Une dizaine de degrés au thermomètre, peu ou pas de vent, les conditions météorologiques étaient idéales en ce dimanche matin à l’occasion du 49e marathon de Berlin.
Avant le départ quasiment tous les regards étaient braqués sur le roi de la discipline, Eliud Kipchoge.
Le double champion olympique Kenyan l’a certes emporté pour la 5e fois à Berlin mais il s’est fait quelque peu volé la vedette par celle qui a crée une énorme sensation : Tigst Assefa.
L’Ethiopienne avait déjà étonné en l’emportant l’an passé à Berlin en 2h15’37.
Tigst Assefa avait amélioré de plus de 18 minutes son précédent record établi lors de son 1er marathon à Riyad (Arabie Saoudite) en 2h34’01 quelques mois auparavant, en mars 2022. Elle avait promis de revenir à Berlin cette année pour faire mieux, la promesse a été plus que tenue.
Partie sur un rythme très rapide en 31’45 au 10e kilomètre avec un passage au semi-marathon en 1h06’20, Tigst Assefa focalise les attentions car elle est déjà bien en avance sur le record du monde de la Kenyane Brigid Kosgei (2h14’04 établi à Chicago en 2019).
Accompagnée jusqu’au bout par un meneur d’allure qui fut d’une précieuse aide, sa seconde moitié de course est encore plus rapide en 1h05’33 alors que son record personnel actuel sur le semi-marathon est de 1h07’28 réalisé en 2022.
Relâchée, décontractée, fluide sans montrer le moindre signe de faiblesse, Tigst Assefa n’a cessé d’augmenter son avance sur la meilleure marque mondiale de tous les temps pour au final l’emporter pour la 2e fois consécutive à Berlin en 2h11’53, un chrono impensable jusqu’à maintenant.
Ce record du monde féminin du marathon pulvérisé de plus de 2 minutes (2’11 exactement) a suscité réactions et interrogations.
Notre expert LEPAPE Jean-Claude Vollmer et Christelle Daunay, détentrice du record de France du marathon en 2h24’22 nous livrent leur avis sur cette performance :
Jean-Claude Vollmer : « C’est hallucinant, une autre dimension. Au niveau du « saut qualitatif » de la performance, cela me fait penser à l’époque quand Paula Radcliffe avait couru en 2h15’25 à Londres il y a 20 ans mais là nous sommes à moins de 2h12. Ce chrono la situe dans le TOP 40 des meilleurs Français masculins tout temps. Peut-être que le marathon féminin avait du retard mais c’est une performance stratosphérique. Avec ses 2h15 de l’an dernier, elle est forcément entrée dans le groupe cible avec des contrôles. En la voyant courir avec cette qualité technique de pied, rien ne se dégrade, je me dis qu’elle aurait peut-être pu faire encore mieux. On a l’impression qu’elle ne respire pas, pendant la course elle n’ouvre pas la bouche, elle était en contrôle, elle vérifiait je pense ses fréquences cardiaques en permanence. Oui son équipementier Adidas a sorti de nouvelles chaussures mais je pense que d’autres les avaient aussi et je ne suis pas sûr qu’ils ou elles aient mis une claque de 3 minutes à leur record. En tant qu’ancienne coureuse de 800 m (record personnel 1’59″24) elle a peut-être ouvert une voie que des athlètes comme Sifan Hassan ou d’autres vont explorer. C’est rare de voir des coureuses de 800 m passer au bout de quelques années sur marathon, elle a réussi le transfert, cela promet si des athlètes comme Faith Kipyegon avec des qualités intrasèques supérieures basculent à leur tour.
Christelle Daunay : « Battre le record du monde pourquoi pas ? mais c’est surtout le delta, la claque qu’elle a mise à un record du monde déjà haut placé. Moins de 2h12 on imaginait pas cela avant le départ, certains hommes qui ont un bon niveau aimeraient bien réaliser un chrono pareil. Elle était relâchée, le visage serein, sans signe de fatigue apparente, elle a couru en négative split (second semi plus rapide que le premier). On a vu dans sa célébration à l’arrivée qu’elle se sentait vraiment bien. On parlait de Paula Radcliffe quand elle était à 2h15, son record du monde a tenu longtemps c’était costaud. Ensuite les nouvelles chaussures qui ne font pas tout ont permis à certaines filles de passer des caps mais là je ne m’attendais pas à cela aujourd’hui. C’est un chrono qu’on a du mal à imaginer pour une fille, les performances se resserrent avec les hommes mais il y a la manière quand on voit Sheila Chepkirui 2e à 6 minutes qui est dans le dur, avec le visage marqué. Il y a toujours de la suspicion avec ce genre de performances, les problèmes de dopage au Kenya ou ailleurs en Afrique, on peut bien sur s’interroger, on verra la suite. »
La belle satisfaction Française du jour est venue d’Anaïs Quemener qui a amélioré avec la manière son record qui datait du mois d’avril dernier lors du marathon de Paris en 2h32’12. Comme à Paris, meilleure Française, Anaïs Quemener est pour la première fois de sa carrière descendue sous les 2h30 avec un nouveau chrono de référence en 2h29’01 certes encore un peu éloigné des minima pour les Jeux Olympiques de Paris (2h26’50).
