Lundi 24 août 17 h, nous arrivions, ma petite famille et moi, sur les lieux du challenge à Chamonix, au moment du départ de la PTL. A cet instant, j’ai eu une grande pensée pour tous les participants car le temps était exécrable et ils allaient s’élancer sous une pluie battante, pour plus de 300 Km…
Nous récupérions notre appartement, très sympa d’ailleurs, proche de la rue piétonne et donc du départ, nous étions en place ! Comme on dit chez nous. Les jours précédents la course, je n’ai eu aucune pression, j’avais même hâte d’y être. Je me suis bien détendu avec mes deux filles et ma femme. Ce sont toujours de bonnes occasions pour se retrouver tous ensemble car durant l’année, le temps défile et difficile de profiter d’elles, avec nos contraintes professionnelles et sportives.
Néanmoins, je souhaitais encourager le jeudi mes amis du Team GARMIN sur l’OCC. Je profite de ces quelques mots pour encore à féliciter la performance de mon ami Germain (Grangier, lire : au coeur de l’OCC avec Germain Grangier) qui s’est arraché jusqu’au bout et a fini 3ème de cette OCC 2015. Je suis vraiment très satisfait pour lui, je pense qu’il attendait ça depuis longtemps, de grimper sur la boîte sur une grosse course, Bravo à lui et Jean-Christophe Bette qui termine à la 10ème place et à Virginie Govignon 4ème féminine.
Des résultats qui ont annoncé la couleur, et nous ont mis une légère pression à mon frère et moi-même. Nous avions plutôt intérêt à les faire vibrer comme ils nous avaient faits vibrer sur l’OCC.
Nous voici le matin du jour J, le jour du départ de l’UTMB. L’envie commence à m’envahir… Je reste la matinée avec mon petit bout de 3 mois, le temps que mes autres femmes fassent un tour à la mer de glace 🙂
Début d’après-midi, je fait une sieste de 30 min, je n’arrive pas à dormir plus, l’envie est trop pesante. S’enchaînent ensuite la séance de préparation des affaires et un petit Briefing avec mes assistantes de choc ma femme Audrey et Solène une amie.
J’enfile ma tenue de combat, vérification du matos obligatoire et c’est parti pour 170 Km et 10 000m dénivelé positif, rien que ça….!!!
On est vraiment des malades !! Mais c’est ça qui est bon, pousser la machine jusqu’au bout du bout.
17h50, ambiance de feu comme chaque année, c’est vraiment grandiose de vivre ça.
Devant la ligne, quelques visages étaient fermés, tendus. Beaucoup d’athlètes se sont tellement investis durant toute une année pour cet objectif… On espère tous que la course va bien se passer.
Le temps était magnifique, les conditions météorologiques pour le week end sont optimales.
One minute before the start, on s’enlace avec mon frère Sébastien et René Rovera, c’est un peu notre rituel d’avant course pour se souhaiter bonne chance et du courage.
Lancement de la musique de l’UTMB, elle me donne des frissons à chaque fois que je l’écoute. Je me plonge dans le rythme de la musique.
18H, C’EST PARTI. Il y a une foule immense le long de la zone piétonne alors que 2 300 concurrents s’élancent : incroyable !
J’en profite pour taper dans quelques mains qui dépassent de la foule, c’est ma façon de les remercier d’être là pour nous.
La montée est mentalement très dure, je m’accroche. J’ai « des coups de moins bien »
Je me suis retrouvé devant et comme l’an dernier le départ est beaucoup trop rapide… Mon frère est aux avants-postes, je préfère ralentir car je ne suis pas à ma place, je ne veux pas en faire de trop et me brûler les ailes. Et je vois mon Sébastien ralentir aussi alors que René, plus prudent, était parti plus lentement.
Passage des Houches, mon frère et moi courrons ensemble et nous avons décidé tout naturellement de le rester. René était juste derrière nous en attaquant le col de Volza. A partir de cet instant, sans vraiment se consulter, nous faisons course commune, comme si c’était naturel. C’est un avantage de courir ensemble, nous pourrons nous remonter le moral quand les choses commenceront à se compliquer.
