L’exploit, un peu passé sous silence de Sifan Hassan avec 3 médailles sur 5 000 m (bronze), 10 000 m (bronze) et marathon (or) aux Jeux olympiques de Paris est extraordinaire, inouï !
Ce titre olympique sur marathon couronne une athlète, qui a non seulement battu la grande favorite, la recordwoman du monde du marathon sur la distance Tigist Assefa, mais termine en apothéose une campagne olympique exceptionnelle avec 3 médailles, renouvelant ainsi sa moisson de médailles de Tokyo en 2021.
6 médailles olympiques en demi-fond et fond chez les femmes, du jamais vu !
La 3e victoire d’affilée sur 1 500 m aux JO de Faith Kipeygon lui permet également de rentrer dans l’histoire.
Dans les palmarès des victoires sur 1 500 m aux J.O., une seule femme seulement et un seul coureur ont réussi à réaliser 2 victoires consécutives sur cette distance reine » : Tatiana Kazankina en 1976 et 1980 et Sebastian Coe en 1980 et 1984. Une autre époque !
Si aucune femme ne possède un palmarès olympique aussi conséquent, il faut chercher des éléments de comparaison chez les hommes.
Le « Paavo Nurmi » au féminin ?
Qui sont les multiples médaillés olympiques chez les hommes ?
Beaucoup se souviennent du double-double sur 5 000 m et 10 000 m de Lasse Viren en 1972 et 1976 et celui de Mo Farah en 2012-2016.
Pour beaucoup le plus coureur de tous les temps Kenenisa Bekele a gagné 3 ors et 1 argent. Sebastian Coe et Kipchoge Keino, deux champions exceptionnels ont gagné 2 fois l’or et 2 fois l’argent.
Beaucoup ont oublié les 4 médailles remportées le champion tunisien Mohamed Gammoudi sur 3 olympiades avec une médaille or, 2 fois l’argent, 1 bronze.
Pour trouver mieux que 4 médailles il faut remonter plus loin dans le temps pour trouver des sportifs qui ont marqué l’histoire de l’olympisme : Emil Zatopek avec ses 4 médailles d’or- dont le triplé historique (5000 m, 10000 m et marathon en 1952 à Helsinki et 1 fois l’argent) qu’on ne peut séparer de son rival français Alain Mimoun (1 x or, 3 x argent).
Pour trouver des athlètes avec 6 médailles il faut encore remonter plus loin dans l’histoire, quasiment un siècle en arrière.
A l’occasion des Jeux olympiques de Paris 2024, le palmarès de Paavo Nurmi avec 12 médailles sur 3 olympiades a souvent été évoqué : or sur 10 000 m, en cross individuel et en cross par équipe en 1920 à Anvers puis or sur 1 500 m, 5 000 m, cross individuel, cross par équipe et 3000 m par équipe en 1924 à Paris et enfin l’or sur 10 000 m, l’argent sur 5 000 m et au 3 000 m steeple en 1928 à Amsterdam.
Mais on a oublié le palmarès de son éternel rival finlandais, Ville Ritola (8 médailles), qui a pourtant fait mieux que Nurmi à Paris en remportant 6 médailles (4 fois l’or : 10 000 m, 3 000 m steeple, 3 000 m par équipe et cross par équipe) puis 2 médailles supplémentaires (or sur 5 000 et argent sur 10 000 m) à Amsterdam en 1928).
Une autre légende finlandaise, le prédécesseur de Nurmi sur les tablettes, Hannes Kohlemainen est lui aussi multi médaillé avec 5 médailles : or sur 5 000 m, 10 000 m, cross individuel et 2e par équipe en cross en 1912 puis une médaille d’or sur marathon à Anvers en 1920.
H. Kohlemainen, le plus grand coureur de la décennie 1910-1920 sans l’annulation des J.O. De 1916, en pleine première guerre mondiale, aurait incontestablement augmenté sa récolte de médailles.
Il y a donc eu dans l’histoire plus fort que Sifan Hassan lors d’une session de Jeux olympiques avec des quintuplés en or (Nurmi), des quadruplés (Ritola) et des triplés (Kohlemainen, Zatopek).
Il faut néanmoins atténuer ces chiffres car P. Nurmi, V. Ritola ou H. Kohlemainen ont remporté des médailles dans des disciplines qui ont depuis longtemps disparu du programme des Jeux olympiques comme le cross individuel ou les épreuves par équipe en cross et sur 3000 m.
Sans ces épreuves P. Nurmi serait ainsi à 6 médailles, V. Ritola et H. Kohlemainen à 3.
En termes de records, le palmarès de Nurmi avec ses 13 records du monde sur des distances officielles est supérieur à celui de ses compatriotes.
Mais il faut remettre ses résultats dans le contexte de l’époque. Il y a un siècle la densité des coureurs s’affrontant aux JO n’était pas et de très, très loin celle d’aujourd’hui.
Ainsi en finale du 5 000 m en 1924 nous trouvons 4 Finlandais, 2 Français, 2 Britanniques, 2 Suédois, 1 Américain, 1 Japonais.
