jamais à cela. Je m’étais préparé à tout mais ce qu’il a fait c’est fou. À l’échauffement il m’a énormément rassuré, je l’ai trouvé beaucoup mieux qu’hier avant les séries. Mais bon je me suis que les autres aussi pourraient être dans ce même état. Je m’attendais à ce qu’il fasse une grosse performance mais je pensais pas qu’elle serait associée à une victoire. C’est top !
Vincent Clarico : « Les leviers qui vont permettre de stimuler un athlète ordinaire telle que les performances à l’entrainement etc… cela ne parle pas trop à quelqu’un comme Charles-Antoine. Lui il s’entraîne, il a l’état d’esprit d’un enfant de 10 ans, il joue et il n’a pas peur. »
Lepape-info : Charles-Antoine a couru sa finale en pensant au PSG ? Expliquez-nous…
V.C : C’est un travail d’équipe, j’entraîne Charles-Antoine à longueur d’année mais régulièrement il est en stage avec la FFSA (Fédération Française de Sport Adapté) où il part quelques jours par mois maintenant. On essaye de trouver des subterfuges pour stimuler la motivation de Charles-Antoine. À l’occasion des Championnats d’Europe en juin dernier, Frédéric Drieu (son entraîneur au Pôle France) lui a dit de se mettre une image dans la tête qui lui donne envie de gagner. Et là, Charles-Antoine lui a cité sans hésiter : le PSG ! Du coup ce jour-là, Frédéric a dit à Charles-Antoine : « Désormais quand tu te mets dans les blocks au départ d’une course tu penses au PSG. » Aux Championnats d’Europe il a décroché la médaille d’argent.
Lepape-info : Incroyable cette anecdote !
V.C : Les leviers qui vont permettre de stimuler un athlète ordinaire telle que les performances à l’entrainement etc… cela ne parle pas trop à quelqu’un comme Charles-Antoine. Lui il s’entraîne, il a l’état d’esprit d’un enfant de 10 ans, il joue et il n’a pas peur. Ce qu’il aime c’est ce que nous aimions lorsque nous étions petits, voir par exemple un sportif ou une équipe de foot qui nous faisait vibrer. Il a un corps d’adulte mais il a 10 ans, il aime jouer, vous lui parlez d’un champion dans sa tête qui résonne cela le motive, cela l’exalte avec l’exemple du PSG il nous l’a dit : « Moi je suis un supporter des joueurs du PSG, j’aime quand ils gagnent » et là je lui ai dit aujourd’hui : « Tu sais Charles-Antoine tu as fait mieux que le PSG ! » (rires)
Lepape-info : Comment allez-vous gérer à présent l’après titre paralympique avec Charles-Antoine ?
V.C : Nous allons rester concentrés sur l’objectif fixé, un objectif arrivé finalement 3 ans plus tôt que prévu à savoir la médaille d’or paralympique initialement espérée aux Jeux 2024 de Paris. Nous allons conserver notre logique, nous allons prendre en compte le fait que le niveau a considérablement progressé, qu’un grand nombre d’athlètes ont battu leur record (6 des 8 finalistes dont Charles-Antoine avec un nouveau record d’Europe) sans oublier le retour en force des Européens notamment dans la catégorie de Charles-Antoine. Nous allons travailler de manière différente, je l’espère dans de meilleures conditions que lors de la pandémie. Objectif être la tête dans les étoiles et les nuages mais en gardant les pieds sur terre.