Arrivée à Saint-Gervais, nous sommes dans les temps de passage que René s’était donné. Parfait, le but du début de course est de s’économiser au maximum et de trouver la bonne allure sans faire d’excès. La traversée jusqu’aux Contamines se déroule bien, on rentre dans la nuit qui va être très longue : c’est un juge de paix pour moi. Si je sors bien au petit matin, j’irais au bout…
Durant la nuit, j’ai énormément de passages à vide mais le fait d’avoir été tous les trois est vraiment motivant, je m’oblige à m’accrocher, pour éviter de tomber dans une monotonie, de m’endormir et de m’écrouler mentalement. La montée du col du bonhomme jusqu’à Chapieux est un moment agréable avec mes acolytes. On se parle, chacun à notre tour et le plus souvent Seb et René assurant le rythme, je les sens bien.
Le passage pénible pour moi est alors la longue portion de route en ressortant des Chapieux jusqu’au col de la Seigne : je fait le yo-yo. La montée est mentalement très dure, je m’accroche. J’ai « des coups de moins bien » et j’appuie sur mes bâtons pour ne pas les lâcher. Je perds 15m, 30m puis je reviens au train. Ouf, enfin au sommet, cela m’a paru être une éternité cette montée de col.
On attaque la descente sur un bon rythme, mon corps se relâche, les bonnes sensations reviennent. J’aperçois au loin une lueur entre deux montagnes : je soupçonne que c’est le fameux col des Pyramides, que nous n’avons pas pu repérer car il y avait beaucoup trop de neige. L’ascension est magnifique avec la luminosité de la lune ce terrain très pierreux, est un passage que j’apprécie particulièrement. La descente fut la cerise sur le gâteau, elle est impressionnante, un free ride sur des blocs rocheux. J’adore ce style de passage assez engagé, on saute de cailloux en cailloux. Comme on dit avec mon frère : on danse avec les pierres !
Nous étions tous les trois sur un bon tempo, l’arête Mont favre est avalée et la descente sur Courmayeur s’est déroulée sans Bobo. Et nous voici dans la salle des sports avec une ambiance aussi surprenante que superbe à cette heure si matinale (environ 4h du matin). J’aperçois à cet instant la dream team Garmin, ils étaient tous venus nous encourager après 4 jours de salon, franchement merci à eux, et à mes parents toujours présents à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, au taquet ! On accède à la zone de ravitaillement, ma femme m’a préparé mon ravitaillement. Je m’assois et je profite de ces quelques minutes à ses côtés. Ce sont des moments importants, je lui fais part de mes sensations. Elle s’est vite rendue compte que j’étais dans une phase de doute. Rapidement, elle change de conversation et trouve les mots juste pour me remotiver… c’est ça une assistante de choc !
Mon frère et René sont prêts. Nous nous sommes arrêtés une quinzaine de minutes, trop long à mon goût… En sortant de la salle des sports, nous nous sommes refroidis et le froid nous saisit, « Allez dans quelques minutes ça ira mieux ». La montée jusqu’au refuge Bertone nous a bien réchauffé, nous voilà enfin dans la partie du parcours que j’apprécie le plus. Passage refuge Bonnati et Arnuva impeccable. Le jour se lève et me redonne de l’énergie. La course commence à être dure pour tout le monde,. Nous voilà dans l’ascension du grand col ferret, passage clé sur l’UTMB, avec la descente sur la Fouly. A ma grande surprise, René a un gros passage à vide pendant la montée. On essaye de l’encourager. Avec Seb nous gardions le rythme, en nous disant nous rattrapera dans la descente. Et il revient petit à petit sur nous, après quelques arrêts pour des besoins naturels. Je sens néanmoins René dans le dur et je le laisse passer entre nous deux mais il prend du retard mètre après mètre et je revient sur mon frère. Nous arrivons ensemble à la Fouly. Je repense alors à l’année dernière quand je suis arrivé ici. J’étais cramé et j’avais rendu les armes, ce ne fut pas le cas cette année. Les sensations étaient bonnes, on repart ensemble après un ravitaillement express.