La pratique athlétique était, il y a de cela un siècle, limitée à très peu de pays.
Pour la période qui nous intéresse (J.O. Anvers 1920-Los Angeles 1932) on a le paysage suivant : si la domination des USA est sans partage sur 800 m au niveau du nombre de citations parmi les 10 meilleurs par année (136 devant la GBR 22) on retrouve – étonnamment – le Japon en tête sur le marathon (38 citations devant les USA 18).
Sur 1500 m, la Suède (57 citations) est devant la Finlande (28) et la France (19). La domination au niveau mondial sur les plus longues distances (5000 et 10000 m, 3000 m steeple) est clairement du côté de la Finlande sur 5000 m (83 contre 57 à la Suède) et 10000 m (95 contre 60).
Petit cocorico national sur le 3 000 m steeple où c’est la France sur la période 1920-1932 qui est devant (34 contre 31 à la Finlande). La tradition française sur 3000 m steeple a donc des racines profondes.
A l’époque des H.Kohlemainen, P.Nurmi, V.Ritola la course à pied de haut niveau se réduisait à une compétition entre la Finlande (249 citations toutes disciplines confondues), les USA (215 grâce au 800 m), la Suède (192), la France (98), la GBR (77), l’Allemagne (58), l’Italie (40), je Japon (38 sur marathon uniquement).
On est loin de l’universalité de la pratique actuelle.
Alors quelle place pour Sifan Hassan parmi les plus grands panthéons du demi-fond et fond mondial ?
À la lecture des palmarès des plus grands coureurs dans l’histoire olympique on se rend compte qu’il y a des coureurs qui ont été médaillés sur :
- 5 000 m- 10 000 m – marathon où
- 1 500 m – 5 000 m – 10 000 m mais qu’il n’y a aucun de ces « monstres sacrés « qui ait réussi à monter sur le podium sur les quatre distances reines.
Mais Sifan Hassan l’a fait !
Car avant ces 3 médailles de Paris Sifan était déjà montée 3 fois sur le podium aux JO de Tokyo en 2021 sur 1 500m, 5 000 m, 10 000 m.
Avec ces 4 médailles sur 4 distances différentes elle entre dans une autre dimension !
Qui est Sifan Hassan ?
Palmarès
Jeux olympiques (6 médailles) :
- 3 médailles d’or : 5000 m, 10000 m à Tokyo et sur marathon à Paris
- 3 médailles de bronze : 1500 m à Tokyo et 5000 m et 10000 m à Paris
Championnats du monde (6 médailles)
- 2 médailles d’or :1500 m, 10000 m en 2019 à Doha
- 1 médaille d’argent : 5000 m en 2023 à Budapest
- 3 médailles de bronze : 1500 m en 2015 à Pékin et 2023 à Budapest, 5000 m à Londres
À noter que sans sa chute à 30 m de l’arrivée du 10 000 m aux championnats du monde Budapest, elle aurait glané une 7e médaille mondiale. Mais avec des si !
On peut toujours réécrire l’histoire et dire que très probablement P. Nurmi (pour ses 4e J.O. en 1932) serait probablement monté sur le podium au marathon sans sa disqualification à quelques jours du marathon de Los Angeles.
Il avait en effet participé à une sélection en Finlande, où il a au 40,2 km en 2h22’04 (sur une base de 2h29), estimant qu’il avait démontré sa valeur.
Le vainqueur du marathon de sélection A. Toivonen, relégué à 6’ au moment de l’arrêt de P. Nurmi lors du test, finira 3 -ème du marathon olympique.
Championnats du monde indoor (3 médailles) :
- 1 médailles d’or : 1500 m en 2016
- 1 médaille d’argent : 3000 m en 2018
- 1 médaille de bronze : 1500 m en 2018
Championnats Europe (7 médailles)
- 4 médailles d’or : 1500 m en 2014, 5000 m en 2018, Cross en 2015, 3000 m indoor en 2014
- 2 médailles d’argent : 5000 m en 2014 et 2016
- 1 médaille de bronze : 1500 en 2018
Qui peut en dire autant ?