Jean-Claude Vollmer : « Moins de 2h30 c’était son objectif, c’est une très belle performance, rappelons que ce n’est pas une professionnelle. Elle travaille comme aide-soignante, un métier difficile, contraignant, félicitations à elle. Si elle peut se préparer dans de meilleures conditions dans les mois qui viennent elle a encore la possibilité de faire les minima pour les Jeux de Paris.
Christelle Daunay : « Elle a pris des risques et au final elle reste sur son objectif autour des 2h29. Elle va surement tenter de faire un autre marathon pour aller plus loin dans son objectif d’obtenir les minima pour les Jeux de Paris, sa progression dans tous les domaines est intéressante. Dommage sur un marathon roulant qu’elle ne soit pas partie devant avec un dossard élite mais je crois qu’elle a couru avec 2 garçons de son club d’où peut-être ce choix. »
Chez les hommes, Eliud Kipchoge dans son jardin de Berlin, a une nouvelle fois maitrisé la concurrence. Le double champion olympique Kenyan, détenteur du record du monde avec son 2h01’09 établi l’an passé à Berlin n’a pas réédité l’exploit de signer un nouveau chrono de référence. Eliud Kipchoge qui avait besoin de se rassurer après sa déconvenue à Boston en avril dernier (6e en 2h09’23) s’est adjugé en 2h02’42 son 5e marathon de Berlin, un record que personne n’avait réalisé jusqu’à présent. Avant le départ il comptait 4 succès à Berlin comme une autre légende Haile Gebrselassie.
Jean-Claude Vollmer : « Il reste le plus grand avec encore un chrono sous les 2h03. Je pense qu’il avait un petit refroidissement, comme un rhume avec son nez qui coulait. Il est peut-être parti un peu trop vite par rapport à son niveau actuel mais bon il n’y a rien à lui reprocher. Même si Kelvin Kiptum a couru en moins de 2h02 cette année (2h01’25 à Londres) , je pense qu’il a assuré son billet pour les Jeux de Paris, de toute façon il y a 3 athlètes à choisir. Si j’étais sélectionneur Kenyan je me verrais mal lui dire : « Tu es trop vieux, tu n’as pas ta place, il y’en a d’autres qui peuvent mieux faire. »
Christelle Daunay : « On s’attend toujours avec lui à un possible record mais ce chrono de 2h02’40 est superbe. On a vu qu’il était peut-être un peu plus en difficulté que les années précédentes, il a ralenti sur le second semi, il a tout de même réussi à maintenir son hégémonie. Il avait pour objectif d’assurer une place aux Jeux de Paris avec son chrono ce sera compliqué pour les autres Kenyans de le priver de qualification. Ceux qui l’accompagnent sur le podium à Berlin à savoir le Kenyan Vincent Kipkemoi et l’Ethiopien Tadese Takele ont bouclé leur 1er marathon en moins de 2h04, cela nous rappelle le coup d’éclat de Kiptum pour ses débuts à Valence, ce sont des performances qui sont déroutantes. »
Pour les Français Abderazzak Charik et Florian Carvalho qui visaient les minima pour les Jeux Olympiques de Paris (2h08’10) cela ne s’est pas du tout passé comme espéré. Abderazzak Charik a abandonné avant le 30e kilomètre, Florian Carvalho s’est contenté d’un très modeste 2h18’19.
Jean-Claude Vollmer : Abderazzak Charik est ambitieux, il veut sauter des étapes, c’est dommage il est parti trop vite, il est jeune, il faut qu’il pose mieux les choses pour le futur. Pour Florian Carvalho, l’ancien coureur de 1 500 m, cela ne passe décidemment pas sur marathon, avec son 1h04’38 au semi qui n’était pas monstrueux je pense qu’il n’était pas dans le coup d’entrée. »