« Tu m’as dit que tu ne t’arrêterais que si tu avais une jambe cassée ! »
La section entre la Fouly et Champex n’a pas été très agréable mais nous en profitons pour regarder les magnifiques chalets Suisses. A 2 Km du ravitaillement de Champex, j’accuse un gros coup de moins bien inattendu vu les sensations que j’avais jusqu’alors. Je préfère alors m’allonger un peu, c’est aussi ça la course ! Arrivée à Champex, je sens que le final va être compliqué. Pendant le ravitaillement, ma femme me masse les cuisses et c’est reparti. Aïe aïe aïe. Dures, dures les guiboles ! On apprend alors que René a abandonné, on est vraiment déçu pour lui… De mon côté, j’ai du mal à courir le long du lac mais tout le STAFF est là. Ils nous encouragent comme jamais, c’est vraiment motivant, nous ne pouvons pas les décevoir. J’essaie de courir, c’est difficile mais il le faut.
Avant Bovine, je décide de faire une sieste de 15 minutes, ce sera plutôt 30 minutes. Seb est resté avec moi, c’est cool. On essaie de repartir et là c’est pire que tout, on s’est refroidi, c’est terrible autant pour moi que pour Seb. Dans la tête, ça commence à être très très dur, je me pose beaucoup de questions, je suis vraiment dans le doute. On attaque le début de l’ascension de bovine, je sens que ça se décoince et que les sensations reviennent. J’accélère le tempo, la motivation est présente, le soleil nous brûle la peau mais ce n’est pas grave, on fera le bilan à la fin. Seb s’accroche, il est bien, on s’est remis dedans.
Malheureusement, pendant la descente vers le col de la forclaz, mes quadriceps sont détruits à chaque foulée, c’est une torture. J’essaie de descendre en marche arrière, sur le côté mais qu’est ce que c’est long. Arrivée au col, notre équipe d’assistants de choc et nos amis sont là pour nous encourager. Dans ma tête, c’est difficile. Avant d’arriver à Trient, je dis à Seb d’y aller car je n’arrive pas à le suivre et je le freine dans sa progression. A Trient, le moral est au plus bas, je demande aux kinés de me masser un peu. Ils sentent mes quadriceps tétanisés et très contractés. Ils font leur possible et je m’en vais au ravito. Dans ma tête, je me dis que c’est fini. J’en discute avec Jo un ami, de chez Garmin qui me remotive mais je ne me sens pas, j’enlève mon dossard.Sur cet entrefaite, ma femme arrive, me « secoue les oreilles » et me dit « souviens-toi de ce que tu m’as dit, tu m’as dit que tu ne t’arrêterais que si tu avais une jambe cassée ! », touché dans mon estime, je ré-épingle mon dossard et repart. Remotivé, je pense aux paroles de ma femme. Elle a eu raison de me pousser même si la douleur est insupportable. L’ascension de Catogne se déroule bien. Je suis surpris mais je profite de cet état car le plus dur reste à venir. Dans la montée, les quadriceps ne me causent pas de problèmes, c’était vraiment dans les efforts excentriques que je dégustais.
Voici la descente sur Vallorcines que je connais très bien. Le premier kilomètre se gère relativement bien. Mais au bout de quelques minutes, je n’en peux plus, je m’arrête dans un torrent, j’y plonge mes jambes. Un peu de cryothérapie naturelle, ça me fera pas de ma ! Et puis je repars en marchant jusqu’au ravitaillement où j’arrive à reculons. Dans ma tête, c’est dur mais je sais que j’allais repartir, pas question d’abandonner, surtout que connaissant ma femme, elle ne m’aurait jamais laissé monter dans la voiture !
Des applaudissements, me réchauffent le cœur et les encouragement du TEam font que je ne peux pas les décevoir. Ils ont averti Seb que j’étais encore en course et il est fier. Je sors du SAS remotivé. Je me dis qu’il ne me reste plus qu’une seule descente, « on verra bien comment ça se passera. Je me mettrais sur OFF et BanzaÏ ».