Au niveau européen :
Mo Farah bien sûr avec ses :
- 4 médailles d’or olympique
- 6 titres, 2 deuxièmes places et une troisième place aux mondiaux
- 10 médailles européennes (7 en or, 3 en argent)
Au niveau mondial
Hailé Gebrselasié :
- 2 médailles d’or olympique
- 12 médailles mondiales (9 en or du 3000 m indoor au semi-marathon, 2 en argent et une en bronze)
Et bien sûr :
Kenenisa Bekele :
- 4 médailles olympiques (3 or et 1 argent)
- 18 médailles aux championnats du monde (6 en or sur piste et 12 (11 ors et 1 argent) en cross. Sans tenir compte de ses nombreux titres par équipe
Records du monde et d’Europe battus :
Records du monde :
- Mile : 4’12.33 (2019)
- 5 km route en 14’44.0 (2019)
- Heure : 18 930 m (2020)
Records d’Europe :
- 1500 m : 3’51.95 (2019)
- Mile : 4’12.33 (2019)
- 3 000 m : 8’18.49 (2019)
- 5 000 m : 14’22.34 (2018) puis 14’22.12 (2019) puis 14’13.42 (2023)
- 5 km : 14’44
- 10 000 m : 29’36.67 en 2020 puis 29’06.82 (2021)
- Semi-marathon : 1h05’15 (2018)
- Marathon : 2h13’44 (2023)
Au niveau des records du monde, le plus grand est bien entendu H. Gebrselassie avec ses 27 records du monde sur piste et sur route, loin devant Bekele (8) et Farah (1)
Sifan Hassan qui détient tous les records d’Europe du 1500 m au marathon est incontestablement au sommet du panthéon des plus grands de l’histoire avec cette présence sur les podiums de distances aussi éloignées en termes de distances et de durée de course et ses records personnels qui la situent au sommet dans la hiérarchie.
Records et places dans le bilan mondial tous temps par discipline
800 m : 1’56.81 : 66e – à titre de comparaison le record de France est détenu par Patricia Djaté 1’56.53 (49e). 1ère J. Kratochvilova (1’53.28 en 1983)
1 000 m : 2’34.68 – 87e (1ère S. Masterkowa 2’28.98 en 1996)
1 500 m : 3’51.95 : 9e (1ère F. Kipyegon 3’49.04)
1 500 m indoor : 4’00.46: 18e (1ère G. Tsegay 3’53.09 en 2021)
3 000 m : 8’18.49 – 6e (1ère J. Wang 8:06.11 en 1993)
3 000 m indoor : 8’30.76 – 25e (1ère G. Dibaba 8’16.60 en 2014)
5 000 m : 14’13.42 – 9e (1ère G. Tsegay 14’00.21 en 2023)
10 000 m : 29’06.82 – 4e (1ère B. Chebet 29 :54.14)
Heure : 18320 m : 1ère
Semi-marathon : 1h05’15 – 28ème (1ère L.Gidey 1h02’52 en 2021)
Marathon : 2h13’44 : 3ème (1ère R.Chepngetich : 2h09’56 en 2024)
Places dans les bilans mondiaux par année :
800 m : 4e en 2017 / 12e 2015 / 26e 2014
1 500 m : 1ère 2014, 2017, 2019 / 2e 2015, 2021 / 3e en 2016 / 7e 2023
1 500 m indoor : 1ère en 2015 / 3e 2015, 2016 / 4e en 2014 / 11e en 2018
3 000 m : 1ère en 2018, 2019, 2021/ 4e 2017 / 6e en 2022
3 000 m indoor : 3e en 2017 / 4e en 2021 / 7e 2014
5 000 m : 2e en 2018 / 3e 2019 / 6e 2023 / 8e 2021
10 000 m : 1ère en 2019, 2020 / 2e en 2021, 2023 / 4e en 2022
Semi-marathon : 5e en 2018 et 2019,
Marathon : 2e en 2023
Tout simplement impressionnant ! Son registre de course est phénoménal.
Rares sont les femmes à présenter un registre allant du 800 m au marathon, avec des performances de qualité.
Paula Radcliffe vient évidemment à l’esprit mais avec un niveau de performance bien inférieur sur les courtes distances (800 m et 1500 m)
Chez les hommes
On trouve un tel registre chez R. Dixon (dans les années 70 -84), H. Gebrselasié, Mo Farah, B. Lagat (Bekele n’a pas de performance sur 800 m) et en France avec Jacques Boxberger, Alexandre Gonzalez, Bob Tahri, des coureurs comme D.El Himer et I.Sghyr ne présentant pas, à ma connaissance de performance sur 800 m.
Si être performant sur 5000 m et 10000 m ou sur 10000 m, semi et marathon est logique, qu’être performant sur 1500 m et sur 5000 m à très haut niveau est l’apanage des très grands P. (Nurmi, K.Keino, H.El Guerrouj, J. Ingebritsen), l’être du 1500 m au 10000 m est rare (Nurmi à son époque, Mo Farah, Galen Rupp ces dernières années).
Un seul coureur a été performant du 800 m au 10000 m, l’Américain Alan Webb (1’43.84 et 27’34.72 – mais il n’est jamais monté sur un podium international) et dans un degré moindre, le Portugais Rui Silva avec 1’44.91 et 27’53.55.
Un registre, à ce niveau de haute performance, bien entendu, semblait, sur le plan physiologique impossible et pourtant Sifan Hassan l’a fait.
Dans un prochain article nous essaierons de trouver à travers l’histoire, la carrière et l’entraînement de Sifan Hassan des éléments de compréhension sur ce qui paraissait impossible.
Cette notion de registre de course est particulièrement importante dans l’orientation et l’entraînement en course à pied.
Nous analyserons la carrière de quelques-uns de ces coureurs complets : véritables « décathloniens » de la course à pied.