Je passe le col des Montets tel un conquérant. Je regarde le sommet de la tête aux vents et j’envoie les bâtons. Je grappille concurrent après concurrent, j’arrive déjà sur les crêtes. J’ai fait une bonne ascension mais voilà un nouveau vilain coup de Bambou. Je gère tant bien que mal. J’aperçois la Flégère. Dans ma tête, je me dis que c’est bon, je vais finir cet UTMB. Je me fais bipper et repars direct. Pas besoin de me ravitailler. Je m’engage dans la descente, la douleur est ailleurs, je ne sais pas où, mais pas dans les jambes, ça sent les écuries !
J’attrape la main de mon frère, on se regarde et on se dit « on l’a fait ».
La nuit est tombée encore une fois. Je ne pensais vraiment pas ressortir ma frontale. Quand soudain, une silhouette… Elle me dit quelque chose, mais oui c’est bien lui, mon FRERO ! Quelle surprise, je ne pensais vraiment pas le rattraper vu l’avance qu’il avait à Vallorcines. Il est aussi dans le dur mais qui ne l’était pas à ce stade de la course. Dès qu’il me voit, il retrouve le sourire. On va pouvoir finir ensemble ce terrible effort qui a terrassé nos organismes. Quelle joie de pouvoir partager ce moment. Durant la descente, je suis déjà tout excité de penser à cette ligne d’arrivée et à toutes les émotions qui vont m’envahir. On descend relativement bien, dans ma tête, défile l’histoire de ces 27 heures d’efforts.
Sincèrement, j’ai poussé mon organisme dans des limites mais c’est grâce à ma famille, à mes amis qui étaient à mes côtés et à ceux qui étaient derrière leur écran d’ordinateur et de smartphone que j’ai pu continuer. Ils m’ont tous porté jusqu’à cette ligne. Je descends sur un rythme qui me surprend. Je ne peux dire si c’est le fait de savoir que c’était la fin ou d’avoir rattraper mon frère mais quel bonheur d’avoir moins mal aux jambes, de ne pas subir le terrain et de retrouver du plaisir.
Les lumières de Chamonix se rapprochent de plus en plus. Ca y est, on empreinte l’asphalte, fini les sentiers accidentés. On aperçoit le STAFF de choc dans le dernier kilomètre. On est tout sourire. Une énorme émotion se dégage entre toute l’équipe et nous.
On arrive à 500m de l’arrivée, une ambiance incroyable. Je récupère ma fille, elle finit avec nous, j’attrape la main de mon frère, on se regarde et on se dit « on l’a fait ».
Certes, le résultat n’est pas là (46ème en 27H46), mais l’essentiel est d’avoir été au bout de notre effort, quelle fierté. Tout ce temps passé à courir, marcher, crapahuter dans la montagne pour jouir de cette situation unique, une arrivée sur l’UTMB. Cette fois-ci, je l’ai passé au côté de mon frère et de ma fille. Le dernier pas a vraiment été franchis grâce à la vingtaine de personnes qui m’ont suivi durant toute la course, nuit et jour et je leur en remercie. Dans les moments durs, ils étaient là pour me soutenir, trouver les mots justes et me permettre de franchir cette ligne. C’est l’union qui a vaincu cette UTMB.
Finalement j’écris ces quelques lignes, à tête reposée trois semaines après avoir franchi la ligne d’arrivée de l’UTMB. Mais, je peux dire que j’ai vraiment du mal à récupérer, mes jambes sont encore meurtries profondément. J’ai fait un footing de 50 min et c’était vraiment dur, place à la régénération musculaire et mentale. Durant cette course, j’ai vraiment appris que le mental a une influence énorme sur le physique. Je pense qu’à l’avenir je vais devoir travailler davantage sur le relâchement du corps et de l’esprit.
Et je vous donne rendez-vous le 22 octobre 2015 pour le départ de la diagonale des FOUS sur l’île de la réunion.
Sylvain Camus
Nota : Sylvain et Sébastien ont terminé en 27h46mn07s et sont respectivement 47 et 48e au général